Cure : The Empty World

Cinematraque, Cure, 1

Lorsque Cure arrive en France, durant l’hiver 1999, le pays est en pleine folie cinéphile face à un nouveau paysage cinématographique japonais. En moins d’une décennie, les petits Français ont pu découvrir, sur grand écran, le travail animé de Katsuhiro Otomo (Akira, en 1991), Hayao Miyazaki (Porco Rosso en 1995) Isao Takahata (Le Tombeau des Lucioles en 1996) ou Mamoru Oshii (Ghost In The Shell en 1997). Du côté des films en prise de vue réelle, on s’est confronté aux expérimentations de Shin’ya Tsukamoto (Testuo en 1994), mais surtout à la star Takeshi Kitano (Sonatine dès 1995 à la suite de sa présentation à Cannes en 1993, puis une rétro de ses œuvres en 1999 — Kids Return, Violent Cop, A Scene At The Sea, Jugatsu — histoire de rebondir sur son Lion d’Or à Venise pour Hanabi en 1998). C’est dans ce climat favorable qu’arrive en métropole le titre charnière d’un nouveau venu, Kiyoshi Kurosawa. Il n’est pas facile de se faire un prénom aux pays des Cahiers du Cinéma en passant derrière l’immense Akira et pourtant, le « petit » Kurosawa va mettre tout le monde d’accord avec Cure.

Cinématraque, Cure, 2

En plus de profiter de l’intérêt du public pour la production nippone, la sortie de son nouveau long métrage sera opportunément rattachée à un autre très occidental : Seven de David Fincher diffusé quelques années auparavant. Une démarche commerciale, de la part du distributeur, qui se repose également sur une volonté commune aux deux artistes d’aborder le polar par son versant le plus sombre en suivant un serial-killer. De la même manière si le réalisateur étasunien a renouvelé les conventions du film noir américain, son homologue japonais a dépoussiéré un genre spécifique à son pays : la J-horror. Les deux hommes ont amené certains codes du cinéma d’horreur dans celui du thriller policier, mais ici s’arrête la comparaison. Car là où Fincher va pousser vers l’enquête policière, Kurosawa va totalement embrasser le surnaturel. Ce qui rend Cure si particulier et marquant, c’est qu’il donne à voir une épouvante étrangement banale. La violence qui explose parfois dans le film y est tout à la fois fugace que dépassionné. Paradoxalement, elle n’en est que plus atroce. De la même manière, l’élément fantastique, des meurtres exécutés par des victimes sous hypnose, ne semble pas vraiment troubler les personnages. La froideur impressionnante rappelle un certain style US des années 70. Cette influence occidentale explique également que ce soit avec ce film que le cinéaste ait pu franchir les frontières de son pays. Tout en travaillant son art qu’il a cherché à imposer tout au long des années 80, il donne à son univers plus d’ampleur et une résonance internationale. L’intérêt du serial-killer pour la figure de Franz-Anton Mesmer, précurseur de l’hypnose (mais également connu pour son utilisation des traditions occultes dans sa pratique d’une « médecine alternative ») est aussi un des clins d’œil du réalisateur à l’Occident. Les peurs des spectateurs s’inscrivent dans un contexte général, là où le public japonais est angoissé par les conséquences criminogènes de l’éclatement de la bulle immobilière qui s’est développée durant les années 90, l’ouest du globe subit une récession économique.

Kiyoshi Kurosawa ne s’en cache pas (son interview en bonus est limpide à ce sujet) : à travers l’horreur qu’il décrit dans Cure, il propose un exutoire à ces inquiétudes. À partir de Cure, il va également imposer une nouvelle représentation de l’être spectral qu’il va continuer ensuite à creuser de film en film (Kairo en 2000 jusqu’à Le Secret de la chambre noire en 2016 ) pour interroger la société japonaise confrontée à une accélération de ces mutations. Si Kunio Mamiya, véritable metteur en scène des meurtres nous questionne, c’est qu’il s’agit d’une coquille vide sur lequel le cinéaste nous permet de projeter nos angoisses et fait du spectateur un des visages des victimes qui seront poussées à tuer pour trouver une échappatoire à leurs névroses. Il est bien plus la représentation d’une idée, qu’un tueur en série machiavélique. Comme il le fera plus tard, avec Creepy, Kurosawa donne un corps à la perversité du capitalisme dont l’idéologie a fini par s’imposer globalement à la fin des années 90. Débarrassé de sa Némésis bolchevique, le système économique libéral a progressivement utilisé l’image attrayante de la démocratie et de la liberté pour inciter les « ressources humaines » à édicter un management de la terreur, poussant tout à chacun à des gestes humiliants pour se faire une place dans une société de plus en plus compétitive. C’est ainsi qu’il faut entendre les propos du tueur : « ce que j’avais à l’intérieur est maintenant à l’extérieur, en échange, j’infiltre les esprits et le mien est plein de vide ». Ainsi, chaque conséquence criminelle du capitalisme ne sera pas forcément liée à cette idéologie, l’individu reste responsable de ses actes.

Cinématraque, Cure, 3

Blu-ray,

Image :

Si nous n’avons pas d’indication précise de l’origine de la restauration en haute-définition de la copie, il est très probable qu’elle provienne du même master utilisé par l’éditeur anglais Eureka en 2018. Le travail récent permet de profiter de plus de finesse dans le traitement de l’image et le respect du matériel de base, on se retrouve avec cette copie de Cure devant le film tel qu’il a pu être projeté à l’époque en pellicule. C’est le moins que l’on puisse attendre de Carlotta qui à ce sujet ne nous a jamais déçus.

Son :

Cure est sorti au cinéma avec un son stéréo, le Blu-ray affiche quant à lui deux mixages sonores au choix : DTS-HD Master audio 5.1 et DTS-HD Master audio 2.0. Le second fait largement l’affaire pour ceux qui n’ont pas forcément un équipement de folie.



Suppléments :

Il ne s’agit sans doute pas du Blu-ray le plus riche en extras de Carlotta, mais ils sont toujours au niveau de qualité auquel nous a habitué l’éditeur :

  • Le jouet du démon :

L’essayiste et spécialiste du cinéma asiatique Stéphane du Mesnildot analyse finement le film pendant 22 minutes insistant sur l’influence d’un fait divers, l’attaque au Sarin du métro de Tokyo par la secte Ohm. Il revient également sur la façon dont Cure et le travail de Kurosawa ont modernisé la J-Horror.

  • Entretien avec Kiyoshi Kurosawa (15 min)

Probablement le premier interview captée en France du réalisateur où il évoque l’angoisse du japon de l’époque qu’il a tenté de retranscrire à travers ce long métrage.

Bande-annonce originale.

Cure de Kiyoshi Kurosawa (1997) avec Kōji Yakusho, Masato Hagiwara, Tsuyoshi Ujiki et Anna Nakagawa. Sortie Blu-ray le 28 juillet 2021.

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