[ANNECY 2019] Jour 3, on y va !

Notre deuxième journée s’est achevée par une célébration ; celle des 20 ans d’Eurozoom dans un hôtel sublime. L’occasion de parler avec les différents agents du distributeur de leurs succès, de se faire gronder parce qu’on a pas adoré Les Enfants de la Mer, se faire enfermer sur le toit – probablement à cause du point précédent -, et de sympathiser avec des nouveaux camarades ibériques. Parmi eux, un scénariste catalan qui a écrit des vannes sur Manuel Valls pour un Late Night Show ; vous l’aimez déjà, et nous aussi.

Mais le travail nous appelle et l’on retourne donc dans les salles de cinéma pour vous parler d’animation. Fatigués, toujours un peu bourrés, mais motivés parce qu’il y a encore de très belles choses à découvrir. Et non, on ne parle pas de l’annonce d’un film d’animation sur les Spice Girls.

L’extraordinaire voyage de Marona

L’animation, médium de tous les possibles nous permet de désaxer notre regard, pour passer de la jeunesse japonaise (oui en vérité j’ai vu ce film après Ride Your Wave) à celui d’une chienne avec L’Extraordinaire voyage de Marona, produit entre la France, la Belgique et la Roumanie et réalisé par Anca Damian. Après un terrible événement, la chienne, personnage principal du film décide de raconter sa vie de sa naissance à cet instant tragique, revisitant, humour mis de côté, le fameux gimmick « record scratch ».

Tant de douceur dans une seule image.

Nous voilà alors plongé dans la vie de Marona, issue de l’union entre son père, dog argentin raciste, et sa mère d’une race plus petite façon bichon, dont elle s’est retrouvée séparée à la naissance. La réalisatrice fait le choix de doter la chienne de la parole non pas en animant sa bouche mais par une voix-off douce qui donne au film son ambiance apaisée, bien que ce qu’il raconte soit terriblement dur et singulier.

De rencontre en rencontre Marona raconte son expérience des hommes via sa relation à ses maîtres, de l’apprentissage du comportement qu’elle se doit d’avoir auprès des humains de part sa condition de meilleur ami de ces derniers, jusqu’à comment ils ont finis par la décevoir. La force du film réside dans sa capacité à ne pas forcer le pathos, la narration à la première personne du point de vue original canin permet une empathie immédiate. A travers des situations simples de la vie de tous les jours, le film pose un regard tendre sur notre condition, notre violence, mais aussi nos faiblesses et contradictions. Si bien vite on en vient à se dire que les hommes ne méritent pas la compagnie des chiens, c’est avant tout un message inconditionnel d’amour qui est ici délivré, et il est évidemment impossible de ne pas penser aux propriétaires de chien qui abandonnent injustement et quelques soient leurs raisons, leur animal de compagnie, geste cruel et déchirant.

Si le long-métrage émeut autant c’est aussi grâce à son audace visuelle, issue de la créativité folle de Brecht Evens. Son univers graphique dessiné à la main, fait de couleurs vives, d’une absence de ligne, et de créatures abracadabrantesques, est parfaitement retranscrit à l’écran. Qu’il s’agisse d’une transposition directe en 2D ou bien en volume, cette fabrication sur After Effects permet de construire un univers foisonnant, où les points de fuites et contours des lieux disparaissent. Une animation qui permet les séquences oniriques les plus belles, comme celle de l’acrobate, pour une film à la poésie rayonnante.

Gwen, le livre de Sable : retour aux sources de Laguionie

« Si je tombe de là je vais me latter la gueule sévère… »

Ému comme Lucas, qui a écrit hier sur le dernier film de Laguionie Le voyage du Prince, j’ai décidé de chambouler mon programme et d’aller voir une diffusion de son tout premier long métrage, en version remasterisée. En effet, un livre sort sur le sujet et le film ressort au cinéma en octobre prochain ! A l’époque, Gwen n’avait pas été un succès commercial du tout : Gaumont, qui distribuait le film, ne savait pas quoi en faire. Il s’agit d’une oeuvre poétique sur des nomades dans un désert mythique, rempli d’objets du quotidien (téléphones, horloges, chaussures) parfois gigantesques et parfois minuscules. À l’époque des Lucky Luke et des Astérix, comme le dit Laguionie, personne ne savait quoi faire de ce film.

En le revoyant aujourd’hui, le réalisateur est assez dur sur son scénario ; il le trouve mal construit et mal dosé. D’ailleurs au moment de la production, il n’avait pas de fin ! Tous les matins sur le plateau, quelqu’un proposait une idée ; le soir, tout le monde décrétait que c’était une idée de merde… Et on recommençait le lendemain. Ce déséquilibre dans le film fait pourtant une partie de son charme… Mais on est en droit de se demander comment le public actuel va accueillir le film en octobre prochain. Depuis les années 2000 et les cours de scénarios de Vogel, Mckee et compagnie, le cinéma occidental a beaucoup évolué et les attentes des publics aussi : Gwen, le livre de sable était déjà anachronique il y a quarante ans. Aujourd’hui, il l’est encore plus.

Cependant, il n’en est pas moins magnifique. Terriblement séduisant, par son dessin et son univers, mais aussi par son discours écologique, qui était purement esthétique pour Laguionie à l’époque mais qui est devenu prophétique entre temps. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec presque toute l’équipe du film après la séance : ils étaient quatre. Sur une équipe de cinq. Oui oui. Vous avez bien lu. Pendant quatre ans et demi, une bande de cinq amis s’est enfermée dans une maison à la campagne pour réaliser un long métrage compliqué, réalisant environ quatre secondes de film par jour. Quatre secondes par jour !

Gwen, nomade du désert, et un de ses objets du monde matérialiste qui pourrit dans le désert.

Pour avoir des décors vivants et de la perspective, la bande a souhaité utiliser la technique de Disney des couches de verres superposées à l’horizontale… Mais ça ne marchait pas. Ni à la verticale. Ils ont fini par faire leur propre machine, à 45°… Chacun se mettait sur une vitre, et déplaçait les éléments à la main sur la peinture à la gouache, avec des bouts de scotch. Le ciel avait été réalisé dans un atelier de sérigraphie et était éclairé par l’arrière…

C’est ce genre de rencontres qui fait qu’Annecy est un moment de cinéma merveilleux ; on y comprend réellement le génie de fabrication, l’inventivité inouïe des artistes et surtout la nature profondément collaboratrice du médium. Le cinéma d’animation, et celui de Laguionie donc, est un cinéma de la camaraderie.

Promare : explosion sensorielle venue du Japon.

C’est une séance tout bonnement exceptionnelle que nous ont proposé Eurozoom et Marcel Jean ce mercredi à 22h, puisque Promare venait tout juste de sortir au Japon. Dans la salle, des fans avec assez d’énergie pour alimenter toute une mégapole, ce qui promettait une nuit riche en émotions ! Oui, même s’il s’agit là d’un film entièrement original qui raconte les aventures de pompiers-mécha combattant des terroristes-mutants maniant un feu corporel venu d’une autre dimension (ça ne s’invente pas. Enfin si, justement, ça s’invente), le public était composé de fans ; et c’est grâce à deux noms. Le scénariste Kazuki Nashakima et le réalisateur Hiroyuki Imaishi, tous deux adulés pour leurs oeuvres Gurren Lagann et Kill La Kill, sont les créateurs de Promare.

Cette image résume bien la densité visuelle du film.

Si vous n’étiez pas friands du cynisme décomplexé de la série Kill La Kill, mais que vous appréciez tout de même l’originalité de sa narration, soyez rassurés : Promare est plus proche de Gurren Lagann parce que malgré son jusqu’au-boutisme survitaminé, cela reste un film plein de coeur. Le héros du film, Galo Thymos, est une nouvelle recrue des pompiers de la ville, un type un peu fou qui se balade torse nu et fanfaronne sur le feu de son âme de pompier. C’est le genre de personnage optimiste et un peu con que l’on ne peut s’empêcher de trouver attendrissant et inspirant. Mais le plus intéressant dans le film est sans nul doute son antagoniste, Lio Foti. Chef du groupe terroriste BURNISH, il représente une partie de la population qui est touchée par une mutation qui cause des combustions spontanées.

Qui dit terrorisme dit politique, et il ne sera pas surprenant donc de découvrir durant le film d’autres antagonistes, et de voir les différents camps sous une autre perspective… Le gouvernement et la police ne sont sans doute pas si gentils que ça. Évidemment, un film qui montre que les flics sont des pourris, ça n’est jamais pour nous déplaire à Cinématraque.

Au sortir de la séance, on retiendra sûrement l’énergie lessivante de Promare : pendant presque deux heures, ce sont des combats sans fin à l’animation totalement déglinguée qui nous arrivent en pleine figure, chaque scène promettant d’atteindre un nouveau palier du n’importe quoi épique. A titre de comparaison, le final pourtant époustouflant de Mazinger Z Infinity ressemble à côté de celui de Promare à un film de Tarkovski. Mais le plus dingue dans tout ça, c’est que malgré cet excès permanent, le scénario tient bon. Malgré toutes les extravagances, les retournements de situations et les moments attendus du genre, on est dans un film honnêtement bien écrit. Donc pourquoi bouder son plaisir ? Promare est exactement ce qu’il veut être : une grosse baffe dans ta gueule suivie d’un câlin tout chaud.

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