ACAB est sorti le jour de l’ouverture de Cinématraque, on peut y voir un signe. Tous les flics sont des batards, les coups de matraque, en général c’est eux qui les donnent. Taillé dans le marbre de la série B italienne, le premier film de Stephano Sollima est un film sec et violent sans être pour autant nihiliste. Les chiens ne font pas des chats et on est loin d’être étonné que cet ancien reporter de guerre soit le rejeton de Sergio Sollima, grand nom de la très politique série B italienne. Difficile de l’oublier quand on se retrouve devant ce véritable cocktail molotov lancé à la face de la construction politique européenne actuelle. Sollima ne juge pas, il montre.
le monde des ouvriers de la répression : les carabinieri
Ce qu’il montre ce sont des scènes vu de plus en plus fréquemment de Gènes, à Athènes en passant par Madrid et Barcelone : la violence policière, la militarisation du maintien de l’ordre et la montée du fascisme. Ce portrait sombre d’une Italie plongée dans la violence et la haine, il le fait en se penchant sur le monde des ouvriers de la répression : les carabinieri. Il ne les lâche pas une seule seconde, sa caméra les poursuit et révèle autant leur idéal fasciste que leur impuissance face a une situation sociale hors de contrôle. Il filme les rues italiennes comme il filmerait Bagdad ou Kaboul. Avec les armes du cinéma Sollima livre le même constat que l’éditeur anarchiste Eric Hazan dans sa « Chronique de la Guerre Civile« . Mais là ou Hazan en fait une manuel de combat, Stephano Sollima ne cherche pas la confrontation et préfère poser des questions à cette jeunesse qui cherche l’affrontement auprès des forces de l’ordre. Elle est ici loin du romantisme altermondialiste, elle se laisse plutôt tenter par le nationalisme violent des groupuscules néonazis. Une mouvance qui en Italie comme en Grèce séduit la jeunesse qui ne trouve pas de soutien auprès de l’Etat totalement démantelé par le dictat de l’idologie néolibérale européenne. Belle idée d’avoir donner à l’un des flics fasciste un adolescent nazis. Élevé dans la haine des étrangers, l’enfant finira par détester son père et l’Etat qu’il représente. Sans trop le savoir l’affrontement entre les deux hommes se fera autant autour de la table de la salle a manger qu’autour des stades de foot. Deux clans fascistes finissent par s’opposer avec pourtant un ennemi commun. Chacun leur méthode : Là où les flics fascistes pratiquent les rafles d’immigrés, les nazis font régner la terreur.
Progressivement, c’est le constat d’une société régie par des règles claniques et tribales animée par la peur et la haine qui est mis a jour par le cinéaste. Si l’on croise des policiers, des ouvriers, des immigrés ou de jeunes chômeurs sur le champs de bataille, c’est par leur absence dans le film que l’on comprend le pouvoir terrible des technocrates et du crime organisé. A travers une brève scène, Sollima évoque l’arrivisme des premiers et les liens qu’ils ont avec le second. Pas la peine d’en montrer plus tellement la puissance mafieuse a fini par faire de son mode de fonctionnement, la règle. Les pratiques clientelistes, hypocrite et violentes de la Mafia sont aujourd’hui ancrée dans le comportement de l’ensemble de la société.
un putain de film
Contrairement à José Padilha et son Tropa D’Elite auquel on pense fortement, Stephano Sollima prend soin de ne pas faire sombrer le spectateur dans la depression. Film provondement punk, ACAB bénéficie d’une bande originale bien bourrine. Très présente, elle ne fait pas tomber le film dans le clip, au contraire c’est une vraie valeur ajouté. Qu’il s’agisse de l’ironie sombre du générique au début du film qui voit les carabinieri revetir leur uniforme sur les paroles de Seven Nation Army des Whites Stripes ou qu’il s’agisse de l’anti-héros qui s’approprie la chanson anti-flic « Police On My Back des Clash« . Que penser de flics fan de Joy Division sinon que dans le film, comme dans la réalité, le sens des mots n’intéresse personne. L’ombre de Ian Curtis que les flics écoutent dans ACAB, nous en évoque une autre aujourd’hui soi disant dorée. C’est, aussi dans son utilisation de la musique que Sollima inscrit son film dans la série B, et qu’ACAB reste au final, qu’un film, mais un putain de film.
A.C.A.B. (All Cops Are Bastards), Stefano Sollima. Pierrefrancisco Favino, Fillip Nigro, Marco Giallini. 1h52. 18 juillet 2012