Searching est un thriller à multiples rebondissements qui raconte l’histoire de David Kim, père à la recherche de sa fille de 16 ans récemment disparue. Est-ce une fugue ? Un enlèvement ? Face à l’inefficacité de la police, David Kim mène l’enquête lui-même, en fouillant dans l’ordinateur de sa fille. Ainsi, il va découvrir qu’il ne la connaissait pas aussi bien qu’il le croyait…
Cet été 2018, trois films ont fait parler d’eux aux Etats-Unis pour leur représentation des communautés asiatiques : Crazy Rich Asians, To All The Boys I Loved Before, et Searching. C’est ce troisième qui nous intéresse ici ; présenté lors de la sélection officielle à Deauville cette année, le premier film d’Aneesh Chaganty est un pur produit de mise en scène « ça passe ou ça casse ». Comme d’autres films avant lui (Unfriended), ou épisodes de série télévisée (Modern Family), Searching prend le parti de raconter toute une histoire sur un écran d’ordinateur. Simple gimmick, ou innovation à ne pas manquer ?
C’est bien sûr ultra casse gueule comme choix artistique ; n’en déplaise à d’autres rédacteurs sur ce site (des noms, on veut des noms! ndlr), la production Jason Blum Unfriended qui avait déjà expérimenté la technique « je filme un écran d’ordinateur sans discontinuer » avait beaucoup de lacunes. Mais son approche était totalement différente de celle de Searching, et c’est là une des plus grandes réussites du film de Chaganty à mon sens : il ne filme pas l’écran, il le met en scène. C’est risqué, mais ça fonctionne. On zoome sur des parties, on se déplace lentement vers la gauche, la droite, on ajoute de la musique. On fait du montage, des fondus, des coupes brutales, des ellipses. On joue avec le spectateur, tout simplement. Et cela ne rend pas juste le tout dynamique, cela sert le propos : on est dans un thriller, et la « caméra » participe à la tension du film. Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’avant de réaliser ce film, Chaganty n’était même pas dans le cinéma ; c’était un résident de la fameuse Silicon Valley. Et oui, le gus bossait chez Google ! Pas étonnant donc de voir qu’en plus de maîtriser la dimension graphique de l’écran, il en maîtrise également la culture. Searching explore ainsi les Internets au fur et à mesure de son intrigue : le père découvre le Tumblr de sa fille, des théories macabres sur Reddit qui l’accuse d’être lui le meurtrier, ainsi que des memes à son effigie. Vous avez dit malin ?
Il y a quelque chose de jouissif dans le procédé filmique de Searching, et ce notamment parce qu’il prend en compte très rapidement ses propres limites : il se doit de rester dans la limite du réalisme. Ce qui veut dire que le personnage principal, interprété par le génialissime John Cho, est davantage entendu que vu. Il apparaît lors des appels vidéos, bien sûr, mais la majorité du temps, nous sommes témoins de son enquête, fébriles. Tout est dans le détail ; par exemple, David Kim est coupable de ne pas assez exprimer ses sentiments avec sa fille. On le voit taper des messages, puis les effacer avant de les envoyer. On y croirait presque ! En tout cas, on y croit assez pour être impliqué émotionnellement parlant. Je ne vous cacherai pas que lors de la première scène du film, qui raconte l’enfance de la fille de David Kim en parallèle avec le cancer de sa femme, j’ai lâché assez de larmes pour remplir une canette de Male Tears. Cette réussite est également due au jeu d’acteur de John Cho, qui a son propre défi technique dans cette histoire : ne pas jouer pour la caméra, ni pour un public, simplement jouer. Parfois en acceptant d’être le personnage principal, tout en étant représenté à l’écran sans le moindre artifice et sans mise en valeur. Mine de rien, cela représente une certaine difficulté quant à la maîtrise du corps, au placement de la voix. Mais c’est de John Cho dont on parle. Ce type peut piloter l’Entreprise, il peut tout faire.
Enfin, presque. Car oui, même John Cho ne peut empêcher Searching de faire face à ses propres limites. Déjà, aussi bien pensé que puisse l’être ce gimmick, il ne sera pas pour tout le monde. Qui plus est, il a également la fâcheuse tendance de faire ressortir les ficelles narratives ; car si d’un côté on a une approche très immersive, on a de l’autre une histoire assez perchée, avec assez de retournements de situation pour donner le tournis à toute personne normalement constituée. Si au début on commence par une base narrative simple (un père doit perdre sa fille pour se rendre compte qu’il ne la connaît plus aussi bien qu’il le croyait), on finit dans la dernière demi-heure par un sacré pétage de plomb façon thriller des 90s avec Harrison Ford. C’est ce grand écart qui fait passer le spectateur de l’émotion la plus authentique à un état plus désabusé… Mais ça se pardonne. Pour les beaux yeux de John Cho, on est prêt à beaucoup pardonner.
Searching, un film d’Aneesh Chaganty, avec John Cho. En salles le 12 septembre.