Unfriended : quand Haneke s’invite sur Skype

Soyons clairs, et expéditifs : Unfriended est un petit chef-d’œuvre de cinéma roublard. Qu’il convient de hisser au niveau des classiques que sont Le Projet Blair Witch ou encore Paranormal Activity.

Aux commandes, Blumhouse, maison de production de Jason Blum, producteur génial de tout ce que le cinéma horrifique a produit de plus malin ces 10 dernières années (Insidious en tête, mais aussi Sinister, Paranormal Activity etc.). Son défi permanent, c’est de profiter de la puissance horrifique du suggéré pour rogner sur le budget : ce qui se passe hors-champ coûte automatiquement moins cher, et peut, lorsque c’est bien fait, encore plus foutre les jetons que le gore face caméra.

La beauté d’Unfriended réside dans ce souci d’économie. Le film se déroule en plan séquence sur un écran d’ordinateur connecté à tous les réseaux sociaux utilisés par les ados d’aujourd’hui. Son potentiel horrifique, c’est dans la pixellisation de visages, dans les connexions qui sautent, dans les jingles de réception d’un message Facebook et dans les interminables temps de chargement qu’il se trouve.

C’est bien à un nouveau vocabulaire horrifique que le spectateur se voit confronté. D’abord dérouté, on en vient rapidement à se sentir paradoxalement assez proches des protagonistes, du moins autant qu’on le serait de n’importe quel interlocuteur sur Skype. En nous incluant face à cet écran d’ordinateur, le réalisateur nous fait entrer dans une nouvelle dimension cinématographique somme toute assez curieuse, puisque inédite. Le spectateur n’a aucun contrôle sur les commandes de l’ordinateur et pourtant, se surprend souvent à vouloir cliquer aux mêmes moments, aux mêmes endroits que l’héroïne. Des réflexes idiots de survie, idiots car forcément vains. L’efficacité du film tient dans le fait que l’on oublie régulièrement être dans un survival de cinéma assez banal dans son scénario. Cet oubli, il est la résultante de la confusion entretenue par la superposition de deux écrans qui pourtant se détestent. Comme un pied de nez, c’est d’ailleurs celui du cinéma qui mange celui de l’ordinateur.

Un an après le suicide d’une camarade de classe dû à un lynchage sur le web, six amis, pas étrangers au lynchage en question, se retrouvent sur Skype. Une septième personne s’invite à la conversation, et compte bien les faire payer.

Sa tronche, on ne la verra jamais. Un fantôme ? Un vengeur pirate ? Peu importe, elle sera ici représentée par l’avatar Skype par défaut. Roublardise, vous dit-on. Mais roublardise maligne lorsque le cercle de chargement apparaît sur cet avatar comme pour signifier la connexion vidéo se faisant attendre de la personne : on se surprend à serrer fort son siège face à une image des plus banales d’un cercle de chargement sur un avatar.

Jamais les héros n’auront la présence d’esprit de fermer leur ordinateur et d’ouvrir la fenêtre, puisque jamais le spectateur n’aura celle de quitter la salle, solution ultime pour mettre fin à l’horreur. La mise en abime nécessite un visionnage en salle de cinéma, pour ressentir cette incapacité à quitter l’écran. Prisonniers d’un petit jeu macabre comme de leur ordinateur, personnages et spectateurs sont victimes d’un traquenard hanekien. Ajoutez à cela l’esprit douteux de la morale du film – ils l’ont bien mérité, nous rabâche sans cesse l’avatar Skype -, vous êtes dans un film qui aurait très bien pu naître de la patte du maître autrichien.

Évidemment, on aura le droit aux suites, ainsi qu’aux similis (à 1M de budget et plus de 30M de recettes aux Etats-Unis, on voit mal comment on pourrait y échapper). Mais à la manière du Projet Blair Witch ou de Paranormal Activity, qui chacun inventèrent un sous-genre, Unfriended semble avoir créé à lui tout seul toute une grammaire, et les dérives qu’il engendrera ne seront rien d’autre que de vulgaires copiés-collés, peut-on d’emblée affirmer.

Comprenez : si vous ne devez aller voir qu’un cyber-film-d’horreur dans les 5 années à venir, c’est celui-ci.

Unfriended, de Levan Gabriadze, en salles mercredi 24 juin.

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