Halloween de John Carpenter : Pourquoi est-ce que ça marche encore ?

A l’occasion de la ressortie par Splendor Films de quelques films de John Carpenter, nous vous proposons des articles centrés sur quelques-unes de ses œuvres les plus intéressantes. Ce n’est pas un secret, nous avons une grande passion pour le maître de l’horreur à Cinématraque ; voilà donc une belle occasion de lui rendre hommage.

  • John Carpenwho ?

Nous sommes en 1978 et personne ou presque ne connaît encore le nom de John Carpenter. Après de brèves études de cinéma à USC en 1968, où il rencontre notamment Dan O’Bannon (coauteur de son premier long, Dark Star, puis auteur original de Alien), et après quelques films totalement passés sous le radar (Someone’s Watching Me, Assault On Precinct 13), voilà que le bonhomme sort Halloween, s’inspirant des cinémas qu’il adore : ceux d’Alfred Hitchcock et de Dario Argento. L’histoire est si simple que c’en est presque insolent : un dangereux tueur (souvent, ils le sont) nommé Mike Myers s’évade de l’hôpital psychiatrique et retourne dans son quartier d’enfance. Son but ? Tuer dangereusement des gens, évidemment.

Le succès commercial est instantané pour Carpenter ; d’ailleurs il n’aura jamais réussi depuis à l’égaler. La majorité de ses créations ont été des échecs commerciaux et n’ont acquis le statut de films cultes qu’après réévaluation. Pourtant, avec un budget minuscule de 300 000 dollars, Halloween engrange la modeste somme de 70 millions au box-office, et donne naissance à d’innombrables suites et remakes. Enfin, innombrables. Non, j’ai menti, je voulais simplement dire qu’il y en a beaucoup : la franchise compte à ce jour onze films, ce qui est je pense qu’on est tous d’accord pour le reconnaître, beaucoup. Bref. C’est un putain de succès.

Qu’est-ce qui rend Halloween encore aussi actuel, quarante après ? Pourquoi est-ce que quarante ans après la sortie du premier volet – intitulé La Nuit des Masques en France – d’autres réalisateurs, auteurs et producteurs tentent encore de s’en emparer pour offrir au monde leur propre version du slasher au couteau de cuisine ? Qu’est-ce qui rend ce film si iconique encore aujourd’hui ? Est-ce ce seulement grâce au thème musical si angoissant, composé par Carpenter ? Est-ce grâce au masque du tueur, Mike « The Shape » Myers, dont les fans savent qu’il s’agit en réalité d’un masque de William Shatner ? Pourquoi ? Pourquoi ? POURQUOOOOOIIIII ? Voilà les questions qui nous obsèdent en ce mois d’octobre 2018.

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« Tu vas quand même pas me laisser planté là ? »
  • L’horreur de l’incertitude

Dans leur ouvrage Mythes et Masques : les fantômes de John Carpenter, Jean-Baptiste Thoret et Luc Lagier opposent la première séquence du film (un plan-séquence du point de vue de Mike Myers enfant commettant son premier meurtre) au reste du film, en théorisant que le didactisme de la caméra ne permet pas la peur dans ce début. Cette introduction installe deux choses : le dégoût lorsqu’on découvre que le tueur n’est qu’un enfant, et le mystère (pourquoi tue-t’il ?). Il n’y a aucune incertitude, on suit les pas du tueur comme sur des rails dans une attraction destinée à nous effrayer ; on est donc dans l’attente, et dans l’attendu. Ce n’est qu’ensuite que le film de Carpenter prend tout son sens ; la caméra privilégie ensuite les plans larges le long des rues du quartier résidentiel de Haddonfield… Une caméra au point de vue toujours ambigu, dans le sens où ne savons jamais quel point de vue elle adopte. La première séquence a fait son effet, nous nous demandons désormais à chaque plan si nous n’épousons pas le point de vue du tueur, observant Laurie Strode (interprétée par Jamie Lee Curtis, une des seules actrices convaincantes du premier volet. Soyons honnêtes, certaines performances sont presque aussi terrifiantes que le film) dans ses moindres déplacements. C’est une mise en scène du voyeurisme qui se retrouve détournée, subvertie et retournée contre le spectateur.

John Carpenter utilise un panaglide (l’ancêtre du steadicam) pour planer le long des rues, nous faire flotter de lieu en lieu dans l’attente d’une attaque, d’une apparition soudaine du tueur. On est à l’opposé total du jump scare, on pourrait même appeler ça le sink scare. On s’enlise dans une atmosphère qui laisse la peur s’installer de manière sous-jacente, dans les zones d’ombres du cadre de cette nuit du 31 octobre à Haddonfield. Ce sont ces zones d’ombres, visuelles et métaphoriques, qui permettent à la peur de s’installer. Rien de plus terrifiant par exemple que ce moment où Laurie ne sait pas qu’elle est face au tueur, quand celui-ci s’est recouvert d’un drap blanc tel un fantôme de pacotille prêt à mater Rooney Mara manger une tarte pendant dix minutes.

  • La simplicité avant les artifices

Le journaliste Ben Fritz vient de sortir un livre intitulé The Big Picture: The Fight For The Future Of Movies, que nous avons lu (parce que nous sommes sérieux et curieux de l’actualité du monde cinéma) en partie (parce que ne nous sommes pas si sérieux). Dans cet ouvrage, il théorise que les majors sont en train de détruire Hollywood parce qu’ils sont persuadés d’avoir compris comment fonctionne le business. Là où je suis en désaccord avec le bonhomme, c’est qu’il blâme le succès des grosses franchises Disney (Marvel, Star Wars) pour cette évolution. Or, je pense qu’un des problèmes les plus importants et graves de tout Hollywood actuellement, et qui touche également le cinéma français, c’est la nouvelle approche du scénario. Depuis les méthodes Robert McKee et de Christopher Vogler, depuis le livre de Blake Snyder qui décortique le script parfait page par page, les majors sont persuadés d’avoir compris la formule. Voilà le mot qui blesse et qui met à feu et à sang le cinéma de genre et le cinéma de spectacle : la formule. Les trois actes, les arcs narratifs des personnages, les intentions, les objectifs internes et externes, les obstacles, les désirs refoulés… Tant de choses qui sont très importantes, mais qui n’auraient jamais dû être résumées à une putain de formule.

Si l’on s’en tient à cette approche, jamais aucun studio n’aurait accepté le script de Halloween en 2018. Laurie Strode n’a aucun arc narratif, aucune motivation profonde. Elle commence en étant une jeune fille studieuse qui fait du baby-sitting, et termine en jeune fille studieuse qui fait du baby-sitting qui a réussi à échapper à un tueur à la force et la vitalité surhumaine. Les motivations du méchant ? Y en a pas. Halloween est d’une simplicité écrasante, il ne force pas une narration artificielle sur ses situations et c’est précisément de cela qu’il puise sa force. On en revient encore à cette idée de la suggestion, de l’ambiguïté : ce qui n’est pas dit, le spectateur peut l’apporter lui-même. Pas besoin de tout lui donner à la cuillère, et encore moins dans le cinéma de genre.

Quand tu as la chiasse et qu’en plus ton coloc chelou te matte.
  • Le cinéma d’horreur et la surenchère des interprétations farfelues

C’est précisément ce qui fait la force d’Halloween, et sa pérennité : grâce aux zones d’ombres, grâce à cette ambiguïté permanente que l’on retrouve dans l’esthétique et la narration, et grâce à son imagerie très forte, le film permet toutes sortes d’interprétations. C’est peut-être l’intérêt majeur du cinéma d’horreur bien pensé ; au-delà du sentiment de jouer à se faire peur (ce qui est exactement le principe de la fête d’Halloween, donc franchement ça c’est du titre de film bien trouvé), il se prête mieux que tout autre genre à la métaphore, la parabole, le commentaire. La lecture la plus connue, à cause de la saga Scream de Wes Craven notamment, c’est celle qui consiste à dire que The Shape, le tueur, punit les actes sexuels. Laurie Strode, comme elle ne pense pas aux garçons en permanence contrairement à ses amies, ne sera pas punie par le destin (il y a un parallèle entre le destin et le tueur dans le film, grâce à une scène de cours de littérature au début) et échappera à la mort. John Carpenter a révélé en interview qu’il n’avait pas du tout pensé à ça, et que pour lui le fait que Laurie Strode soit capable de s’en sortir est une glorification de la solitude et de l’indépendance : elle remarque tout de suite que quelque chose ne tourne pas rond dans le quartier, et c’est précisément parce qu’elle n’a pas la tête ailleurs. Seulement n’en déplaise à ce bon vieux John, c’est une interprétation totalement valable !

On peut aussi s’interroger sur ce que Carpenter veut raconter sur le Mal, avec un grand M comme celui qui est maudit : en refusant toute justification à la folie meurtrière de The Shape, en dissociant le tueur de l’humain Mike Myers, en mettant en avant « le croquemitaine », il explore sa propre peur. La peur la plus élémentaire ; celle de l’existence d’un mal qui ne serait pas lié aux vices des humains, qui dépasserait l’entendement. L’influence de Lovecraft est évidente, et c’est quelque chose que l’on retrouve dans ses films les plus personnels comme Prince of Darkness ou In The Mouth of Madness.

En revanche, les interprétations sous un angle politique sont – étrangement et malheureusement – plus rares. Bien sûr, quand il s’agit de New York 1997 ou de Invasion Los Angeles, c’est l’évidence même, mais on peut aussi voir dans Halloween une critique de la société américaine. Ces quartiers résidentiels, comme celui que l’on voit dans le film, qui ont commencés à se développer dans les années 50 pour éloigner les familles aisées des problèmes des centres-ville, sont une manière pour la bourgeoisie de fuir la réalité d’un pays malade. Dès que l’enfant Mike Myers sort du cadre par sa violence, il est expulsé dans l’hôpital psychiatrique, dans le noir, là où l’on va cacher tous les problèmes que l’on ne veut pas voir pour se faire croire qu’ils n’existent plus. Aussi le retour du tueur dans son quartier peut être vu comme l’implosion d’une société délétère, qui a gardé ses démons trop longtemps sous pression et qui se retrouve avec une explosion de sang dans la gueule.

Voilà pourquoi Halloween est encore si présent dans nos mémoires, quarante ans après : sa simplicité est la source même de sa richesse. À l’image de son tueur iconique, le film de John Carpenter est bel et bien increvable.

Halloween de John Carpenter, avec Donald Pleasence, Jamie Lee Curtis, P.J. Soles et Nick Castle. Initialement sorti en 1978, ressorti le 24 octobre 2018.

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