Les Olympiades : Ultra-moderne solitude

Quartier du XIIIe arrondissement de Paris associé principalement aux diasporas asiatiques et particulièrement chinoises de la capitale, les Olympiades se retrouvent au cœur du nouveau film de Jacques Audiard, qui marque son retour en compétition, lui qui n’y était pas retourné depuis Dheepan, auréolé d’une Palme d’Or en 2015 qui avait dans son temps pas mal divisé (pour ne pas dire plus). Après l’expérience compliquée et frustrante des Frères Sister, sa rencontre ratée avec le cinéma américain, et un passage par la case télé sur Le Bureau des Légendes, Audiard retournait cette année sur la Croisette pour une collaboration de prestige qui a immédiatement attiré l’attention générale : Céline Sciamma et Léa Mysius (la réalisatrice d’Ava), co-scénaristes de ces Olympiades.

Adaptant pour l’occasion trois courtes histoires du recueil Les Intrus de l’auteur de bande dessinée américain Adrian Tomine, le film d’Audiard relocalise son action dans les tours du quartier Olympiades autour de quatre personnages : Emilie (la débutante Lucie Zhang), jeune employée de call-center, Camille (Makita Samba), professeur de lettres remplaçant en banlieue, Nora (Noémie Merlant), trentenaire montée sur Paris pour reprendre des études de droit et enfin Amber (Jenny Beth), cam-girl dont la ressemblance physique avec Nora va entraîner leur rencontre. Personnages composites des héros des trois nouvelles, ils vont se croiser, s’aimer, se quitter au cœur du quartier où ils habitent tous.

Ce quartette amoureux, Jacques Audiard les filme avec la fluidité de leurs identités, mais aussi de leur langue, parfois très littéraire, parfois très triviale, passant du français au mandarin avec autant une aisance rafraîchissante. Son film est un film moderne mais pas pour faire moderne, tandis que l’apport de Céline Sciamma et Léa Mysius permet à ce grand cinéaste de la masculinité d’aller se confronter à de beaux portraits de femmes, au point que le film porte véritablement la marque de cette écriture à six mains, pour un résultat qui aurait été inenvisageable autrement.

Les Olympiades reste certes un petit objet de cinéma, probablement un peu trop petit pour la compétition, bien que le reproche puisse être fait à pas mal de ses concurrents cette année. Certaines coutures un peu visibles dans la manière dont les trois nouvelles originales ont été tissées ensemble, certaines scories dans le rythme, et une certaine modestie de ton au-dessus de laquelle le film ne cherche jamais à s’élever font de ces Olympiades un Audiard mineur, néanmoins porté par le score inspiré de Rone, qui habille notamment une superbe scène de rencontre dans les Buttes-Chaumont, l’une des rares escapades du film au-delà des murs du XIIIe arrondissement.

Pour autant, Les Olympiades est loin d’être une déception, loin de là. D’abord, outre la confirmation du fabuleux talent de Noémie Merlant, il met sur le devant de la scène deux belles promesses du cinéma français, Makita Samba et surtout Lucie Zhang, qui pour son premier long-métrage au cinéma explose tout avec sa bouille revêche et rêveuse, insufflant une énergie brute à un personnage assez casse-gueule sur le papier. Ensuite, il fait souffler un vent de jeunesse, de légèreté et de romantisme sur une Croisette qui commençait gentiment à s’assoupir, parce qu’au fond un joli fil mineur vaudra toujours mieux qu’une grosse croûte qui vise la grande œuvre. Enfin, on pourrait surtout être tenté de dire que Les Olympiades est probablement ce qui pouvait arriver de mieux actuellement au cinéma de Jacques Audiard.

Embourbé dans un cinéma qui n’arrivait pas ces dernières années à retrouver la force et le trouble de ses grands portraits d’homme en crise (De battre mon cœur s’est arrêté, Un prophète…), Audiard, beau cinéaste de la masculinité moderne parfois mal compris, choisit ici de lâcher un peu la bride, explorer un territoire cinématographique qui n’était pas le sien. Avec ce beau petit film, hommage à un quartier où il a longtemps vécu et qu’il veut célébrer comme le creuset culturel et architectural qu’il est, le réalisateur creuse une nouvelle veine dans son cinéma personnel et intime, dont on espère qu’elle l’aidera à revigorer une œuvre qui menaçait de s’endormir. Pour cette fois-ci, on s’en contentera largement.

Les Olympiades de Jacques Audiard, avec Lucie Zhang, Makita Samba et Noémie Merlant, sortie en salles prévue le 27 octobre

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