Si le Saturday Night Live s’est fait une spécialité de lancer son lot de révélations, l’émission a à chaque génération sa tête de gondole, le nom qui y restera indéfectiblement attaché, même quand celui-ci n’en fut pas le leader. La fin des années 70 a eu Bill Murray et John Belushi. Les années 80 restent marquées du sceau d’Eddie Murphy. Les années 90 ont propulsé les grandes heures de Mike Myers, puis de Will Ferrell. Souvent par le biais du cinéma, chaque époque de l’émission à sketchs de NBA a fait émerger un talent par-dessus la masse de role players souvent talentueux pour en faire un nom incontournable de son époque.
Depuis, cependant, le paradigme a quelque peu évolué. L’exceptionnelle ère Tina Fey du début des années, au cours de laquelle le génial cerveau derrière 30 Rock et Unbreakable Kimmy Schmidt s’imposa comme la première femme head writer du SNL, a certes aussi vu naître sa très grande star. Mais pour la première fois, celle-ci ne s’imposa pas dans les mémoires par le biais du grand, mais du petit écran. Au milieu des excellents Tracy Morgan, Maya Rudolph ou Will Forte, Jimmy Fallon est devenu probablement l’amuseur public le plus emblématique de la fin des années 2000 et du début des années 2010, refaçonnant le paysage des late shows à l’ère des réseaux sociaux. Un peu ringardisé par l’arrivée de Donald Trump au pouvoir et la soif des téléspectateurs américains pour une télévision plus politisée et plus en phase avec son temps, Fallon n’en demeure pas moins la tête d’affiche de sa génération, quand bien même son destin l’emmènerait davantage sur la voie de garage d’Eddie Murphy et Mike Myers que sur la voie royale empruntée par Bill Murray.
Reste désormais à savoir ce qu’il va advenir de la dernière génération en date à avoir tiré sa révérence du Saturday Night Live. Une génération qui a laissé derrière elle des noms déjà bien connus des amateurs de comédie et des suiveurs assidus du cinéma et de la télévision US : Kristen Wiig, Andy Samberg, Jason Sudeikis… Au cœur de cette génération, Bill Hader représente peut-être le profil le plus complet et le plus fascinant de tous. Doté d’une voix aussi malléable comme son physique n’est quelconque, ce grand échalas, imitateur hors pair, est capable d’incarner ses personnages avec une morgue ne faisant que renforcer leur folie sous-jacente. Moins enfermable dans une filière bien définie à l’image de ses camarades de promo Andy Samberg ou Fred Armisen, Hader est probablement celui qui, au long de ses huit saisons de présence, a démontré la plus grande variété de jeu.
Série noire pour nuits tendres
Longtemps cantonné aux seconds rôles inspirés, aux projets pour fétichistes de l’humour ricain et aux doublages de tout et n’importe quoi, Hader avait déjà pu pointer son nez au bord de la fenêtre avec le très bon Trainwreck de Judd Apatow, où il ne restait cependant qu’un faire-valoir de luxe à la véritable locomotive du film qu’était Amy Schumer. Comme si même propulsé en haut de l’affiche, il restait un frein qui empêchait véritablement de prendre la mesure du talent du garçon. Barry, nouveauté HBO arrivée en relatif catimini pour les non-initiés au milieu de la saison 5 de Silicon Valley et de la saison 2 de Westworld, est là pour changer les choses.
Bill Hader y incarne ici Barry Berkman, vétéran des Marines devenu tueur à gages avec l’aide de son associé Fuches (Root), qui décide de l’impliquer dans un deal douteux avec la mafia tchétchenne. Direction Los Angeles pour son prochain contrat, qui vise un acteur en herbe prenant des cours auprès de Gene Cousineau (Winkler), professeur irritable et fort peu pédagogue dont la carrière est au point mort. Sauf que sur place, Barry se laisse prendre par le démon du jeu, et par les beaux yeux de sa partenaire d’atelier Sally (Sarah Goldberg). Et cela même si cela doit entrer en conflit avec sa deuxième trouble vie.
Le changement de ton est pourtant annoncé d’emblée. Si Barry a les attraits d’une comédie par son format 30 minutes et la prédominance d’acteur typés comédie à son casting (Henry « Fonzie » Winkler, Stephen Root ou la formidable D’Arcy Carden, la Janet de The Good Place), elle est une comédie noire qui se plaît à y injecter une cruauté frontale pour nourrir le traumatisme de son héros. Cela passe notamment par l’ajout malicieux de quelques-unes des tronches de psychopathes les plus marquantes du petit écran ces dernières années : Glenn Fleshler, le Yellow King de True Detective ; Anthony Carrigan, dont l’alopécie génétique (une condition qui entraîne la chute des poils et des cheveux sur l’ensemble du corps) s’est déjà remarquée dans Gotham sous les traits de Victor Zsasz, ou bien (dans un tout petit rôle à contre-emploi) un certain Cameron Britton, l’Ed Kemper de la série Netflix où le héros ressemble à Emmanuel Macron.
Fraîcheur printanière
Ce grand écart de tonalité donne tout sa saveur à la série parce qu’il n’est jamais forcé. Portée par la versatilité d’Hader, grande carcasse brisée par des années d’exactions, elle excelle parce qu’elle matérialise ce dilemme intérieur presque insoutenable. Toujours formidable, Hader prête corps à ce gangster avec un naturel convainquant, ce qui n’était pas forcément donné. Barry est un plaisir rafraîchissant parce qu’elle est à l’image de son héros : un objet insaisissable oscillant constamment entre le polar pulp, la romcom indé, le film de gangster branquignoles à la Shane Black… Sans qu’on sache trop s’il est inadapté ou juste lassé du rôle social qui lui est imposé, Barry nous évoque à la fois Tony Soprano, Dexter Morgan ou Sheldon Cooper.
Barry aurait pu virer au one-man show permanent. Mais fidèle à ses habitudes, Bill Hader ne peut s’empêcher d’y faire briller ses partenaires. La série n’est pas qu’une succession permanente de tronches folkloriques et de destins fracassés. Ses gangsters y sont drôles, complexes non pas par la pesanteur d’enjeux psychologiques superflus, mais par leur sens de l’humour et la simple exploration de leur quotidien. Ses acteurs en herbe y sont dévoilés dans leurs perfidies, leurs désillusions, leurs instants de gravité. Tout en contrastes clair-obscurs, ils contribuent à construire une série à taille humaine, qui ne cherche rien d’autre qu’à montrer des gens qui passent leur temps à se mentir à eux-mêmes.
Et si la série nous rappellera au bon souvenir d’un Henry Winkler toujours en forme (Arrested Development et Parks and Recreation nous l’ont prouvé ces dernières années), elle est aussi l’occasion d’une révélation, qui porte le nom de Sarah Goldberg. Totalement inconnue au bataillon, elle incarne ici Sally, la partenaire de cours de Barry, actrice dont la carrière, comme beaucoup de ses compagnons de classe, est au point mort. Irrésistible et indéfinissable, elle incarne à la perfection une série qui prend un malin plaisir à jouer avec nos repères en permanence.
C’est cette simplicité ludique qui permet au final l’adhésion. Barry est un petit plaisir théorique, avare d’effets et de grands discours. Au beau milieu des « grandes » séries (ou qui « veulent faire grandes ») qui s’accumulent ces dernières semaines (Westworld, The Handmaid’s Tale, Legion, Atlanta, The Americans, Counterpart…), elle n’aspire qu’à être une respiration bis, qui n’a rien à dire sur le monde, sur les migrants ou l’évolution incontrôlée des technologies. Son positionnement dans les grilles de printemps est en soi parfait, en ce qu’elle est la série parfaite pour le marathonien sériephile qui, par moments lessivé par la course à la révolution sérielle, se prendrait bien un peu de comfort food télévisuelle. Juste normale et généreuse, à l’image de Bill Hader lui-même.
Barry de avec Bill Hader, Henry Winkler, Sarah Goldberg, saison 1 en cours de diffusion sur HBO, en H+24 sur OCS et disponible en replay sur OCS Go.