Séries Mania, jour 1 et 2 : Netflix & Ch’till

Parce qu’il n’y a pas de raison que seul Kechiche y ait droit, Cinématraque lance aussi sa nouvelle grande œuvre en groupant les deux premiers chapitres en espérant aussi qu' »avec un peu de chance on aura les moyens de faire la suite, inch’Allah ». Puisqu’à peu près 90% des Parisiens s’imaginent que Séries Mania a déménagé au Pôle Nord, c’est donc un envoyé spécial du cru qui se retrouve sur place, dans la patrie de la fricadelle, des comédies de Bruno Dumont et des clubs de foot aux proprios véreux.

Du 27 avril au 5 mai, Séries Mania, la grande messe des séries s’exporte donc à Lille, avec la tâche (insurmontable au vu des retours de l’époque) de faire mieux que Canneséries, le projet dissident monté contre l’avis du ministère, en dépit de toutes les gesticulations cathodiques d’anciennes ministres de la culture pour faire croire le contraire. Alors oui, vous pouvez penser que le Forum des Images c’est confortable, mais croyez-moi, si un projet culturel a pu conduire à une alliance Martine Aubry – Xavier Bertrand, ça mérite de partir un tant soit peu confiant.

Jour 1 : une histoire de Succession

Titine et Xav étaient d’ailleurs bien présents hier soir pour la cérémonie d’ouverture du Festival sous les ors du Nouveau Siècle, salle où se donne en représentation généralement l’orchestre national de Lille, tenu encore jusqu’il y a peu par le chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus, fils de feue la grande Gisèle du même nom. À leurs côtés, le jury composé par Pierre Lemaître, Clovis Cornillac (le Chris Pine français, du moins au niveau du bouc), Maria Feldman (False Flag) et Maria Schrader (Deutschland 83 et 86). Tout le monde est là, même ceux qu’on n’attend pas, dont Isabelle Adjani, qui vient nous gratifier d’une apparition publique dont elle a le secret, où le silence après Adjani reste du Adjani, option lunettes noires pour salle obscure.

Au milieu de tout ça, y a vous (via le biais de cette review), y a moi, y a du monde. Enfin presque, dira-t-on, puisqu’on commence à voir que certains rangs du dernier balcon sont soigneusement vidés pour venir combler les trous au premier rang de petits cachottiers qui n’ont pas daigné faire passer leur invitation aux copains (contrairement à un certain Nicolas, que je remercie au passage pour m’avoir sorti du propre merdier logistique dans lequel je m’étais enfoncé). Coup de bol, l’auteur de ces lignes en faisait partie.

Un équilibre risqué entre drame financier et comédie familiale vacharde

C’est donc du septième rang que j’ai pu assister à la projection du pilote de Succession, nouveauté HBO présentée en avant-première mondiale avant sa diffusion américaine à partir du 3 juin sur la chaîne câblée (et dans la foulée en France sur OCS comme d’habitude). Création de Jesse Armstrong, compagnon d’armes d’Armando Iannucci sur The Thick of It et In the Loop, Succession n’est cependant pas directement une comédie grinçante comme ces dernières. Elle met en scène un oligarque médiatique, Logan Roy, incarné par l’immense Brian Cox, le premier de tous nos fidèles Lecter. Au seuil de son 80ème anniversaire, ce magnat à la success-story tout ce qu’il y a de plus américaine, s’apprête à passer la main à son fils Kendall (Jeremy Strong). Sauf que le rejeton est loin de montrer la poigne rassurante du patriarche, et que ce dernier ne veut pas vraiment laisser la main si facilement, surtout quand le reste des enfants convoite aussi sa part du gâteau.

Joyeux jeu de massacre feutré, Succession tente un équilibre risqué entre drame financier dans les milieux de la haute (le vernis médiatique n’est juste que thématique, après tout c’est une entreprise comme une autre dans ces holdings qui gèrent également des parcs d’attractions) et la comédie familiale vacharde. Sur le premier aspect, on retrouvera bien vite des éléments familiers sur la cupidité et la vénalité qui ne sont pas sans rappeler The Big Short (et c’est normal, Adam McKay est crédité comme réalisateur du pilote et producteur de la série en compagnie de Will Ferrell via leur bébé Gary Sanchez Productions). Sur le deuxième, on retrouvera rapidement ce sens de la situation propre au style Iannucci, fait d’humiliations et d’engueulades fleuries en public et de répliques qui flagellent jusqu’au sang dans la confidence. Mention spéciale pour le salé « C’est quoi ton parfum ? Date Rape par Calvin Klein ? » qui n’aurait pas déplu à une Selina Meyer ou un Malcolm Tucker.

Sur le papier, le mélange des genres aurait pu tourner au vinaigre, en comparaison par exemple d’une Billions bien plus exhaustive sur la question des truanderies généralisée des hautes sphères économiques. Mais Succession tient, et tient très bien, tout le long de son pilote très réussi. Le jeu de massacre verbal est réjouissant et nous pousserait presque à y voir une galerie de portraits à la Arrested Development. Le casting fait merveille à l’image d’un Kieran Culkin déchaîné, d’un Alan Ruck qu’on est toujours heureux de retrouver dans n’importe quoi ou d’un Matthew McFadyen délicieux en gendre mielleux dont on ne sait trop s’il est juste un gros lourd ou un psychopathe en puissance.

La cinquantaine de minutes défile à toute vitesse, et même si on regrette que le nom de Rupert Murdoch ait disparu du projet (Armstrong avait initialement conçu son projet en 2010 comme une série biographique du célèbre patron de tabloïds anglais et de Fox News), on espère tenir là une chouette surprise, pour peu que le rythme infernal de cette lutte de pouvoir se maintienne, surtout quand celle-ci permet de densifier des personnages déjà prometteurs. Pas grand-chose à reprocher à ce choix de série d’ouverture, surtout avec un titre aussi symbolique pour le comité de Séries Mania, qui a sans doute pu apprécier le clin d’œil.

(Vous remarquerez que j’ai réussi à tenir cette sous-partie entière sans caser une seule allusion à Johnny Hallyday, rep à sa BFM TV)

Jour 2 : Netflix/HBO, VR et vénère

Lors de son discours d’ouverture du festival n’a pas manqué d’évoquer le cas particulier de Netflix, dont la politique de distribution agressive a bouleversé notre rapport à la création en pleine Peak TV. Au beau milieu d’un discours extrêmement habile qu’il serait compliqué de résumer, l’allusion a été soigneusement bottée en touche par Laurence Herzberg, patronne de Séries Mania, alors que la plateforme de Reed Hastings reste encore l’Antéchrist personnifié pour une bonne partie du secteur de la production culturelle française. Toujours aussi fin communicant, Hastings a d’ailleurs bien pris soin de prendre part aux festivités de ce premier Séries Mania lillois, puisqu’il fera partie du panel des Lille Transatlantic Dialogues (une grande journée de conférences et autres keynotes) le 3 mai prochain, à peine dix jours avant l’ouverture du Festival de Cannes, avec lequel il entretient les relations que vous connaissez. Et rappelons que Rodolphe Belmer, président d’honneur de ce premier Séries Mania, siège lui-même au conseil d’administration de Netflix…

Bref, Séries Mania revêt une petite importance stratégique aux yeux de la plateforme de SVOD, qui débarquait en force en ce premier samedi avec deux séries qui viendront prochainement étoffer son catalogue. La première, Kiss Me First, est une acquisition du catalogue de la chaîne britannique Channel 4 et création du showrunner Bryan Elsley. Une dizaine d’années après Skins, coécrite avec son fils Jamie Brittain, Elsley revient aux adolescents paumés avec l’histoire de la jeune Leila (Tallulah Haddon), orpheline depuis la disparition de sa mère, gravement malade. Sauf qu’au lieu d’enchaîner les skins parties, les shots de vodka et le LSD, elle passe ses journées dans un monde en réalité virtuelle, Azana, où elle rencontre Tess (Simona Brown), avec laquelle elle devient rapidement amie. Toutes deux font partie de la même communauté virtuelle qui élit domicile dans une zone hackée du jeu, Red Pill. Le leader de leur groupe virtuel, un certain Adrian, aide à réunir les jeunes un peu paumées, qui cherche à accomplir quelque chose d’autre dans cette vie virtuelle. Sauf que ce mystérieux garçon se montre rapidement moins bienveillant qu’il n’y paraît…

Située à cheval entre les deux mondes (réel et virtuel), Kiss Me First est une jolie chronique adolescente, où l’on retrouve rapidement le talent d’Elsley pour créer une empathie très forte envers ses personnages. Le discours sur le jeu vidéo ne sombre jamais dans l’excès, et les intrigues dédiées aux deux héroïnes de la série fonctionnent parfaitement. C’est moins bien foutu techniquement que Ready Player One mais c’est un peu plus sympa que Ready Player One mais au final ça n’a rien à voir avec Ready Player One mais vous entendrez certainement la comparaison fleurir. On attend d’en voir un peu plus (le cinquième des six épisodes sera diffusé ce lundi au Royaume-Uni), mais le tout manque encore un peu de piquant et de surprise pour qu’on l’élève immédiatement au niveau de son aînée.

On a produit Marseille, mais c’est pas une raison pour que même les Scandinaves se mettent à faire n’importe quoi

La deuxième série estampillée Netflix de la journée, c’est The Rain, première création originale danoise de la plateforme. Pas de polar polaire avec des flics veuves, des lacs gelés et des ponts suspendus, cette fois-ci le pays de Mads Mikkelsen s’aventure en terres SF avec cette dystopie d’anticipation dans laquelle la majeure partie du monde a succombé à un virus mortel et contagieux, propagé par la pluie et les cours d’eau. Par chance, la jeune Simone (Alba August) et son frère Rasmus (Lucas Lynggaard Tønnesen) échappent à la mort avec leurs parents, le papa de la famille étant par ailleurs un scientifique qui semblerait avoir un lien avec le possible traitement capable de venir à bout de la maladie. Quand celui-ci part en quête d’un remède, Simone et Rasmus se retrouvent livrés à eux-mêmes, enfermés dans un bunker hermétique conçu par la firme pour laquelle travaille leur père.

On se gardera d’entrer plus dans les détails, tant les deux épisodes diffusés se montrent denses en événements variés. C’est d’ailleurs l’une de limites criantes de la série : menée au rythme d’une mitraillette en surchauffe, elle ne laisse à aucun moment le temps au spectateur de digérer ce qu’il est en train de voir. Enchaînant les ellipses et les gimmicks anxiogènes, elle dévoie rapidement toute intensité dramatique quant aux réalités de la survie des deux jeunes adolescents. L’intrigue avance sur des rails trop bien huilés, multipliant les deus ex machina et les renversements de situation assez grossiers. Rien ne marche ni n’intrigue vraiment, rien qui ne donne pas en tout cas l’impression d’avoir été vu mille fois en mieux précédemment. On aimerait continuer à vouloir y croire pour l’actrice principale et pour le sympathique Mikkel Boe Folsgaard qu’on retrouve ici après Royal Affair, mais l’enthousiasme est assez vite douché. Alors certes, nous en France on a produit Marseille pour Netflix, mais c’est pas une raison pour que même les Scandinaves se mettent à faire n’importe quoi de leur côté.

Outre ces deux projections, on passera rapidement sur l’autre événement que l’on a pu suivre ce samedi : une discussion assez vivante avec Jeremy Podeswa, figure de la réalisation made in HBO grâce à Six Feet Under, Rome, et plus récemment grâce à quelques-uns des épisodes les plus épiques de Game of Thrones. Non pas parce que c’était pas bien (ça l’était, Podeswa s’étant montré par ailleurs très impliqué dans les échanges), mais parce qu’on a fait un petit live-tweet du bousin sur notre compte Twitter et que ce serait dommage de répéter ce qu’on a déjà dit à chaud. On vous met le premier ci-dessous, vous n’avez juste qu’à cliquer dessus et dérouler le reste ensuite. Une bonne masterclass en somme, et on espère que celle de Chris Brancato, prévue pour ce dimanche et à laquelle on assistera également, sera du même acabit. Mais ça comme vous vous en doutez, ce sera pour un prochain épisode.

*disparaît lentement dans un fondu au noir*

Succession de Jesse Armstrong avec Brian Cox, Jeremy Strong, Kieran Culkin…, diffusée à partir du 3 juin sur HBO et sur OCS en France (10 épisodes)

Kiss Me First de Brian Elsley avec Tallulah Haddon et Simona Brown, diffusée depuis le 2 avril sur Channel 4 et disponible à partir du 9 mai prochain sur Netflix (6 épisodes)

The Rain d’Esben Toft Jacobsen et Jannik Tai Mosholt avec Alba August, Lucas Lynggaard Tønnesen, Mikkel Boe Folsgaard, disponible à partir du 4 mai sur Netflix (8 épisodes)

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