Woman. De la Russie contemporaine aux États-Unis des années 70, les deux séries présentées ce dimanche dans la compétition internationale de cette cuvée de Séries Mania présentaient le dénominateur commun non seulement d’être centrée autour d’héroïnes, mais aussi de les mettre en avant jusque dans leur titre. An Ordinary Woman. American Woman.
An Ordinary Woman, Russie
Du côté russe, An Ordinary Woman nous plonge dans le quotidien d’une fleuriste et mère de famille bien sous tous rapports, qui traverse tout de même une période compliquée entre une grossesse délicate, et un mari chirurgien qui la délaisse pour une des jeunes infirmières de son service. Sauf que la réalité est tout autre puisqu’elle est en réalité une prospère mère maquerelle, chargée de gérer un réseau de prostituées dont certaines sont mises aux enchères. Alors qu’elle mène avec succès sa double vie, arrive le jour inéluctable du dérapage de trop, celui où le plan sans accroc vire à la chienlit généralisée.
An Ordinary Woman, entre le Breaking Bad version prostitutki, la chronique familiale et le roman d’apprentissage
En soi, difficile de s’avancer avec certitude devant ce qui nous a été montré sur grand écran. Nous n’avons en réalité eu droit qu’à une petite heure de projection correspondant grosso modo à un épisode et demi sur les huit que comprendra la série. Le producteur et les deux actrices principales de la série n’ont d’ailleurs fait qu’un aller-retour rapide, repartant dès ce soir pour la Russie pour terminer ce qui reste à terminer de cette Ordinary Woman encore en cours de tournage. Probablement le projet le moins avancé de tous ceux proposés sur cette semaine de compétition, An Ordinary Woman a de l’aveu de Laurence Herzberg tellement impressionné le comité de sélection que celui-ci a insisté pour obtenir quelque chose à présenter, même incomplet.
Sans trop savoir si le montage présenté restera en l’état une fois terminé, on peut comprendre l’effet de curiosité. Jouant sur les tonalités entre le Breaking Bad version prostitutki, la chronique familiale et le roman d’apprentissage, An Ordinary Woman surprend, même si la série aurait gagné à se délester d’une intrigue superflue pour en étoffer d’autres. Mais l’ensemble apparaît très rythmé, vivant, par moments très drôle, et se transforme par ailleurs en une photographie intéressante de la société russe contemporaine et de ses excès suite à l’irruption massive des idéaux capitalistes ce dernier quart de siècle.
Encore pas tout à fait dégrossie, la série mérite tout de même amplement qu’on la surveille, ne serait-ce que pour la prestation tout en variété de tons d’Anna Mikhalkova, fille aînée de Nikita Mikhalkov et elle-même star du petit et du grand écran dans le pays de Vladimir Poutine (dont on n’oublie pas au passage que papa Mikhalkov est un fervent défenseur et un ami proche). Au lendemain de la présentation de The Rain dont la jeune héroïne n’est autre que la fille de Bille et Pernilla August, autant dire que les progénitures des royautés cannoises sont de sortie en ce début de festival.
American Woman, États-Unis
Du côté américain, la Warner nous donnait rendez-vous avec American Woman, nouveauté à découvrir prochainement sur la chaîne Paramount Network. Inspirée par la vie de Kyle Richards, ex-enfant-star devenue star de la Real TV à l’aide de l’émission The Real Housewives of Beverly Hills, elle porte la patte du grand John Wells, showrunner de la mythique Urgences, qu’on avait plutôt vu du côté du cinéma ces dernières années (The Company Men, Un été à Osage County, À Vif !). Élevée seule par sa mère, Richards avait évoqué cette expérience dans ses mémoires Life Is Not a Reality Show: Keeping It Real with the Housewife Who Does It All, publiées en 2011, qui ont inspiré l’écriture d’American Woman.
Bonnie Nolan est une mère de famille comme on en croise des centaines à Beverly Hills dans les années 70. Mariée à Greg, promoteur immobilier à succès qui trompe sa femme comme à peu près tous les hommes de son âge et de son niveau social, elle élève ses deux filles dans leur luxueuse demeure où ses journées sont rythmées entre shopping et cocktails avec ses amies Kathleen et Diana. Sauf qu’un soir, Bonnie perce à jour l’infidélité de Greg. Pas de bol. Double manque de bol, Greg est en réalité un escroc à la tête d’une arnaque pyramidale dont la fortune s’effondre dès lors que le pot aux roses est dévoilé. Seule avec ses deux filles et sans argent en poche, Bonnie va devoir apprendre à se débrouiller dans une société qui ne fait rien pour l’aider.
Une dramédie entièrement structurée autour de la mise en lumière des structures patriarcales
Trouvant sa source dans la deuxième vague du féminisme américain de la fin des années 70 (celle du Women’s Lib et de la convergence avec les mouvements des droits civiques menée par des figures intellectuelles comme Betty Friedan, Gloria Steinem ou Dorothy Pitman Hughes), American Woman est une dramédie entièrement structurée autour de la mise en lumière des structures patriarcales qui régissent la société américaine de l’époque (heureusement que depuis on en est venu à bout et que l’exemple n’est absolument pas transposable en France !). Entre la confrontation au regard des autres, l’incapacité de trouver un travail quand on a travaillé toute sa vie à être mère au foyer, et l’impossibilité d’avancement social sans se confronter à la nécessaire flatterie des hommes, les trois premiers des douze épisodes (format comédie) diffusés font déjà un tour assez exhaustif de la question.
L’excellente idée d’American Woman est de lui donner les traits d’Alicia Silverstone. L’inoubliable Cher Horowitz de Clueless (oui bien sûr on n’oublie pas la Batgirl de Batman & Robin, mais il serait temps de comprendre que 1. C’était pas la pire, 2. Ce film a beau être une merde, elle reste une merde moins purulente que Batman Forever) retrouve tous ses tics de « popular girl », surfant sur ce qui commence à ressembler à un petit retour de hype, alors qu’on l’avait déjà récemment recroisée chez Yorgos Lanthimos dans son Killing of a Sacred Deer. À ses côtés, on retrouve avec autant de plaisir une autre galérienne ex-fan des nineties, Mena Suvari, mais aussi la plus méconnue Jennifer Bartels, probablement la plus intrigante du trio de copines, véritable working girl aux principes chevillés au corps.
On voit assez vite où tout cela veut en venir, et en dehors de son discours féministe American Woman ne réinvente jamais la roue. C’est à la fois ensoleillé, agréable, tape-à-l’oeil et assez vilain comme le sont toutes les villas 12 pièces. Toutes les pièces du cahier des charges sont remplies, du filtre vaporeux type esthétique Liberace aux improbables choucroutes comme on n’en voit plus aujourd’hui que dans RuPaul’s Drag Race. C’est d’ailleurs le principal défaut de la série : tout avance trop régulièrement, sans aucun tressautement, comme une voiturette de golf sur le douze trous de beau-papa les samedis après-midi. C’est louable, c’est gentiment nostalgique, mais c’est assez vite oublié. Si vous aimez bien la période et que vous voulez en savoir plus, rattrapez plutôt le très beau et doux 20th Century Women de Mike Mills.
Au milieu de ces deux propositions inégalement séduisantes, on avait encore rendez-vous aujourd’hui autour d’une rencontre spéciale, cette fois-ci avec le scénariste et showrunner Chris Brancato, showrunner de Narcos et président du jury chargé de récompenser les séries de la sélection officielle. Ça a parlé de Beverly Hills, de la combine foireuse de David Duchovny au tout début de X-Files et des accents du sosie de Didier Bourdon dans Narcos. Un programme assez chargé donc, et plutôt que de tout répéter d’un bloc (il est minuit quarante au moment où ces lignes sont écrites, soyez compatissants), on vous reposte le lien pour le livetweet assuré pour l’occasion. Quitte à tomber sur des pavés à l’orthographe et à la syntaxe approximatives, autant ne pas répéter deux fois les mêmes.
Cette rencontre s’ouvre sur une discussion sur l’internationalisation du paysage séries. Brancato évoque notamment Braquo, qu’il a découvert grâce à un certain Kelsey Grammer #RencontreBrancato #SeriesMania
— Cinématraque (@Cinematraque) 29 avril 2018
Maintenant en attendant le prochain épisode, essayez de nous rappeler un peu le soleil ici, je suis local donc j’ai l’habitude mais à dix jours de Cannes ce serait sympa d’éviter le choc thermique.
An Ordinary Woman de Valery Fedorovich et Evgeny Nikishov avec Anna Mikhalkova, Evgeny Grishkovetz, Alexandra Bortich…, date de diffusion encore inconnue (8 épisodes)
American Woman de John Wells et Johnn Riggi avec Alicia Silverstone, Mena Suvari, Jennifer Bartels…, diffusion à partir du 7 juin sur Paramount Network.