[ANNECY 2019] Récap jour 2 : à deux-mi mots.

C’est toujours sous des trombes de pluie que nous vivons notre meilleure vie à Annecy, baroudant de séance en séance et croisant sans cesse des camarades de jeu des mondes de la presse et de l’animation. Tout un petit peuple bien soudé pour résister au mauvais temps… Tous sauf Camélia Jordana, membre du jury cette année qui a décidé d’annuler sa venue dimanche. On balance, mais c’est quand même pas super sympa.

White Snake : Légende ancestrale remasterisée

La démarche derrière cette grosse production chinoise est tout à fait intéressante : comment adapter – pour le grand public – une légende en long métrage dynamique et entraînant ? Je suis très sérieux, la question se pose vraiment car notre rapport à la fiction a beaucoup évolué dans ces dernières décennies, et il devient de plus en plus difficile de marier la structure d’un conte traditionnel avec celle d’un film grand public et spectaculaire.

La réponse apportée par White Snake, qui sera bientôt distribué par la Warner, est – n’en déplaise à tous les gens dans la salle qui ont oublié de s’acheter des yeux et ont adoré – LAMENTABLE. On se retrouve avec une espèce de gloubi boulga de cinématiques de jeu vidéo beauf, où toute la poésie de l’histoire originale est remplacée par des recettes de film à succès. Et par de la beauferie bien misogyne, avec des personnages féminins ultra sexualisés juste pour le plaisir des yeux que le public a oublié de s’acheter.

Ugh.

Tout n’est pas affreux dans White Snake, loin de là. A part quelques plans surchargés, l’animation est dynamique et entraînante, la musique top, et l’approche épique aurait pu avoir son charme si le tout n’était pas aussi bancal. Pourtant, nous sommes très peu à avoir détesté ce film… Donc soit tout le monde a fumé et on a raison, soit on s’est mal remis de la soirée de la veille et c’est nous qui avons tort.

La fameuse invasion des Ours en Sicile : petit petit ours brun…

Justement nous parlions de comment adapter un conte : voici un film qui le fait avec brio. Adapté d’un roman illustré pour enfants du grand auteur italien Dino Buzzati, ce superbe long métrage n’a pas été bien accueilli à Cannes, principalement parce que le public cannois est une belle bande de bouffons.

L’histoire de La Fameuse Invasion des Ours en Sicile est celle d’un conteur ambulant et de sa fille, qui tombent sur un vieil ours dans une grotte lors de leur périple. Ensemble, les deux compères racontent alors à leur spectateur poilu un conte sur le roi des ours, Léonce, dont l’enfant avait été enlevé par des humains du royaume de Sicile. Après le conte, l’ours prend alors la parole et décide de raconter la suite de l’histoire, que le conteur ne connaissait pas…

J’ai rien à dire, c’est beau bordel de merde.

Tout est remarquable dans ce film. L’animation est assez épurée pour laisser l’imagination se promener dans les paysages, voire nous donner le vertige. La musique est à la fois discrète et superbe. La forme du conte et son rendu animé à travers les personnages (et leurs voix ; le doublage français est INCROYABLE) est parfaitement respectée, et surtout les thématiques explorées sont profondes, riches, multiples et ambitieuses. C’est qu’il s’agit avant tout d’un film pour enfants, mais un de ces films qui sait que les enfants comprennent beaucoup plus de choses que ce que l’on croit.

Aussi le jeune public y verra un récit d’apprentissage sur les erreurs que peuvent commettre leurs parents, ou encore une mise en garde sur les à priori vis à vis de la différence. Quant à l’adulte, il pourra y voir une réflexion actuelle sur les migrants ou sur la pluralité culturelle s’il le veut, mais ce serait passer totalement à côté du conte. Le choix de la Sicile n’est pas anodin ; c’est une des terres les plus colonisées durant l’Antiquité, une île qui mélange les civilisations dans tous les sens… Mais dont il ne reste que des ruines. Pas de détails, mais des légendes. Des histoires que les enfants comprendront, parce qu’ils sont, on l’a déjà dit, souvent plus malin que nous.

Présentation Dreamworks

Parmi les gros studios américains à venir à Annecy, Dreamworks est certainement celui qui connaît le mieux le festival, et qui respecte le mieux son histoire et son ambiance. Pas aussi guindé que Disney, les artistes et businesswomen du bonhomme qui pêche sur la lune ont commencé par nous offrir un montage sur la trilogie Dragons et par un petit coucou de Dean Deblois (en français s’il vous plait). Puis sont venus les choses sérieuses.

La prochaine production Dreamworks s’appelle Abominable, et a le mérite d’être une co-production chinoise. « Nous arrivons à nous entendre parfaitement, ce que nos dirigeants sont actuellement incapables de faire », s’amusait la directrice de Pearl avec celle de Dreamworks sous les rires et applaudissements de la grande salle de Bonlieu. Pourquoi co-production chinoise ? Sûrement pour des raisons commerciales de marché, mais toujours est-il que le film se passe en Chine, que les trois acteurs principaux sont doublés par des américains d’origines chinoises, et que des consultants se sont assurés du respect de la culture locale. Encore une fois, c’est une toute autre démarche que celle de Disney, qui a plutôt tendance à faire des recherches sur place tout seuls… En écrasant un peu les locaux.

La réalisatrice d’Abominable, un film qui parle d’un yéti et d’une jeune violoniste qui va l’aider à retourner chez lui, nous a montré 25 minutes de film ainsi que beaucoup d’éléments clés de l’histoire via des concepts arts et des storyboards : sans surprise, ça a l’air très bien. On retrouve ce travail très précis sur l’image et la narration sans dialogue, la recherche de l’émotion avant le gag et une place forte donnée à la musique… Tout ce qui fonctionnait déjà dans Dragons, dans Kung Fu Panda. Rien de révolutionnaire non plus, mais la joie de la réalisatrice Jill Culton s’est vite transmise au public ; il faut dire qu’il est toujours très apprécié pour les artistes d’être face à des spectateurs qui comprennent leur travail.

Ma pote Elise Zhong et sa bande, choqué.e.s que j’ai mis son nom dans un article.

La deuxième partie de la présentation n’était attendue par personne en dehors de moi-même (Captain Jim), mais avec les dix premières minutes de son film le réalisateur Walt Dohrn a réussi à intriguer son public : Trolls World Tour (Les Trolls 2 en France, car nous ne pissons pas sur l’hospitalité) arrive, attention à vous ! C’est le grand retour d’Anna Kendrick et Justin Timberlake en petits monstres qui chantent de la pop. Sauf que cette fois, leur royaume est en danger d’invasion par le méchant royaume métal, persuadé de la supériorité de son genre musical… Un choix narratif tellement évident qu’il me fait mal au coeur.

En plus de ça, le film comporte les royaumes de la techno, du funk, de la country et du smooth jazz… Oui, ça a l’air complètement zinzin. Le genre de production acidulé que l’on devrait s’injecter dans les veines directement pour réussir à rester éveillé lors de tout un festival. Trolls World Tour, on t’attend !

Le voyage du Prince : chef d’œuvre.

Jamais « séance évènement » annécienne ne porte aussi bien son nom que lorsqu’il s’agit de la projection d’un nouveau film de Jean-François Laguionie. Après un Grand Prix en 1965 et une place parmi le jury en 1966, le réalisateur s’est vu remettre le Cristal d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. L’occasion pour lui de revenir du haut de ses quatre-vingt ans sur les débuts du festival, avec humour et malice, époque révolue où l’intégralité du festival tenait dans deux autobus direction les alpages pour des pique-niques bons enfants.

Vingt ans après la sortie du Château des singes, inspiré du Baron perché d’Italo Calvino, JF Laguionie en propose ce qui s’apparente à une suite avec Le Voyage du Prince. Le film s’ouvre avec le dit prince, échoué sur un rivage étrange, qui va être recueuilli par le jeune Tom qui va le ramener vers ses parents, chercheurs en exil. Au cours de sa guérison le prince va peu à peu découvrir un monde qui lui est étrangé à la façon de Kom dans le premier film, sagesse déjà acquise en plus.

Cette séquence en ville et dans le trolley, le vertige…

On comprend bien vite que ce qui a poussé le réalisateur à prolonger son récit initial déjà emplis de sagesse est sa résonnance avec l’actualité. Un étranger, débarqué d’un monde inconnu par la mer, ne parlant pas la langue locale, ne saurait s’intégrer à une nouvelle société sans être analysé, et jugé sous toutes les coutures. Ce point de vu étranger va permettre de poser un regard extérieur sur le comportement des locaux. Cette suite est construite comme un journal de voyage façon Les lettres persanes, la voix du Prince occupant la plus grande partie du texte, et vient poser la question de la prétendu supériorité de l’homme civilisé.

Si le film emprunte beaucoup à la littérature il n’en demeure pas moins très cinématographique. La conservation du design des personnages, en passant d’une ligne claire dessinée tradi à des pantins en 3D rendu 2D permet une continuité entre les deux récits mais également une belle dynamique de l’animation. Les personnages évoluent dans des décors somptueux, des forêts tropicales, aux immenses intérieurs romantiques jusqu’à l’architecture urbaine de la Belle Epoque et ses expositions universelles. Ce mélange donne un côté comme hors du temps mais semble pourtant y être parfaitement ancré.

Laguionie se retrouve dans le personnage du prince, qui a de par son âge le recul nécessaire pour s’exprimer sur la folie des hommes, leur inarrêtable course industrielle qui leur fait perdre la place dans le cycle naturel, la peur de l’autre et sa mise en cage. Pour ne rien gâcher au plaisir, la musique de Christophe Heral est d’une rare élégance.

Le Voyage du prince s’apparente à un chant du cygne d’un réalisateur en pleine possession de ses moyens, qui d’un geste simple mais ô combien sublime, nous offre un conte philosphique irradiant d’humanité. Sachant, lui, s’intégrer dans un cycle, venant clôre tel une boucle ce qu’il me restait de l’enfance.

À demain !

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