Sicario 2 aurait pu être le porte-conteneur à la rage de Sollima (ACAB, Gomorra), mais pieds et mains liées par la machine de guerre hollywoodienne Stefano Sollima nous livre un film bien sage. L’annonce d’une suite au très surestimé premier volet pouvait nous mettre la puce à l’oreille, c’est désormais à coup de fusils à pompe que les exécutifs nous imposent l’idée de Sicario comme une franchise. Pour faire court, Sicario 2 : la guerre des cartels est calibré pour devenir une version bad ass de Mission : Impossible. On y voit un agent aux méthodes douteuses se faire confier par les USA une mission dont le gouvernement niera avoir eu connaissance si Josh Brolin se fait choper. Il parcourt alors les zones les plus dangereuses du globe pour recruter son équipe de mercenaire. Là où Tom Cruise déjoue le plus souvent des complots mondiaux, Brolin doit juste créer une guerre entre cartels pour permettre aux États-Unis d’inscrire les cartels sur la liste des organisations terroristes.
idéologues les plus conservateurs et les plus fascistes
Si dans le premier opus Taylor Sheridan avait livré un boulot solide, on sentait que le scénar était resté longtemps dans les tiroirs. Ce qu’il décrivait avait dix ans de retard sur la situation actuelle. Pour ce deuxième épisode, Sheridan ne s’embarrasse plus d’une quelconque crédibilité. Autant être clair, le scénar oscille entre le n’importe quoi et l’infect. Croire que des organisations mafieuses pourraient transporter des djihadistes candidats au suicide, sur leur terre, c’est difficilement tenable : quels seraient leur intérêt ? Alors qu’ils arrivent à pacifier leurs rapports avec les USA, soutenir les djihadistes ne peut que nuire à leurs affaires. Imposer l’idée que les djihadistes profitent des flux migratoires pour s’introduire sur le territoire des gentils et se faire exploser, c’est beaucoup plus puant. Que cela soit aux USA, aux Philipines, en France ou ailleurs ceux qui tuent sont des locaux, pas des réfugiés. L’idée de lier flux migratoires et terrorisme par contre est défendue par les idéologues les plus conservateurs et les plus fascistes. Aux USA, ils sont même au pouvoir actuellement.
Qu’est allé faire Stefano Sollima dans cette galère ? On y voit surtout la volonté pour le cinéaste italien de faire évoluer son CV et de mettre un pied sur le territoire américain. C’est d’ailleurs une lecture possible du film, on sent très vite que le postulat nauséabond et improbable de départ n’intéresse pas le cinéaste. S’il est séduit par l’aspect viriliste de la franchise naissante lui rappelant ses autres films, il n’a plus envie de faire le Sam Peckinpah de service en dressant le portrait d’hommes violents, pris dans une spirale politique violente. Aujourd’hui il souhaite passer à autre chose. Un peu comme le Sicario interprété par Benicio del Toro, il accepte un job et le fait le mieux possible quitte à y laisser sa peau. Mais s’il le fait, ce n’est pas pour faire un énième film de gangsters où donner l’image d’un pouvoir cynique, non.
ces visages qui importent aux yeux de Sollima
Il préfère porter sa caméra sur ces enfants poussés dans le crime, ou bien ces petites mains des cartels qui arrondissent leurs fins de mois de part et d’autre de la frontière. Des gens qui n’ont ni armes ni labo de coke, qui ont une vie parfois misérable, parfois moyenne. Du crime organisé, nous ne verrons pour ainsi dire que ces seuls visages et ce sont ces visages qui importent aux yeux de Sollima, et celui du mercenaire qui tente de faire son taf correctement, en sachant qu’il sera remplacé très vite par un type plus jeune. C’est à travers cette fin de partie que le réalisateur européen réussit a tirer au dernier moment son épingle du jeu. En allant au-delà de ce que le film raconte, il permet même de rendre Sicario 2 un peu plus intéressant que le premier.
Sicario : la guerre des cartels de Stefano Sollima, avec Josh Brolin, Benicio Del Toro, Catherine Keener, Matthew Modine.