Black Panther : rasta for life

À la sortie de Straight Outta Compton, on concluait notre article par les paroles de I de Kendrick Lamar. Ce titre avait, avec Alright, servi de bande originale du mouvement Black Lives Matter, comme le fut en 1992 Fuck The Police de NWA. Le biopic du « groupe le plus dangereux de l’histoire de la musique » donnait l’occasion aux Afro-Américains d’affirmer (sous l’impulsion de Dr Dre) leur fierté d’être et leur capacité à dominer le box-office. Ce signe n’était pas anodin au moment où un président noir était à la Maison-Blanche. Le combat pour les droits civiques initié par les organisations afro-américaines des années 60 était loin d’être gagné. Cependant, Barack Obama, Dr Dre, Jay Z et la Queen B pouvaient au moins démontrer qu’ils pouvaient prendre en main le capitalisme américain. À la même époque, Jordan Peele et Keegan-Michael Key exprimaient à travers leurs sketchs un point de vue plus corrosif. Les deux artistes mettaient en lumière un racisme d’état systémique et la soumission encore actuelle d’une partie de la population noire à l’autorité blanche. Peele a ensuite approfondi cette position dans le très intéressant Get Out. Le film, qui a été un peu bêtement interprété comme le premier long métrage anti-Trump, est beaucoup plus subversif que cela. C’est un objet acide sur l’Amérique de Barack Obama et l’ancrage considérable de la xénophobie aux USA, notamment chez la bourgeoisie de gauche. C’est ce même regard, tout aussi nuancé et critique que porte Donald Glover dans son chef-d’œuvre télévisuel Atlanta. D’une certaine manière, le travail de Peele et Glover prévenait leurs compatriotes : attention, il ne faut pas se tromper de combat ni se laisser avoir par l’illusion du pouvoir.

il y avait dans les adaptations Marvel un arrière-goût de fascisme

Ayant bénéficié d’une interminable gestation, Black Panther a au départ été proposé, en 1992, par l’acteur conscient Wesley Snipes (connu à l’époque pour ses rôles chez les très engagés Spike Lee et Mario Van Peebles). C’est après de multiples péripéties que le projet a été repris en mains par les actionnaires de Marvel. Si la fusion de Snipes avec l’imaginaire de Lee et Kirby pouvait, laisser espérer une charge subversive, l’abandon de l’entreprise et sa réactualisation, par les pontes de Marvel et Disney, aujourd’hui pouvait inquiéter. Certes, Bryan Singer et Ian MacKellen ont pu se baser sur les pistes politiques cultivées par Lee et Kirby concernant X-Men, mais ils bossaient pour la Fox. Avec le temps, il est difficile de nier l’aspect particulier de leurs interprétations. Ces productions Singer se posent avec une jolie constance comme une adaptation fidèle et capable de se renouveler de ces personnages de papier. Elles sont tout à la fois une réflexion sur les différends stratégiques des associations pour les droits civiques des années soixante, qu’une lecture LGBT des étudiants du professeur Xavier. Elles rappellent enfin, et de façon indélébile, la forte importance du poids de la destruction des juifs d’Europe dans le destin des mutants.

Bien au contraire, et Joss Whedon l’admettait en travaillant sur les Avengers : il y avait dans les adaptations Marvel un arrière-goût de fascisme qui s’imposait de plus en plus. De la même manière pour DC, Zack Snyder confrontait les références esthétiques du futurisme (terreau de l’art mussolinien) avec les origines judaïques de Man of Steel. Mais si cette bataille a été rudement menée chez DC grâce au réalisateur de Watchmen, ce n’est malheureusement pas le cas pour les transpositions des œuvres de Kirby et Lee. L’antifascisme, matrice des personnages de Marvel s’est effacé avec le temps, pour arriver à un niveau d’ambiguïté gênante. Taika Waititi s’en est-il rendu compte ? Toujours est-il qu’il a amorcé, dans la franchise la moins considérée de Marvel, un travail de déconstruction de ces dieux pop. Déconcertant une partie de la fan base Marvel, Waititi a transformé son film de super héros en comédie burlesque qui va poser des jalons qui seront récupérés plus tard, par Ryan Coogler. Chris Hemsworth semble, à ce propos, s’en réjouir en jouant de son génie comique et de son sens de l’autodérision découvert avec SOS Fantômes. En déconstruisant l’image du dieu nordique, blond aux yeux bleus, aussi musclé qu’une statue grecque, Waititi lui infligeait deux figures féminines lui substituant ses attributs de virilité. Sans en avoir l’air, à travers un divertissement grand public, parfois assez puéril, il imposait un nouveau modèle de super héros s’éloignant de ses tentations de représentations fascistes.

Homme cis blanc hétéronormé cherchant à s’incruster dans une réunion en non mixité

Black Panther hérite de cette remise en question, mais pas là où l’on attend. Là où Marvel a cherché à promouvoir une iconographie radicale, empruntant à travers certaines de ses affiches à l’histoire des révoltes afro-américaines, le film recadre très vite son discours. L’affirmation afro-américaine comme corps politique qui refuse de se soumettre à la suprématie du pouvoir blanc n’est qu’une parenthèse. Si Ryan Coogler s’exprime très clairement au début et à la fin de l’œuvre à ce sujet, il rentrera dans le rang durant la plus grande partie du long métrage. Public Enemy, ainsi que les émeutes de 1992 qui ont suivi le lynchage de Rodney King, sont ici qu’une encoche superficielle. Black Panther est loin de se mettre au service des luttes afro-américaines, où sinon, peut être la seule acceptable pour le système actuel : permettre aux plus riches d’entre eux de pouvoir s’asseoir aux côtés des blancs. Avec Black Panther on est plus proche de Straight Outta Compton qui synthétisait surtout l’amertume et le cynisme de Dr Dre, que du film Dear White People de Justin Simien.

C’est probablement pour cela que Black Panther va puiser ses références non pas dans le récit politique des Afro-Américains, mais plus dans la métaphysique et le rastafarisme. Ce mouvement religieux apparu en Jamaïque chez des descendants d’esclaves, à travers la pensée de Marcus Garvey, se base sur le culte du Negusa Nagast, roi d’une Éthiopie fantasmée. Avec le couronnement d’Hailé Sélassié, ces Jamaïquains voyaient venir le temps de la fin des souffrances pour les peuples africains. Le Wakanda, pays imaginaire qui sert de lieu au récit, est d’une certaine manière la concrétisation de ce nouvel Eden. Et de la même manière que les rastas cultivent le cannabis auxquels ils prêtent des vertus divines, les fidèles de Black Panther font pousser une plante tout aussi hallucinogène, mais qui ne peut être consommé que par les dirigeants du Wakanda. La présence affirmée de Kendrick Lamar comme producteur exécutif serait plus une façon de le rapprocher d’un Bob Marley que de renforcer son image politique acquise grâce au mouvement Black Lives Matter.

Bien que dépassé par la machine hollywoodienne, Ryan Coogler va pour autant profiter de sa place pour offrir à son acteur fétiche Michael B. Jordan un personnage plus intéressant que celui de T’Challa. D’ailleurs si T’Challa (Chadwick Boseman), en tant que Wakandais, est né sur le sol africain, Killmonger est lui un Afro-Américain, conforme au public cible du film. Sans aucun super pouvoir, entraîné par l’armée américaine et des entreprises de mercenaires, il va tout de même vaincre, pour un temps T’Challa. Si tout comme Coogler, Killmonger va finir par mettre le genou à terre, il ne va pas abandonner ses idéaux, ici, politiques. Bon roi, riche et progressiste, T’Challa va comprendre la colère de sa Némésis et lui proposer de soigner ses blessures. Killmonger refuse toute aide et se laisse mourir en ayant comme seuls vœux qu’on jette son corps à la mer, là où ont disparu des milliers de déportés africains promis à l’esclavage aux USA.

La pensée radicale est alors mise hors de combat. Ce que vend ensuite Black Panther, c’est un fantasme d’un continent africain à l’image du Wakanda tout entier dédié à la technologie et la consommation. Mais ce capitalisme africain se montre uniquement capable d’assister les quartiers pauvres afro-américains de Los Angeles, abandonné par les dirigeants étasuniens. L’exploitation des noirs n’est pas remise en cause. Chaque pays profiterait, aux mains des grosses fortunes, des avancées scientifiques de chacun en se préparant, évidemment à un danger terrible. T’Challa est préoccupé par le sort de l’humanité. Mais il devra-t-être poussé par les actions radicales de Killmonger et les revendications de son ex pour enfin permettre au monde de bénéficier de l’énergie extra terrestre au cœur de la puissance du Wakanda.

T’Challa en retrait, derrière une des nombreuses femmes superbes qui lui volent la vedette

C’est sur ce point que Black Panther à l’image de Thor: Ragnarock se montre plus sympathique. Car si T’Challa est moins charismatique que Killmonger, il se fait surtout voler la vedette, non pas par une femme, mais par quatre : Lupita Nyong’o, Letitia Wright, Danai Gurira ou même en quelques scènes Angela Bassett. Dans Thor : Ragnarok, alors que le héros se retrouvait avec son marteau brisé, Tessa Thompson (Valkyrie) saisissait symboliquement, lors d’une séquence mémorable, ce qui détermine la volonté de puissance des mâles : leur chibre. Cette scène truculente fonctionnait dans une œuvre essentiellement burlesque. Cette prise du pouvoir devait se faire de façon plus raffinée dans Black Panther, film d’espionnage plus qu’autre chose. L’apparition de Nakia (Lupita Nyong’o) dans le long métrage impose dès le départ l’idée qu’il ne s’agit pas ici pour l’homme d’aller sauver la jeune fille en danger, ni qu’une femme doit être filmée et habillée de façon à exciter le spectateur hétéro. L’époque où l’on pouvait se faire passer pour un cinéaste féministe en caractérisant les personnages du sexe opposé essentiellement grâce à leurs attributs est terminée. Sans chercher le moins du monde à faire de leur œuvre un brûlot féministe, Ryan Coogler associé à Marvel fait juste le constat d’un changement de mentalité global, après des décennies de luttes, dans le monde du divertissement. Zack Snyder, avec Sucker Punch, puis avec la Warner/DC l’avait déjà compris en faisant de Gal Gadot une iconique Wonder Woman. Après avoir réduit le combat entre Batman vs Superman à un ridicule conflit œdipien, Snyder a ouvert la voie à Gal Gadot, se retrouvant à la tête du premier blockbuster de super-héroïne. De surcroît réalisé par une femme, Patty Jenkins.

l’actrice britannique se révèle être la véritable étoile de Black Panther

De manière plus affirmée, Black Panther, met de côté son super héros pour s’intéresser aux femmes de son récit, qui, contrairement à T’Challa n’ont pas besoin de stimulant pour asseoir leur pouvoir. Si Nokia est une espionne proche du peuple, elle s’oppose à l’isolationnisme de T’Challa, faisant d’elle une redoutable diplomate. De la même manière, Okoye (Dania Gurira) se pose comme une habile chef de guerre, stratège qui n’hésitera pas à dicter au combat ses idées politiques face à l’homme qu’elle aime (Daniel Kaluuya). Dirigeante du Wakanda, Ramonda s’impose en quelques plans seulement grâce au charisme et à la stature de Angela Bassett.

Mais c’est surtout la petite sœur de T’Challa qui va avoir le dessus par son importance et grâce à l’interprétation que lui offre Letitia Wright. Passée relativement inaperçue jusque là, l’actrice britannique se révèle être la véritable étoile de Black Panther et l’on devrait continuer à en entendre parler prochainement dans Ready Player One de Steven Spielberg. Tout à la fois espiègle et femme d’action à la tête du département technique du service d’espionnage du Wakanda ; Shuri installe Black Panther comme l’anti James Bond. Opprimées parmi les opprimés, les noires trouvent ici de quoi imposer des figures féminines, complexes et fortes à valeur d’icônes universelles. Si l’on peut regretter le merchandising cynique qui entoure le film s’appuyant sur la radicalité des mouvements afro-américains, il serait mal venu de ne pas saluer ce virage politique du MCU totalement en symbiose avec son temps. On ne peut plus faire l’abstraction de la violence de la domination (blanche) patriarcale. Celle-ci a été exposée, de façon spectaculaire, dans le monde entier entre le tournage du long métrage et sa sortie. L’enquête de Jodi Kantor et de sa collègue Megan Twohey dans le New York Times a fait chuter l’un des hommes les plus puissants d’Hollywood : Harvey Weinstein. Malgré les résistances réactionnaires auxquelles on a pu assister dans l’Hexagone, il y aura un avant et un après #MeToo, tout comme il y aura un avant et un après Black Panther dans le monde super-héroïque.

Black Panther, de Ryan Coogler avec Chadwick Boseman, Michael B. Jordan, Lupita Nyong’o, Letitia Wright, Danai Gurira, Angela Bassett, Forest Whitaker, Isaac de Bankolé, Daniel Kaluuya, Winston Duke, Andy Serkis, Martin Freeman. Sortie le 14 février.

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1 thought on “Black Panther : rasta for life

  1. Thanks! I did enjoy Killmonger as a villain, a lot, but I couldn »t really reveal why too much in the review without giving anything away about who he is and why he hates T »Challa. But in the comments, spoilers be damned! I liked Jordan »s acting so much in Black Panther that I finally watched Creed. Sadly, that film didn »t have the impact on me I was hoping it would, and I felt Jordan »s acting was not effective in that role. He had this chip on his shoulder the whole movie that just got annoying as hell. But with Killmonger, his vengeance made perfect sense and Jordan »s edge was perfect. He should stick to villain roles, I think. I am excited to see where the MCU will take the now publicly revealed Wakanda. There is a rich environment for all sorts of stories because of the way everything was set up in the film.

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