Depuis le relatif retrait d’Hayao Miyazaki et la mort de son collègue et meilleur ami, Isao Takahata, le studio Ghibli se cherche. La rigueur des deux bonshommes en a fait fuir plus d’un. Miyazaki, qui se concentre sur les courts métrages, n’a pas hésité à désavouer son propre fils lorsqu’il portait à bout de bras Les Contes de Terremer. Du coup pour les amateurs l’avenir de l’animation japonaise se déroule ailleurs. La mort de Satoshi Kon nous a privés prématurément d’un autre génie, et l’on désespère de voir les nouveaux films de Katsuhiro Otomo (Akira) et Mamoru Oshii (Patlabor, Ghost In The Shell). Face à Ghibli, on découvre alors deux studios qui feront très vite parler d’eux : CoMix Wave Films et Madhouse. Dans le premier se démarque le très indépendant Makoto Shinkaï qui réalise La Tour au-delà des Nuages ainsi que ces autres films dont le plus connu est Your Name. Mais c’est dans le second que vont s’épanouir des refoulés de chez Ghibli, le plus connu reste Mamoru Hosoda qui avec La Traversée des Temps et Les Enfants Loups va réussir à conquérir l’international. La qualité des œuvres de ces jeunes artistes et la volonté de se trouver de nouvelles idoles vont pousser certains médias à les comparer à Miyazaki, quand bien même leurs arts n’ont rien à voir. Tout au plus pouvons-nous concéder de vagues intérêts communs comme la fascination pour l’enfance pour Hosoda et la farouche indépendance de Shinkaï rappelant le grand maitre. Si un troisième larron s’est entre temps distingué, le très expérimental Masaaki Yuasa (Mind Game, Lou et l’Ile aux sirènes et les séries Devil Man Cry Baby et Ping-Pong), c’est une nouvelle fois chez Madhouse que l’on découvre un nouveau talent : Kitaro Kosaka. Ce n’est pas un inconnu, c’est un fidèle disciple de Miyazaki. C’est un pur produit Ghibli qui a commencé sur Nausicaa ou Les tombeaux des lucioles puis qui a poursuivi son ascension en devenant coresponsable de l’animation sur Princesse Mononoké et Ponyo. Une fois Goro Miyazaki évincé, Kosaka est adoubé par le Padre en devenant le directeur de l’animation de l’ultime chef-d’œuvre d’Hayao Miyazaki : Le vent se lève.
Loin d’attaquer sa carrière en s’éloignant de cette imposante filiation, Kitaro Kosaka préfère utiliser son premier long métrage comme un moyen de rendre hommage aux deux Sensei, et en même temps, de mettre en scène sa volonté de construire sa propre œuvre. Okko et les fantômes est l’adaptation d’un illustré pour les très jeunes enfants où une petite fille, fraîchement orpheline, déménage chez sa grand-mère qui tient une auberge traditionnelle. Cette enfant, Okko, va affronter le deuil de ses parents, tout en se formant comme apprentie. Pour faire face à sa nouvelle vie, elle va devoir se faire accepter de ses camarades de classe, des clients de l’auberge et surtout de la présence d’êtres surnaturels : deux enfants fantômes et un esprit frappeur. Ces derniers sont la réponse au traumatisme de la gamine qui lui donne la capacité d’interagir avec les âmes qui hantent les lieux. Dans la grande tradition des récits mettant en scène des spectres bénéfiques, les deux zashiki-warashi (l’âme espiègle d’enfants morts) vont venir en aide à la jeune Okko pour qu’elle puisse s’accomplir et devenir une parfaite tenancière. Profondément émouvant, et mettant les enfants face à de graves questions, Okko et les Fantômes à l’intelligence de prendre son jeune public pour ce qu’il est : un ensemble d’individus à même de juger ce qui est bien pour eux ou non. Nous sommes clairement dans un récit initiatique, et l’on devine la morale qui est ainsi inculquée aux jeunes spectateurs : travailler sans économiser sa peine et savoir se faire discret, tout en respectant les anciens.
Bosser sans relâche et se faire discret en respectant les anciens c’est exactement le parcours du cinéaste, et il y a dans les êtres surnaturels du film quelque chose qui peut faire penser aux esprits de Miyazaki et Takahata. L’esprit frappeur dont il est dit qu’il amène la prospérité et le bien-être pourrait être vu comme le film lui-même. De la même manière, la concurrence amicale que se livre la vieille auberge de la grand-mère d’Okko et l’auberge — bien plus moderne et fructueuse — que gère l’extravagante Matsuki (sa copine de classe) ont tout aussi à voir avec les choix de carrière de Kosaka. On peut y cerner, en effet, le désir du cinéaste de travailler entre deux maisons et deux styles très différents. C’est d’ailleurs tout le travail visuel et d’animation qu’il met en place dans Okko et les fantômes. Il oppose des styles de traits et d’animations très différents, l’un pour les décors et les personnages secondaires peut faire penser au style Ghibli. L’autre qu’il destine aux enfants déstabilise le spectateur en s’inspirant des dessins originaux de l’illustré dont le film est adapté. Un style bien plus moderne, parfois au ton kawaï, parfois rappelant l’esthétique shonen à la One Piece. La modernité et le poids des traditions sont au cœur même du récit, on ne peut que souligner la cohérence de l’ensemble. On verra avec le temps ce que va devenir l’œuvre de Kosaka. Cependant, outre les qualités de son premier long, il est à noter qu’il sera distribué en France par Eurozoom. Cette société de distribution indépendante a fait connaître au public hexagonal : Mamoru Hosoda et Makoto Shinkaï. Elle a aussi soutenu l’éditeur Potemkine, qui avait sorti Mind Game en DVD, en distribuant plus tard au cinéma un autre film de Masaaki Yuasa, Lou et l’Ile au Sirène. : Ces trois cinéastes, aujourd’hui, tout le monde se les arrache : Gaumont, Wild Bunch et Netflix.
Okko et les fantômes, de Kitaro Kosaka, avec les voix de Seiran Kobayashi, Satsumi Matsuda, Nana Mizuki, Yōko Asagami, Teiyū Ichiryūsai, Masaki Terasoma, Etsuko Kozakura. Sortie dans les salles françaises: Le 12 Septembre 2018.