On a pas forcément l’idée de les associer directement, mais Star Wars et la Croisette partagent déjà une petite histoire commune. Outre le fait que c’est à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs, que George Lucas avait en son temps présenté THX 1138, le red carpet a déjà eu les honneurs d’un des épisodes canoniques de la saga puisque c’est là que l’épisode III de la Prélogie, La Revanche des Sith, y avait été montré en 2005. Treize ans plus tard, passé sous pavillon Disney, la franchise de SF la plus populaire au monde avait de nouveau les honneurs du Festival avec cette projection, encore une fois très attendue, de Solo : A Star Wars Story, deuxième spin-off de la nouvelle trilogie initiée le Réveil de la Force.
S’il y a deux ans Rogue One, joli film de casse kamikaze, avait su lever les doutes qui pouvaient exister sur la nécessité de ces histoires parallèles réexplorant la dense mythologie Star Wars, Solo se présentait devant les festivaliers au terme d’un processus de production beaucoup plus chaotique. Départ avec fracas du tandem Phil Lord/Chris Miller pour différends créatifs (quelle idée aussi d’engager les deux mecs à l’origine de 21 Jump Street le film, La Grande aventure LEGO ou la géniale et récemment annulée The Last Man on Earth, avant de les virer pour avoir fait un film trop comique), repêchage en catastrophe du vétéran Ron Howard, rumeurs de dissensions sur le choix de casting d’Alden Ehrenreich pour succéder à Harrison Ford… Au terme d’une tripotée de reshoots encore plus importante qu’à l’accoutumée et d’une campagne promo chaotique qui n’a guère levé la suspicion générale, Disney a tenté un coup à deux semaines de la sortie du film en salles en essayant de se remplumer sous le soleil cannois (sauf que pas de bol il fait un temps de cochon depuis trois jours).
Comme Rogue One, Solo s’articule autour d’une histoire de casse et d’un gang monté de toutes pièces pour réussir une opération. Ici, il est question d’aller chercher une centaine de kilos d’un carburant extrêmement puissant et très demandé sur le marché. Le jeune Han, élevé dans les bas-fonds de Corellia, dont il s’échappe en devant laisser derrière lui sa duclinée Qi’ra (Emilia « Mother of Dragons » Clarke). S’enrôlant dans l’armée impériale pour y devenir pilote, il tombe au cours de ses aventures sur une bande de mercenaires menée par Tobias Beckett (Woody Harrelson), qui l’emmène sur cette mission périlleuse pour le compte d’une organisation criminelle, Crimson Dawn, et du charmant balafré Dryden Vos (Paul Bettany). Sauf qu’évidemment, tout ne se passe pas comme prévu, surtout que la cargaison en question n’intéresse pas uniquement Solo et sa bande.
Une intrigue anémique et dénuée de vrais enjeux
Vu qu’on s’attaque à Star Wars et qu’on tient à notre réputation numérique, on ne s’aventurera pas plus loin dans l’intrigue de ce quatrième SW en quatre ans. Déjà parce qu’on tient à nos mentions Twitter, et surtout parce qu’on comprend bien vite que toute cette histoire n’est pas franchement fascinante. On touche là au premier problème criant de ce Solo : son intrigue anémique et sans véritables enjeux, qu’on suit sans déplaisir mais avec pour seul intérêt de savoir comment toutes ces aventures vont contribuer à bâtir le personnage de Han tel qu’on le connaît. Le scénario n’est ici qu’un prétexte pour empiler un à un les moments auxquels on s’attendait le plus, et sur lequel ne fait pas l’impasse : la rencontre de Han et Chiquetabac, celle avec Lando Calrissian (Donald Glover, beau comme un camion mais sans grand grand-chose à jouer), la découverte du Millénium Condor…
Comprenons-nous bien, les frères Kasdan sont suffisamment habiles pour enrober tout ça de manière à ce qu’on ne s’ennuie jamais réellement. Mais rien ici ne transpire véritablement la nouveauté : la bande est montée un peu comme dans Rogue One, on a droit à notre robot cool (ici une androïde badass féministe et pro-émancipation des robots doublée par la divine Phoebe Waller-Bridge), nos gunfights, nos courses de speeders, et nos caméos pour raccrocher l’attelage à l’ensemble de l’univers. Cet aspect formulaïque et désincarné rend le tout sans aucune surprise et sans épaisseur, ce qui tranche avec ce qui rendait Rogue One beaucoup plus plaisant qu’attendu, son caractère kamikaze assumé jusqu’au bout.
Clairement défrayé pour sauver les meubles, Ron Howard ne fait pas grand-chose de son matériau, et on doute que l’on retiendra véritablement autant de plans iconiques qu’à l’habitude. Les motifs de satisfaction iront se chercher ailleurs. Même s’il doit composer avec un film beaucoup trop sérieux pour le personnage qu’il incarne, Alden Ehrenreich ne s’en tire pas mal du tout, rappelant aux sceptiques qu’on parle pas d’un branque ici. Après des débuts un peu hésitants, surtout la partie sur Corellia, en manque cruel d’inspiration avec ses tableaux monochromatiques gris ou dorés, Bradford Young (chef op surdoué des Amants du Texas, A Most Violent Year et Premier Contact, de très loin l’élément le plus intrigant du film) se reprend pas mal en devant composer avec une sous-exposition et un sous-étalonnage permanents (et imposés ?), trop répandus dans les blockbusters hollywoodiens.
De toute évidence, Solo : A Star Wars Story a accumulé beaucoup trop de galères dans sa production pour pouvoir retomber sur ses pattes avec un chef-d’œuvre dans les mains. Le résultat n’est pas infâme mais terriblement générique (notamment dans ses « twists » de la séquence finale) et manquant dans l’ensemble d’enjeux forts qui pourraient justifier l’existence de ce spin-off. Et surtout, que de morgue et que d’esprit de sérieux pour le contrebandier le plus cool, le plus narquois, et le plus classe de la galaxie. Allez Chico, mets la gomme !
Solo : A Star Wars Story de Ron Howard, avec Alden Ehrenreich, Emilia Clarke, Woody Harrelson…, sortie en salles prévue le 23 mai.