Entre deux soirées trop arrosées, on ne voit plus le temps passer et pouf : on est déjà jeudi. La fin du festival approche à grands pas ! Et qui dit fin de festival dit arrivée des grosses pointures, avec leurs gros sabots et leurs gros films. Avant de se prendre la journée de Disney en pleine face, aujourd’hui nous étions à la pêche lunaire avec Dreamworks. Le programme du jour ? Dragons 3, des films en compétition, une rencontre avec Masaaki Yuasa, et le nouveau long-métrage de la chouchou absolue de Captain Jim, Naoko Yamada.
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WIP Dragons 3 : Le Monde Caché
Dreamworks avait ouvert le bal lundi avec un court-métrage, les voilà prêts à en mettre plein la vue avec une présentation centrée sur leur franchise d’animation la plus populaire, et la plus cool. Dragons, c’était d’abord un film qui a pris tout le monde par surprise en 2010 ; mais le réalisateur et scénariste Dean Deblois n’avait aucune envie de faire une suite, malgré les demandes du studio. Finalement, il a demandé le droit à raconter une histoire complète en trois actes : une trilogie. Ce qui devait être un one-off à succès a fini par occuper près de dix ans de la vie de Deblois… Le bonhomme (qui est gigantesque, on dirait le père de Hiccup) avait les larmes qui perlaient au bout des yeux lors de sa présentation.
Car au-delà de l’animation géniale, qui n’a cessé de progresser au fur et à mesure de la trilogie, c’est bien l’émotion qui fait le succès de Dragons. Ce sont des dessins animés pour enfants qui n’ont pas peur de confronter le jeune public à des réalités extrêmement difficiles ; faire perdre une jambe à son personnage principal en fin de premier film, il fallait oser ! Mais ça a marché puisque le studio a su faire confiance aux enfants pour juger de ce qui leur plairait ou non.
On évitera de trop spoiler, car nous en avons vu beaucoup lors de cette présentation : le monde caché, les antagonistes, les héros, la romance… Mais si vous avez vu la bande-annonce, si vous avez un peu de jugeote vous devriez assez aisément comprendre de quoi parlera le dernier volet de la trilogie. Le thème du film, selon Dean Deblois ? « Learning to let go ». Une chose est sûre : il n’est pas le seul à avoir les larmes aux yeux.
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Film en compétition : Seder-Masochism
On avait vu Le Prince d’Égypte hier, en voici sa déconstruction totale par la réalisatrice militante Nina Paley. Son film raconte… Difficile de trop savoir ce qu’elle raconte, et elle ne le sait pas non plus. Mais ce qui est sûr, c’est que ça crache à la gueule du patriarcat façon venin mortel ; il s’agit d’une attaque directe envers les religions monothéistes qui ne sont que des expressions de dominations patriarcales. Le tout en musique blues/pop/rock façon comédie musicale lip-sync où la musique entraînante (souvent des chansons d’amour) est détournée par l’image.
En plus de s’attaquer au patriarcat, en nous montrant une femme créatrice chassée et tuée par les hommes, Nina Paley est aussi en croisière contre le copyright et son état actuel désastreux. Elle fait partie du comité QuestionCopyright depuis 2008, et comme elle croit à la diffusion des images et des idées, son film sera disponible sur Internet gratuitement dès qu’il aura terminé son passage dans les festivals. Gros coup de cœur.
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Film en compétition : Parjana, une enfance en Afghanistan
Voilà un film qui arrive au festival avec un chemin déjà tout tracé ; son succès n’est pas à faire, il était déjà nommé aux Oscars en mars dernier ! Mais la nouvelle sortie de la bande irlandaise du Chant de la Mer n’est pas encore sortie chez nous, et c’est donc l’occasion de découvrir ce qui risquera de gagner le prix du public ici à Annecy. On vous l’annonce, ça se jouera entre ça et Funan.
Même si visuellement, on est encore proche du Chant de la Mer, attention cependant les enfants Parjana n’a absolument rien d’un conte de fées. Malgré son joli dessin très agréable à l’œil, le contenu l’est beaucoup moins : Parvana est une petite fille de Kaboul qui, après l’arrestation injustifiée de son père par les talibans, est forcée de se déguiser en garçon pour sortir de la maison et permettre à sa famille de survivre. On est vraiment dans de l’absence de rigolade assez gigantesque. C’en serait même pesant si la mise en scène et le rythme global n’étaient pas aussi bien menés ; qui plus est, on retrouve des éléments du conte dans une histoire que raconte Parvana à son petit frère. Il n’y a pas grand-chose à redire : c’est vraiment très beau, très fort, très efficace.
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Master-class de Masaaki Yuasa
« J’essaie d’être normal », nous a dit le grand réalisateur de Mind Game, Lou et l’ïle aux Sirènes ou encore DevilMan Crybaby. Difficile à croire quand on voit la folie visuelle qu’est son œuvre, ainsi que sa dégaine d’artiste toujours sur la lune… Et pourtant. C’est simplement que sa norme diffère de celle des autres.
Lors de cette masterclass, Masaaki Yuasa est revenu sur l’intégralité de sa carrière en compagnie de sa scénariste et de sa productrice ; et si le tout s’est révélé très franchement factuel, on a su repérer des informations assez croustillantes entre les mots. En voici une petite liste, pour toi public en délire.
- Yuasa vient tous les ans à Annecy depuis plusieurs années, et ce par pur plaisir. Il aime l’animation !
- Pour des raisons probablement liées au point précédent, son studio d’animation est très international et accepte régulièrement des étudiants étrangers (une grande partie de l’équipe de Lou était française par exemple). Qui plus est, Yuasa se vante de renvoyer ses artistes tôt chez eux le soir, contrairement à la majorité de la production japonaise.
- Ce studio est pourtant terriblement actif : en 2017 et 2018, deux longs métrages et une série télé ont vu le jour. Yuasa a pour objectif de sortir un projet par an, et d’agrandir l’équipe afin de permettre à d’autres que lui de réaliser. En 2019 sortira un nouveau film avec encore l’eau comme personnage principal. Il s’agira cette fois d’une histoire d’amour entre une surfeuse et un pompier, qui sera traité avec toute la niaiserie que peut être une romance, mais aussi avec beaucoup de tendresse. Yuasa ne fait que parler d’amour dans son œuvre, en vérité ; il change simplement de point de vue dessus à chaque fois.
- Cet amour de l’eau est dû à la double nature de cet élément, nous dit le réalisateur. Il est à la fois extrêmement libre, et extrêmement contraignant puisqu’en animation 2D il obéit à des lois très restrictives. D’ailleurs, Yuasa parle de l’eau comme d’un personnage, ce qui devrait sembler apparent dans son prochain film (je ne veux pas trop en révéler).
- Questionné sur son style de dessin, Yuasa a avoué son amour pour les dessins d’enfants et tout ce qu’ils révèlent. De manière inconsciente, son style s’inspire de la pureté que l’on peut retrouver dans des croquis enfantins.
- Même s’il semble beaucoup dans la lune, Yuasa n’est pas du genre à vouloir fuir le monde. Plus jeune, il s’est réfugié dans la fiction pour fuir un réel qui lui semblait moins intéressant. Plus âgé, il a compris que le réel était la seule source d’inspiration inépuisable, et n’a cessé d’avoir des idées depuis. La moindre petite chose peut devenir une histoire racontée par un dessin, un mouvement, une couleur.
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Film hors compétition : le retour de Naoko « amour de ma vie » Yamada avec Liz and the Blue Bird
Nous avions totalement flashé sur le film A Silent Voice, présenté l’an dernier en compétition officielle, contrairement à l’intégralité du reste de la presse française qui est passée à côté. Ce bijou d’une subtilité rare a fait les frais de sa durée (2 h 10) et n’a jamais trouvé de distributeur en France ; il est simplement disponible en vidéo et sur une plateforme vidéo contrôlé par Google que l’on ne nommera pas, ce qui vous permet au moins de le voir et d’être témoin de la naissance d’une des plus grandes réalisatrices de notre époque.
Son nouveau long est présenté malheureusement en hors compétition seulement, mais sa courte durée (90 minutes tout rond) peut lui présager un meilleur avenir dans son exploitation en France. Cela s’appelle Liz and the Blue Bird et excusez mon français BORDEL C’EST ABSOLUMENT FORMIDABLE. Vous trouviez que 7 personnages féminins riches et intéressants autour d’un perso masculin central ça n’était pas assez ? Naoko vous propose cette fois un film d’animation sans hommes. Les quelques qui apparaissent ont au total moins d’une minute de temps de parole, et ne sont que des personnages fonctions. Cette fois, il s’agit de deux jeunes étudiantes qui s’apprêtent à terminer le lycée, et de leur « » » » » » »amitié » » » » » ». Nozomi est belle, sociable, populaire, comme un modèle pour Mizore, froide, renfermée, peu appréciée. Mais leurs liens sont beaucoup plus complexes que cela, comme on le découvre autour d’un livre pour enfants (intitulé Liz and the Blue Bird) et autour d’un duo flûte/hautbois.
Naoko Yamada fait encore usage de tout ce que l’animation lui permet de faire en restant classique en apparence, mais très original en substance : son cadrage est tout aussi impérial que son montage (elle a réalisé elle-même le story-board), la finesse de ses animations rend chaque personnage attachant au possible, et sa maîtrise du rythme est sans pareille dans l’industrie japonaise. Pour un film sur un orchestre de lycée, on a un travail sur le son et les silences absolument époustouflant, de l’introduction faussement banale à l’envolée musicale finale. L’histoire de Mizore et Nozomi est déchirante ; la prise de conscience qu’une « » » » » »amitié » » » » » » bien qu’importante peut devenir toxique et nuire à nos vies. En plein milieu de la projection, une jeune fille se penche vers sa voisine et lui dit « ce film est vraiment génial » ; tout le monde doit pouvoir se reconnaître dans ce long.
Vous aurez peut-être remarqué un nombre légèrement exagéré de guillemets autour du mot « » » » » » »amitié » » » » » » ». Ce n’est pas un hasard ; c’est que le film ne le dit jamais clairement, mais franchement, Mizore est 100 % amoureuse de Nozomi. J’suis désolé, on est en juin c’est le mois de la Fierté LGBTQ+, mais même si le Japon est encore très conservateur je vois difficilement comment on pourrait lire le film autrement. Liz and The Blue Bird, c’est un portrait sensible, touchant et déchirant d’un amour entre femmes, et personne ne pourra me faire penser le contraire.
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Après cette dernière projection, et quelques égarements entre parties de pétanques et de bowlings, nous avons évité Guillaume Meurice au Café des Arts pour nous retrouver en compagnie d’animatrices qui veulent monter une association pour parler des discriminations liées au genre, à la couleur de peau et à l’orientation sexuelle au sein de l’animation française. Le projet n’est pour l’instant pas soutenu par Les Femmes s’Animent, qui trouve cela trop agressif comme approche. Nous connaissant, vous devez bien savoir ce qu’on en pense… Et l’on vous dit à demain.