Il n’est pas surprenant que nombre de plumes dans la sphère critique américaine aient comparé le nouveau film de John Lee Hancock au Seven de David Fincher. Une affaire de détails, disponible en France en VOD et format vidéo depuis ce mois de mai, met en scène un duo de détectives (Rami Malek, jeune et dynamique, et Denzel Washington, âgé et marqué par des traumatismes) qui en 1990 enquêtent sur une série de meurtres en série dans une esthétique sombre et poisseuse. Au fur et à mesure de leur enquête, on va découvrir comment le jeune enquêteur a tout à perdre, comment le vieux shérif a déjà tout perdu, et rencontrer un mystérieux personnage qui pourrait bien être un terrible psychopathe. Qui est joué par Jared Leto évidemment, qui ne rate jamais une occasion de paraître détestable. Une affaire de détails est une descente aux enfers dans la noirceur la plus indélébile de l’âme, au dernier acte troublant et dont les personnages ne sortent pas indemnes… Oui, en effet, on voit la parenté fincherienne.
Il est à ce titre dommage que ces mêmes plumes ne fassent pas l’effort de rappeler que les similitudes sont plus logiques qu’il n’y paraît : le scénariste et réalisateur John Lee Hancock, connu surtout pour son film de sport inspirant et très « white savior » The Blind Side et le très bon The Founder sur les débuts de McDonald’s, avait écrit ce film en 1993. Soit deux ans avant la sortie de Seven. A ce titre il souffre donc d’un syndrome qu’on appellera « l’effet John Carter » : même s’il avait pu être original lors de sa conception, il sort trop tard pour sortir du lot. Peu importe que la photographie soit superbe*, le casting formidable, et le tout rondement mené : en 2021 c’est du déjà-vu, du réchauffé, du autre-expression-pour-dire-déjà-vu.
Une affaire de détails est donc un film moyen, que beaucoup pourront qualifier de dispensable. Mais prenons un moment pour descendre de nos grands chevals (on a que deux chevals à la rédaction. C’est à partir de trois qu’on dit chevaux), et prenons le contre-pied de notre argumentaire. Oui, le film n’est pas exceptionnel et ne réinvente pas la roue, mais il entre parfaitement dans la catégorie du cinéma-confort. Le cinéma un tant soit peu inoffensif qui vient égayer un dimanche après-midi pluvieux, un samedi soir solitaire à siroter une bière, tandis que vos voisins d’en face font un peu trop la fête et se prennent des œufs dans la face lancés par d’autres voisins aigris… Toute ressemblance avec ma vie est purement fortuite.
Parce qu’on va pas se mentir, la vie c’est quand même bien de la merde, et il faut bien trouver des moyens de tenir bon et continuer à avancer. Ce moyen pour certains et certaines, c’est se mettre à la broderie, se perdre dans Zelda Breath of the Wild ou fabriquer des vulves en céramiques. Pour moi ce moyen, C’est Denzel Washington. C’est la seule et unique raison qui m’a donné envie de voir ce film.
Revenons en arrière : il y a quelques mois, alors que nous étions encore en pleine pandémie (elle s’arrête le 19 mai apparemment), le moral n’était pas vraiment au mieux. La pièce de théâtre que j’ai écrite croupissait dans les limbes des théâtres fermés, le couvre-feu à 18h rendait toutes mes soirées désespérément tristes, et Darmanin était toujours ministre de l’intérieur. Sur un coup de tête, j’ai lancé Unstoppable de Tony Scott sur OCS. Et j’me suis dit quand même, ce Denzel Washington est bien attachant en plus d’être un formidable acteur. Alors j’ai enchaîné avec d’autres films de Tony Scott pour revoir Denzel… Puis je suis passé à Spike Lee, à Edward Zwick, Antoine Fuqua, et bien d’autres. Je ne pouvais plus que regarder des films avec Denzel.
Pourquoi cette obsession ? Pour d’une part le plaisir de retrouver un visage familier, à différents stades de sa vie. A chaque film, j’étais fébrile dès les premières scènes : comment Denzel sera-t-il introduit cette fois ? Parfois il apparaît en retrait comme dans Glory de Zwick, et vole toutes les scènes où il se trouve dès qu’il le peut. Chez Tony Scott, il est iconisé comme jamais : c’est limite si je criais « DENZEL » devant ma télé à chacune de ses premières apparitions. L’autre raison est la persona que l’acteur a construit durant les trois dernières décennies : Denzel a beau souvent jouer des types brillants – et presque toujours des flics -, il est avant tout monsieur tout le monde. Conducteur de train, employé d’un magasin de bricolages, coach de foot américain au lycée, il a toujours un côté rassurant parce qu’il donne l’impression de représenter le petit peuple face aux technocrates et autres hauts gradés. Dans cette période de pandémie et sous la direction d’un gouvernement aux compétences abyssales et au mépris intergalactique, il est d’autant plus facile de tomber sous le charme d’un Denzel de la plèbe qui entend bien remettre en place les plus grands. C’est d’ailleurs bien pour cela que l’on a pris l’habitude de l’appeler par son prénom : à force on a l’impression de le connaître.
Une affaire de détails est le dernier film en date que j’ai pu voir lors de ce long marathon Denzel, et s’il n’est pas le meilleur (ni le pire, il faut absolument voir Ricochet à ce titre. Seul film capable de passer d’une scène où Denzel se fout à poil pour prouver à un criminel qu’il n’est pas armé à une scène où le héros est drogué et violé un peu plus tard…) on peut lui reconnaître qu’il s’inscrit parfaitement dans la filmographie d’un des plus grands acteurs de l’histoire du cinéma américain. Denzel y vient avec ses yeux tristes et sa mélancolie des personnages désabusés (même si les raisons, comme on le découvre en fin du film, sont plus éclatés au sol que le taco du célèbre Vine), sa confiance et son côté « mains dans le cambouis » qui le rendent si affables. Et rien que ça, c’est beau putain.
On a tous besoin de s’accrocher à quelque chose pour tenir. Moi c’était Denzel. Et vous ?
Une affaire de détails, un film écrit et réalisé par John Lee Hancock, avec Denzel Washington, Rami Malek et Jared Leto. En VOD et vidéo chez Warner depuis mai 2021.
*Je dis que la photo est superbe mais pour le constater j’ai dû aller mater des scènes sur Youtube, puisque le DVD que m’a envoyé la Warner pour tester le film a été encodé avec les pieds. C’était du 360p, vraiment immonde, je ne comprends pas trop ce qui s’est passé mais ça m’a bien gâché le plaisir de ne pas pouvoir me perdre dans chacune des rides du front de Denzel.