Repéré très tôt par la critique métropolitaine, David Gordon Green a progressivement désorienté la presse ciné par sa volonté de toujours se renouveler, de refuser de s’inscrire dans un genre. Si ses mélodrames avaient la faveur des journalistes, ses comédies furent de plus en plus méprisées par le gratin. Ici, nous avons très vite défendu le cinéaste. Ses tentatives de se confronter à l’écriture comique n’ont pas toujours été satisfaisantes, Votre Majesté en est la preuve. Pourtant, on peut reconnaître à Gordon Green d’avoir mis un point d’honneur à respecter les personnages et les histoires qu’il a souhaité filmer. À l’instar de Bruno Dumont en France il a pu synthétiser ses amours tragi-comiques, absurdes et vulgaires à travers sa série Eastbound and Down, connue dans nos contrées sous le rôle-titre Kenny Powers. Les deux cinéastes savent faire s’entrechoquer leur apprentissage classique avec l’imaginaire de la culture populaire : autant Ptit Quinquin et sa suite coin coin et les Zinhumain que Kenny Powers sont des vibrantes œuvres humanistes qui ont à cœur de porter en avant les déclassés et ceux qui ne sont rien.
Myers a besoin de Laurie, et Laurie besoin de Myers. Ce sont les deux versants du même masque.
Après cette parenthèse comique avec Prince of Texas comme climax, David Gordon Green est retourné à ses premières amours : le décevant Manglehorn. Mais c’est surtout Joe, aussi sanglant qu’émouvant, tenu à bout de bras par la figure mythique du baroudeur Nicolas Cage qui va annoncer le virage horrifique. Sur les bancs de l’université, le réalisateur était connu de ses camarades pour traîner autant avec le très sérieux Jeff Nichols qu’avec le très détendu Danny McBride. Il est toujours resté le même, et comme n’importe lequel touche à tout, il n’hésite pas à jongler entre différentes tonalités dramatiques. C’est ainsi qu’il faut voir sa filmographie et c’est dans ces conditions qu’il a pris comme nouveau challenge, de se confronter à l’horreur et pas n’importe laquelle : Halloween. Si à 43 ans David Gordon Green aime à se mettre en danger, il a senti qu’il avait les épaules suffisamment solides pour reprendre, avec son fidèle Danny McBride, l’œuvre du maître Carpenter. Le projet des deux hommes n’est pas de poursuivre une saga que beaucoup avaient cessé de suivre avec le temps, mais d’effacer tout ce que qui avait été fait. Imposer leur œuvre comme unique suite légitime au chef-d’œuvre du maître de l’horreur. Pari un peu fou, tellement Halloween de John Carpenter est devenu iconique et une œuvre à la portée théorique aussi étudiée que le sont aujourd’hui les classiques d’Alfred Hitchcock. Tout autant respectueux qu’amusé, l’auteur de Prince Of Darkness a accepté de chapeauter la direction artistique et surtout de prendre en main, avec son fils, la bande originale de ce nouveau projet. La naissance d’Halloween 2018 s’est donc réalisée sous de bons auspices.
Le soutien du cinéaste d’origine ne garantit pas, pour autant la qualité de l’objet qui en découle. C’est là qu’intervient le savoir-faire de Gordon Green dans la comédie. Provoquer la peur et le rire participe d’un même processus. La soirée d’Halloween est une soirée où l’on s’amuse à se faire peur. On le voyait déjà dans Délire Express, David Gordon Green prend très au sérieux la comédie, se permettant d’expérimenter des moments d’action pure. De la même manière, s’il prend un plaisir évident à suivre les nouveaux méfaits de Myers, il n’en fait pas un pastiche ou une comédie involontaire. Halloween par David Gordon Green et Danny McBride, c’est du sale. Cette ambiance crépusculaire est soulignée par la musique et qui correspond bien aux productions Jason Blum, le quatrième homme de cette résurrection. Tout comme David Gordon Green avait su filmer un mythe en scrutant Nicolas Cage devant sa caméra, il réitère l’expérience. Mais s’il perpétue le caractère surhumain de The Shape, c’est un autre personnage qui prend une aura quasi mythique : Laurie Strode. 40 ans après, l’adolescente est devenue une dure à cuire, adepte du survivalisme, retranché dans une vieille bicoque bourrée de pièges et de technologies. Totalement préparée à l’éventualité d’un retour de Michael Myers elle a élevé sa propre fille en l’entourant d’armes et de paranoïa. Une fois adulte cette dernière isole sa mère qu’elle considère comme psychologiquement dérangée. Quasiment invisible au début du film, Laurie Strode, rentre dans l’action lorsqu’à la suite de quelques meurtres de circonstances dont l’origine ne fait guère de doute, elle comprend que sa famille est en danger. Un peu comme pour Incassable, Laurie Strode et The Shape sont complémentaires et ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Myers a besoin de Laurie, et Laurie besoin de Myers. Ce sont les deux versants du même masque.
En plus de quelques clins d’œil au film de Carpenter, Green et McBride tentent de donner au personnage de Jamie Lee Curtis une dimension surhumaine. Offrir au croque-mitaine une némésis à sa mesure. Et le combat que se livrent ces deux mythes vivants s’inscrit dans l’univers même de David Gordon Green, celui non pas de la banlieue petite-bourgeoise du film d’origine, mais au fin fond de l’Americana qu’affectionne le cinéaste texan. Il confère ainsi à la résurrection d’Halloween une atmosphère sauvage et glauque que souligne la nouvelle bande-son du musicien Carpenter. Le film ainsi fabriqué par cette petite communauté de cinéphiles tarés et passionnés produit un résultat qui en dit long sur l’état des États-Unis où le mal a tout dévasté, laissant une maison à feu et à sang.
Halloween, de David Gordon Green et Danny McBride. Avec Jamie Lee Curtis. Au cinéma le 24 octobre 2018.