[ANNECY 2019] Jour 4 : fantastique.

Après une soirée bien étrange sur une patinoire aux couleurs de Netflix, à faire du patin, boire des Spritz, manger de la raclette et sans déconner je vous jure que c’est vrai, récupérer une boule à neige à notre effigie je vous promets que c’est réel ce que je raconte, Netflix a vraiment trop d’argent à dépenser… Nous voilà de retour au travail.

Aujourd’hui, on vous parle justement du premier film d’animation distribué par Netflix, le Klaus de Sergio Pablo, mais aussi de la prochaine série de Genndy Tartakovsky, d’un grand moment de cinéma français et d’un curieux poème animé qui nous arrive du Canada.

J’ai perdu mon corps

Dès les cinq premières minutes du premier long métrage de Clapin, on comprend très vite qu’il se passe quelque chose de spécial. Lorsque cette main, à la manière de la Chose (pas celle de Carpenter, pas celle des Quatre Fantastiques, celle de la famille Adams) fuit le frigo et se faufile loin des regards d’un homme, on est tout de suite happé : cette main animée, cette monstruosité qui serait habituellement l’antagoniste, devient en quelques secondes notre protégée. Que le moindre mal lui arrive, et nous en serons blessés comme si c’était à nous que les coups s’adressent.

Et des maux, il y en a des tonnes. J’ai perdu mon corps raconte l’épopée d’une main cherchant à… retrouver son corps, le titre est assez explicite en fait je n’avais probablement pas besoin de vous décrire cela, mais au moins je ne perds personne en route. Cette aventure est entrecoupée d’épisodes de la vie du corps en question, avant que la main s’en sépare ; celui d’un jeune garçon français d’origine arabe qui cherche à se faire une place dans le monde après avoir tout perdu. Mais ce n’est pas une tragédie, ni tragique ; malgré le drame, c’est une célébration permanente. Des maladresses et de la tendresse des personnes qui n’ont pas choisi d’être singuliers.

J’ai perdu mon corps > Pickle Rick

Je n’ai pas envie d’en écrire des tonnes et des tonnes, parce qu’il est très tard et que je veux dormir pour être en forme pour la Reine des Neiges 2 (yakoi) mais surtout parce que J’ai perdu mon corps est pour l’instant trop puissant pour mes mots. Bien sûr j’y vois des défauts qui naissent de ma propre subjectivité, notamment dans quelques choix de scénario, mais dans l’ensemble, que partager d’autre que de l’émerveillement ? De la joie pure face à un tel objet de cinéma ? Un montage d’une telle intelligence, à la fois dans la suggestion poétique et l’action qui nous fait oublier qu’on doit respirer à intervalles réguliers ? Une interprétation aussi juste, aussi touchante qu’on ne peut s’empêcher de tomber amoureux de tous les personnages instantanément (attention les hétéros, n’essayez pas ça chez vous) ? Une pensée du cadre et des techniques d’animations qui s’y inscrivent aussi justes ? Comme le Garp du roman de John Irving qui apparaît dans le film, nous sommes face à l’oeuvre, innocents. Déboussolés, aussi. Clapin aura beau perdre tout le corps qu’il voudra, il va certainement gagner un Crystal.

WIP Klaus : Netflix et Sergio Pablos à l’assaut.

De tout l’important espace occupé par Netflix sur le festival cette année le Work in Progress (WIP) de Klaus était sans doute l’évènement le plus attendu. Les deux directeurs artistique Szymon Aleksander Biernacki et Marcin Jakuboski ainsi que le réalisateur Sergio Pablos avaient fait le chemin depuis le studio madrilène, quatre ans après le focus sur Sergio Pablos Animation, studio fondé par le réalisateur après qu’il ait quitté Disney où il était animateur de personnages comme Hadès, Tantor ou Frollo. Entre temps une des plus grosses franchises de ces dix dernières années a été créé sur la base de son scénario et ses personnages : Moi, Moche et Méchant. Ce qui fait tourner le studio depuis sa création c’est la délégation pour des gros projets d’autres studios comme le développement visuel, le storyboard, l’animation, le design de personnage. Toutes les étapes nécessaires pour la fabrication de Klaus et sa longue genèse, leur premier court-métrage.

Le projet remonte à 2010, quand Sergio Pablos s’est dit que les origines du Père Noël n’avaient jamais été transposé en long d’animation (Les Cinq légendes ne sortira que deux ans plus tard). En quête d’un point de vue original il a eu l’idée, gardée ensuite, de ce fils du responsable du service postal dans ce qui s’apparente à la Scandinavie du milieu du 19ème siècle. Fainéant, suffisant, il se retrouve alors propulsé dans un petit village insulaire du nord du pays, chargé de redynamiser le service postal laissé à l’abandon. L’ambiance sur place est rythmée par la guerre que se mène deux familles rivales depuis des générations, empêchant même les enfants d’aller à l’école. Lors d’une tournée il fait la rencontre de Klaus, ancien fabricant de jouets qui cache un lourd secret.

Nos lecteurs face à nos fautes d’orthographe.

La situation était alors compliquée pour le studio puisque deux ans auparavant s’était arrêté le développement de Giacomo’s Secret, période où il commençait à devenir difficile de développer des longs en animation 2D traditionnelle. C’est pourtant sur cette base là que le développement de Klaus a commencé, l’équipe étant très attaché au geste manuel, au grain du rendu couleur. Mais rapidement les plus grands studios ont décliné leur intérêt pour le projet, trouvant le style trop daté. C’est alors que Marcin Jakuboski, peintre de formation a commencé à penser à comment donner du volume à l’animation 2D. Un travail titanesque lui a permis de mettre au point une technique de peinture et éclairage sur personnage 2D. On passe alors du dessin au trait à un dessin vectorisé puis de la lumière à l’étape du compositing qui vient tailler la silhouette et donner une sensation de volume aux personnages, prenant le soin de ne pas modeler ce qui sort du point de vue de la caméra.

C’est sur cette base que s’est développée le proof of concept diffusé il y a quatre ans et qui avait alors fait sensation. En effet les deux minutes mises en ligne ont tout de suite frappé par leur originalité graphique. Les équipes ont ensuite envisagé de faire évoluer les personnages dans des décors en volume avant de se raviser, à raison. Les décors sont tout simplement ahurissant de beauté, d’inspiration brueghellienne ou imprégné du travail du graphiste Pascal Campion. Les passages qui nous ont été montrés sont une pure merveille visuellement, le travail sur la lumière est saisissant. Le réalisateur a tenu à donner des références contemporaines pour certaines scènes, comme le fameux « Say my name » de Breaking Bad pour un échange entre Jester le personnage principal qui met la pression à un gamin de huit ans pour qu’il ne jette pas sa boule de neige. Un soin tout particulier est également apporté aux décors, traités comme un personnage à part entière, évoluant au cours du film.

Ma réserve si je dois en avoir une après cette présentation serait sans doute du côté du scénario et de la caractérisation des personnages principaux. Jesper est l’archétype du personnage étourdis, loquace, et risquant de former le classique duo grand costaud mutique bourru et petit frêle excité. A voir également ce qui va être dis sur la figure du Père Noël, et le rapport en sa croyance par les enfants et l’obligation à être sage. La plupart des extraits qui nous ont été montré sont d’une grande qualité, autant au niveau du design, que de la réalisation, de la lumière, et très drôle. Mais je ne retiendrais pas le moment un peu gênant où Jesper pitche le concept de Noël à Klaus avec son white board façon start-up nation. Réponse à la fin de l’année sur Netflix. Par ailleurs, nous avons eu la chance d’interviewer Sergio, Szymon Aleksander Biernacki et Marcin Jakuboski, vous pourrez donc bientôt en savoir davantage.

SheforHe, nouveau motto du CNC #lesvraissavent

Ville Neuve : Déni de rupture.

Nous sommes en 1995. Joseph s’installe dans une maison au bord de la mer, sur les côtes, et convie son ex-femme à le rejoindre. Tandis que dans le pays, le Québec s’apprête à voter le référendum sur son indépendance, un homme tente de reconquérir une femme dans une demeure coupée du monde. Prise de conscience des erreurs passées ? Peur face à la vieillesse, l’incertitude de l’avenir et la certitude la mort ? Rien n’est simple quand deux êtres se sont longtemps aimés… Il y a longtemps.

Ce long-métrage atypique, puisqu’il s’agit de peinture sur papier (quatre ans de travail), frappe d’abord par son esthétisme. Nous sommes soit envahis de blanc, soit de noir. Il reste alors, autour de l’animation très minimaliste, la parole. En effet si l’on retiendra quelque chose de Ville Neuve, dont je l’avoue je ne sais pas vraiment quoi penser, c’est son verbe. Il est plus simple de penser ce film comme un poème visuel qu’un récit animé. Bien sûr, on comprend les parallèles entre l’instabilité du futur du Québec et celui du héros, mais la plus belle scène du film ne leur appartient pas. Non, ce qui sera certainement compris comme la grande réussite de Ville Neuve, c’est la séquence formidable où Emma lit un de ses textes. A l’image de Joseph, qui ne sait comment réagir face aux mots de son ex-femme, le film ne sait pas trop quoi faire de ce moment qui offre un autre point de vue sur la relation. Qui soudain fuit l’homme et son regard, celui qui est habitué à tout ramener à lui. Cette scène formidable n’est donc pas solvable dans le tout qu’est Ville Neuve ; c’est elle qui sonne le glas.

WIP Primal : Genndy dans la place

Fuck yes.

Dés l’annonce du programme, le Work in Progress de la nouvelle série de Genndy Tartakosky est aussitôt devenu pour moi l’évènement majeur du festival. Une joie de retrouver cet immense artiste un peu plus de deux ans après la diffusion de la cinquième et dernière saison de Samouraï Jack que l’on pourrait considérer comme son oeuvre majeure à ce jour. Qui l’a un jour rencontré se souvient de son énergie communicative pour parler de son travail. C’est donc un euphémisme de dire que nous étions impatients à l’idée de découvrir ce nouveau projet, dont n’avait été communiqué qu’un visuel, et le titre : Primal.

La séance commence : Tartakovsky rentre sur scène, enthousiaste à l’idée de faire découvrir son nouveau projet à un public avisé qui l’accueille comme une rockstar. Il ne dira pas plus que sa nouvelle série au format 10x22min ne comporte pas une seule ligne de dialogue, avant de se retirer sous les applaudissements, et l’épisode de démarrer. Les minutes qui suivront seront parmi les plus intenses qui m’aient été données de voir dans un dessin animé télé depuis longtemps.

L’épisode s’ouvre sur un cours d’eau, paisible, un poisson rentre dans le cadre, aussitôt transpercer par la lance de l’homme qui chasse, nommé Spear. On découvre alors un homme des cavernes qui n’a de Samouraï Jack que la chevelure noir ébène hirsute du début de la saison 5. L’homme des cavernes est un cube de puissance, fait de muscle et de poils, aux bras de dimension égale à ses jambes. Après avoir évité de justesse une attaque de crocodile il embarque avec lui le fruit de sa pêche. Son chemin dans cette forêt de grands arbres est interrompu par l’apparition d’un ptéranodon en chasse. Car oui Primal prend place dans une préhistoire fantasmée où hommes et dinosaures vivent dans une évidente disharmonie. Alors qu’il arrive à son campement il va vivre une tragédie qui va le mettre en face de ses propres démons. En fin d’épisode il va alors trouver pour monture un tyrannosaure ayant vécu le même drame que lui.

Sans une ligne de dialogue, dans un espace sonore fait de grognements, rugissements, une musique faite de percussions accompagnant un cadrage précis et une animation libre et dynamique, les enjeux sont posés ainsi que les relations entre les personnages. Ce premier épisode frappe par sa puissance et se présente comme une démonstration du médium, où le dessin, animé est source de l’énergie de la séquence. Le projet est né de l’envie de Tartakovsky de mettre en scène son fantasme enfantin de voir un homme des cavernes chevaucher un énorme dinosaure. A la fin de la saison 5 de Samouraï Jack quand le patron d’Adult Swim lui a demandé ce qu’il plannifiait ensuite le réalisateur lui a répondu « Homme des cavernes, dinosaure, action, violence, drame », un pari un peu fou que le producteur a aussitôt accepté d’accompagner.

Cette liberté et cette notion de confiance est également ce qui caractérise la relation entre Tartakovsky et le studio français La Cachette qui fabrique la série à Paris. Genndy, avide d’animation de qualité, passe beaucoup de temps à visionner des court-métrages et bandes démo, et note les noms des artistes dont il estime le travail. C’est donc après avoir été bluffé par le trailer de la bande dessinée Kaïros réalisée par les français qu’il leur a proposé de travailler avec eux sur ce projet. Proposition immédiatement acceptée par le gérant du studio, bien conscient qu’il y avait là un challenge de taille à relever. Car si travailler avec Tartakovsky est de prime abord excitant il n’est pas aisé de contenter son exigence. A la différence d’une délégation classique dans le domaine qui oblige à livrer quantité de bibles graphiques, de réalisation, etc, à suivre à la lettre, le studio s’est vu fournir très peu de matériel. Quelques magnifiques décors de Scott Wills, le design de plusieurs personnages, certaines poses clés pour l’animation et voilà tout. Il revenait aux animateurs de les intervaller, au layout man d’opérer le choix des décors secondaires, des textures, etc. La collaboration s’est bien passée, sur base d’une grande liberté de création dans ce qui est plus que des détails, Tartakovsky rectifiait certaines poses, demandait à réanimer certaines séquences en se basant sur un pas de 2 très japanim. Un plaisir pour les animateurs de s’amuser à triturer les modèles de sorte que le personnage ne soit jamais identique d’une frame à l’autre, de donner au personnage une expression faciale unique puisque aucune planche de facing n’était fournie.

Un long chemin a été parcouru depuis le bout à bout des panels du storyboard accompagnés du sound design et dialogues bruités à la bouche par Tartakovsky rehaussé des intentions de mise en scène fournis au studio La Cachette au tout début du projet. Leur travail d’orfèvre a parfaitement rendu compte des intentions du réalisateur dans son désir de livrer une série très pulp, entre Conan et des comics 70s, et en même temps à l’identité propre, très graphique. Ici le sang est rouge, loin de l’huile de moteur des robots de Samouraï Jack.

La présentation s’est terminée par un traditionnel rapide questions-réponses qui a permis au public de constater la faculté de Tartakovsky à toujours tirer le meilleur d’une question pour en fournir une réponse étayée et riche. Il a conseillé aux jeunes générations d’artistes de prendre le temps de trouver leur voix, et d’essayer de la suivre au mieux. De ne surtout pas faire quelque chose parce qu’elle est tendance, de se démarquer du tout venant, mais de le faire avec une transparente sincérité. Un conseil que Tartakovsky a lui-même suivi, et que son œuvre faite d’emprunts multiples, à l’originalité et à la liberté sans bornes, reflète parfaitement. Primal s’inscrit dans cette lignée.

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