Annecy 2018 Jour 3 : Spider-Sony peut marcher au plafond

Nous sommes mercredi, et c’est un jour très important de cette édition 2018 ; c’est potentiellement le dernier jour de pluie. Nos prières ont donc été exaucées, nos sacrifices aux dieux de l’animation ont porté leurs fruits. C’est donc sous les potentielles dernières gouttes de pluie du festival que nous nous lançons dans une journée aux couleurs de Sony : au programme, du Spider-Man, du Hôtel Transylvanie, de la compétition officielle, et un des meilleurs films au programme.

Work in Progress : Spider-Man Into the Spider-Verse

On ne va pas se mentir, cet événement était le plus attendu de toute la semaine. Encore plus que la venue de Brad Bird pour le retour de sa famille de superhéros, encore plus que les premières images conclusion épique de Dragons. Pourquoi, me direz-vous en bon lecteur docile que vous êtes ?

1. Parce que Spider-Man, c’est génial. Y a pas d’argument ici, c’est génial un point c’est tout. Ce n’est pas pour rien qu’on a déjà eu 300 000 films et séries sur le sujet ; c’est un personnage génial, qui offre des possibilités visuelles grisantes et des histoires toujours touchantes.

2. Parce que pour une fois on ne parle pas de Peter Parker, on parle de Miles Morales, soit une nouvelle version du personnage imaginée par le scénariste Brian Michael Bendis en 2011. Miles est un gamin racisé (mi-Afro-Américain, mi-latino) de 13 ans qui vient de Brooklyn, qui se retrouve doté de pouvoirs similaires à Spider-Man et en vient à endosser le costume également. C’est une version ultra fraîche Colgate® très réussie qui depuis plusieurs années rencontre beaucoup de succès auprès d’un jeune public demander de représentation autre que caucasienne.

Spider-Man Annecy

3. Parce que l’animation est totalement folle. On le sait, on a déjà vu deux bandes-annonces. Mais là, on a pu mesurer l’étendue du délire. C’est bien simple, quand les producteurs Phil Lord et Christopher Miller ont débarqué, ils ont demandé à voir quelque chose d’entièrement nouveau. Les équipes ont alors bossé pour trouver une nouvelle approche, et se sont penchées sur les comics pour réfléchir à comment adapter leur style visuel en animation 3D. Le résultat est totalement ahurissant : il a fallu que le directeur VFX, Danny Dimian, invente des nouvelles techniques pour arriver à ce qui lui était demandé. Au final, il a dû repenser entièrement le traitement de la lumière pour la remplacer par des points (pensez au pointillisme de George Seurat, ou celui de Lichtenstein), mais aussi travailler sur les ombres, les traits et les effets de flou. Pour parler simplement : c’est un truc de dingue. C’est du jamais vu. C’est démentiel. Nous avons eu la chance de nous entretenir longuement avec Danny lors d’une soirée VIP (parce que oui, à Cinématraque nous sommes très VIP), et il a pu nous raconter son parcours en détail, sa recherche constante de l’innovation. Il a bossé sur le premier Spider-Man de Sam Raimi, sur le Popeye de Tartakovsky, sur les effets de Hollow Man de Verhoeven (qui était à peu près aussi autoritaire que l’on peut l’imaginer)… C’est un type qui en connaît un rayon, et qui conscient de participer à quelque chose de potentiellement gigantesque.

Reste à savoir si le scénario suivra, ce qui est aussi sa crainte première. Heureusement, le peu qui en a été dévoilé et discuté lors de la présentation a vite fait de nous rassurer : l’équipe semble avoir pleinement compris ce que signifie le personnage. Nous découvrirons donc peut-être en décembre la meilleure adaptation jamais créée de notre superhéros préféré…

Work in progress : La Fameuse invasion des ours en Sicile

La matinée a été riche en WIP de qualité puisqu’on a directement enchainé avec celui de l’adaptation du livre de Dino Buzzati La Fameuse invasion des ours en Sicile. Il s’agit du premier long-métrage de Lorenzo Mattoti, illustrateur notamment connu pour ses couvertures du New Yorker et ses bandes dessinées. Il avait en 2007 réalisé un segment du film Peur(s) du noir déjà produit par Valérie Schermann et Christophe Jankovic de Prima Linéa (La Tortue Rouge, Loulou, Zarafa, U). La réalisatrice expliquait qu’elle souhaitait à nouveau travailler avec Mattoti et ce dernier lui a dit que le seul film pour lequel il était prêt à passer plusieurs années de sa vie était le fameux roman de Buzzati réputé inadaptable, d’autant plus que son auteur avait à l’époque interdit toute adaptation de son œuvre. Mais Almerina Antoniazzi, sa veuve, a donné le feu vert à cette adaptation après lecture du scénario et visionnage des premiers travaux de recherche.

Annecy Spiderman Cinematraque Ours Sicile Annecy 2018

A la manière de Pascale Ferran sur La Tortue rouge, Prima Linéa a fait appel à un scénariste de renom qui n’avait jamais écrit pour l’animation en la personne de Thomas Bidegain pour épauler Jean-Luc Fromental. Le scénariste de Jacques Audiard a expliqué la difficulté à adapter pour le cinéma un récit qui était initialement un conte que Buzzati racontait à ses petits enfants quand ils venaient lui rendre visite. Pour cela il a créé le personnage de Gedeone dans la pure tradition des « cantastorie », ménestrels qui allaient de village en village pour raconter des histoires en chantant. Trahir donc pour respecter au mieux l’univers de l’auteur.

Visuellement Lorenzo Mattotti est parti des illustrations du conte réalisé par son auteur pour donner alors un contexte graphique à son histoire. Mattotti prolonge la vision existentialiste du monde Buzzati, et ce réalisme fantastique difficile à transposer à l’écran. Mais la magie du travail d’illustrateur inspiré de Mattoti opère dans ce qu’on a pu apercevoir. Une profondeur de champs incroyable, une palette de couleurs vives et harmonieuses pour colorer des reliefs d’inspiration italiennes cela va s’en dire. Le film a d’abord été envisagé en 3D lors de la réalisation d’un pilote. Mais Lorenzo Mattoti trouvant que la 3D vieillit mal à travers le temps a décidé que le film sera entièrement réalisé en 2D mis à part un dragon et des fantômes. Mais un immense travail sur les ombres donne à l’ensemble un sentiment de volume très prenant. Le processus de fabrication est donc le même que sur La Tortue rouge, le nouveau studio créé par Prima Linéa : 3.0 Studio, a travaillé sur TV Paint. Les extraits présentés donne la sensation d’un film hors du temps, et impossible de ne pas penser dans cette démarche au chef-d’œuvre de Paul Grimault Le Roi et l’oiseau que Mattoti a découvert il y a seulement 3 ans alors qu’il travaillait déjà sur le film. Une présentation qui a placé le film très haut dans la liste des films qui feront l’année 2019.

Film en compétition : Cinderella The Cat

Aaaaah ça y est les gars ! On a enfin trouvé notre première vraie croûte. Production italienne qui se veut réinventer Cendrillon, Cinderella The Cat est une bouse monumentale dans laquelle absolument rien n’est à sauver. C’est une sorte de film noir façon steampunk avec une petite Cendrillon muette, un mafioso qui cache de la coke dans des chaussures de bal, et pas grand-chose d’autre. C’est mal rythmé, mal animé, mal mené, bref mal tout court. Et mâle, par-dessus le marché : coréalisé par QUATRES mecs, le truc est un concentré de mâle gaze pur jus. Toutes les femmes du film sont des bombasses à seins énormes en tenue aguicheuses, ce qui n’est pas forcément toujours un mal en soi. Mais dans ce cas précis, honnêtement, ça sentait pas bon. Passez votre chemin.

Happiness Road : le petit bijou du festival

C’est un premier long métrage pour la réalisatrice et scénariste taïwanaise Hsin Yin Sung, mais c’est un sacré tour de force. Présenté en hors compétition, ce n’est pas un des films qui fera le plus parler de lui et c’est vraiment dommage.

Cinematraque On Happiness Road Anncey 2018
Un film en animation 2D, comme un pied de nez à l’industrie américaine Disney qui exploitait les animateurs de pays jusqu’à quitter le territoire définitivement lors de son passage à la 3D.

Happiness Road, contrairement à ce que son titre indique, n’a rien de joyeux. Il raconte la vie d’une femme taïwanaise qui revient dans son pays pour l’enterrement de sa grand-mère, et repense à toute sa vie. Long d’une bonne heure quarante cinq minutes, le film est ultra chargé en émotions grâce à des personnages forts et des situations marquantes. Le tout s’ancre dans une réalité politique mal connue du grand public (vos serviteurs remercient grandement le dossier de presse pour les infos sur les changements sociaux de 1975 à Taiwan), mais qui reste compréhensible malgré la densité événementielle du tout. Au delà de ces spécificités culturelles qui sauront plaire aux plus curieux et curieuses d’entre vous, le film se penche sur des thématiques universelles, notamment celle de l’identité. Qui suis-je, comment suis-je défini par mes parents, mon milieu social ? Fans de Bourdieu, n’hésitez pas à aller voir Happiness Road quand il sortira en France (car il sortira, on a des infos).

Nous avons eu l’immense honneur de nous entretenir avec la réalisatrice qui a pu nous parler de la dimension autobiographique de son travail, de son propre rapport à sa grand-mère mais aussi à la politique et à la société taïwanaise ; on retiendra un passage de cet entretien pour l’instant, celui sur le personnage de la petite fille blonde. Dans le film, l’héroïne va à l’école avec une gamine métisse dont le père est américain. Cette petite, jamais vraiment acceptée dans son propre pays, est au cœur du déchirement identitaire dont parle Happiness Road. En vérité, nous expliquait Hsin Yin (oui, je l’appelle par son prénom, elle a dit je peux), Taiwan a longtemps été remplie de bases militaires états-uniennes, et les soldats ont beaucoup forniqués. Une petite fille métisse blonde, il y en avait dans toutes les classes, et elles étaient toutes le vilain canard. Nous avons aussi questionné la réalisatrice sur son rôle en tant que femme dans le milieu de l’animation, étant une des rares réalisatrices de long présente au festival, mais elle n’avait pas vraiment pensé à la question ; elle nous a simplement fait remarqué que des fans lui avait reproché de mettre en scène un personnage féminin. En 2018, l’indécence n’a toujours pas de limites.

Happiness Road n’a pas rencontré un succès fou dans son pays (430 000 dollars de recettes pour un budget de 2 millions)… Pourtant, la réalisatrice a présenté le film au Japon et a reçu d’immenses compliments de la part des plus grands noms du cinéma local, qui lui ont tous dit que son film était trop en avance sur son temps. Un jour, il sera reconnu comme un classique. Nous, on pourra se la péter d’avoir été des fans de la première heure.

Hôtel Transylvanie 3 : le vrai Genndy Tartakovsky

La journée Sony s’est terminée par la présentation du dernier volet de la trilogie Dracula favorite de vos enfants. Bien sûr, ce film aura du succès et un quatre sera certainement réalisé, mais sans Tartakovsky, autrement dit sans intérêt. Ce dernier volet est le plus intéressant des trois pour les fans de ce génie de l’animation, puisque Genndy a été plus libre qu’avant. Sur le premier film, il était arrivé quelques mois avant la fin de la production et n’avait vraiment pas fait grand-chose ; le film était intéressant et original dans le mainstream, mais sans plus. Le deuxième était une espèce de mélange entre passages expérimentaux et une narration pas franchement folichonne. Ce dernier est écrit par Genndy et ça se sent ; l’histoire est reléguée au second plan pour laisser la place à des gags visuels totalement fous, toujours en exploitant cette animation ultra rapide. Dracula change de position vingt-cinq fois en deux secondes chrono, c’est un régal pour les yeux. Bref, c’est très drôle, c’est enfin une vraie réussite, et que les fans du bonhomme se rassurent : il en a bel et bien fini avec cette saga. D’ailleurs, nos conversations nocturnes avec les gens de Sony (dont lui) nous ont éclairés sur son avenir, et sachez que de belles choses arrivent ; au moins, un long et une série vont être annoncés prochainement. Nous, on n’a rien dit hein. Mais on vous souhaite bonne nuit.

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