Psiconautas, Les Enfants Oubliés : Zoodystopie

On avait bien failli le rater celui-là. Sorti en plein Festival de Cannes, alors que nous pensions difficile de trouver plus affreusement déprimant que le Loveless d’Andrey Zvyagintsev en ce moment, il aura fallu que l’on tombe sur Psiconautas totalement par hasard. Et HEUREUSEMENT. L’annonce est faite d’entrée de jeu : je n’ai qu’une intention et une seule avec ce papier numérisé, je veux vous forcer à voir ce film.

Ce qui vous arrivera si vous n’allez pas voir le film.

Psiconautas, comme son nom l’indique est un film espagnol, et comme son nom ne l’indique pas, un film d’animation. Mais attention ! Il fait partie d’un genre trop rare et trop souvent dénigré en dehors de quelques sphères trop réduites… Vous savez bien de quoi je parle. Écrit et réalisé par Pedro Rivero et Alberto Vasquez, le long métrage qui fait suite à un court intitulé Birdboy sorti en 2011 est un film d’animation pour adultes.

si vous tenez à faire comprendre rapidement à vos gosses que la vie c’est de la merde, n’hésitez pas, foncez!

Mdr.

Oui, il y a tout plein d’animaux comme dans un bon Dreamworks, sauf que cette fois les grimaces ne seront pas liées à des gags plus ou moins désopilants : ce sera plutôt parce qu’ils/elles souffrent sous l’influence des nuages radioactifs. Ha. Ha. Ha. Qu’est-ce qu’on se marre. Car je ne dis pas « film pour adultes » dans le sens où les thématiques parleront plus aux grands qu’aux petits, je dis que dans ce film, vous pouvez voir un petit oiseau prendre de la drogue et faire un bad trip où des ptérodactyles lui dévorent les entrailles pendant qu’un arbre lui sort du bide. Mais après, si vous tenez à faire comprendre rapidement à vos gosses que la vie c’est de la merde, n’hésitez pas, foncez ! Il vous faudra tout de même les cacher dans votre sac pour rentrer dans le cinéma, parce que Psiconautas est interdit au moins de douze ans en France. Et d’ailleurs, j’essaie depuis que j’ai connaissance de cette information de m’imaginer voir ça à douze ans et d’en sortir sans être bouleversé. C’est peine perdue ; n’en déplaise à mon manque de maturité, j’ai passé depuis longtemps la douzaine et je suis totalement sous le choc face à ce long métrage. Je suis « en PLS », comme aurait dit un jeune collégien de douze ans à ma place.

Nous à la sortie du film.

Durant à peine 1 h 20, Psiconautas a pourtant beaucoup (trop ?) à dire ; l’intégralité de l’histoire se passe sur une île peuplée d’animaux pas très mignons, après qu’une centrale nucléaire leur ait gentiment pété à la gueule. Déjà, ceux qui se souviennent de leurs cours d’espagnol LV2 au lycée auront remarqué que c’est très castillan comme thème, parce que tous nos profs étaient altermondialistes. Je vous garantis même qu’au CAPES d’espagnol il faut faire un discours sur le développement durable en préparant du guacamole anticapitaliste.

La narration est la première force de ce long métrage : plutôt que de suivre un personnage central ou un petit groupe, nous avons droit à de nombreuses vignettes qui en s’assemblant donnent une vision d’ensemble de l’île. Au final, c’est vrai que tout se recoupe, mais en termes de structure c’est rafraîchissant comme tout, donc ça fait du bien par où ça passe. Si l’on tente de résumer, cela donne un truc du genre :

Birdboy est un petit oiseau muet qui est accro aux drogues dures, et qui tente de protéger les autres oiseaux de la police franquiste qui les déteste. Parce que ce sont des étrangers, qu’ils ne parlent pas la même langue et qu’ils sont tous dangereux. Donc les oiseaux sont des réfugiés, et la police franquiste ressemble à nos bonnes vieilles polices occidentales modernes… ça commence bien. Dinkie est une écolière amoureuse de Birdboy, la honte de sa famille, car elle ne va plus à l’église et trempe probablement dans la drogue, tandis que ses parents eux prennent des antidépresseurs. La drogue légale, c’est bien, mais si elle est illégale ah tout de suite on fait le jeu du FN hein ! Dinkie est amie avec une enfant schizophrène et un petit renard harcelé parce que tous les renards sont des menteurs. On a aussi droit à deux frères rats aux ongles noirs de crasse qui arpentent la décharge en quête de cuivre, un petit cochon dealer de drogue qui se fait torturer par la maladie de sa mère, personnifiée en une araignée géante… J’en passe et des meilleures. Parmi les choses que je passe, justement : les objets sont vivants. Et eux aussi ont des vies de merde, comme ce canard gonflable qui a perdu sa famille de canards gonflables et vit comprimé dans une boite en carton.

le mot « joie » doit avoir autant de sens que la phrase « Brett Ratner est un artiste »

Toi face à la vie.

Vous devez déjà avoir compris que l’ambiance du film est… Pour le moins déprimante. C’est un monde où le mot « joie » doit avoir autant de sens que la phrase « Brett Ratner est un artiste » dans le nôtre. Mais il faut ajouter à cela la seconde force de Psiconautas : son dessin. Les traits sont simples, mais sacrebleu tellement efficaces. Regardez par exemple la bouille ronde de Birdboy. Voyez comme son petit bec au milieu de la face donne envie de lui faire des câlins. Les créatures qui doivent être terrifiantes le sont, celles qui sont dégoûtantes aussi, et celles qui sont pathétiques sont peut-être les plus réussies. Il faut ajouter à cela un sens du cadrage et du rythme au montage qui donnent un souffle épique — la musique, belle et oppressante — au tout, qui en un mot sublime l’œuvre. Et tout va tellement vite ! On passe sans flancher d’un moment d’élégance mélancolique à de la comédie noire plus grinçante qu’une craie sur un tableau noir. Je voulais trouver une comparaison plus drôle, j’ai demandé à ma coloc qui m’a dit « plus grinçante que le cri de la bite ». J’ai décidé d’ignorer cette remarque et de continuer comme si de rien n’était.

C’est donc une œuvre difficile, mais qui par je ne sais quel hasard saugrenu parvient à ne jamais tomber dans le mauvais goût. Oui, c’est très dur, très sombre, et en plus ce sont des petits animaux mignons qui souffrent, et pourtant ça passe pour une raison très simple. Le film transpire l’honnêteté. Je ne veux pas trop en dire alors permettez-moi un seul exemple : j’ai cité plus haut le cas d’une enfant schizophrène. Sarah, puisque c’est son nom, n’a pas plusieurs personnalités comme on le voit trop souvent au cinéma ; elle est schizophrène, ce qui veut dire qu’elle entend des bruits affreux, et parfois des voix. Sauf que, et c’est là où le film s’en sort admirablement, Sarah n’écoute pas les voix qui la pousse à commettre des actes terribles. C’est un trope assez agaçant au cinéma et à la télévision que de voir des criminels instables qui commettent des actes parce que des voix leur a dit de le faire ; la vérité, c’est que la majorité des personnes atteintes de ces troubles psychiques ne sont pas stupides, en fait. C’est ce qu’on appelle de l’honnêteté, et voir ça dans un dessin animé espagnol avec des animaux irradiés du bulbe, ça prouve que tout est possible en 2017. Sauf que Brett Ratner devienne un artiste, évidemment.

un croisement entre Maus, The Wall et Le Secret de Nimh

Psiconautas ressemble à un croisement entre Maus, The Wall et Le Secret de Nimh

Si je devais me permettre des comparaisons, je dirais que Psiconautas ressemble à un croisement entre Maus, The Wall et Le Secret de Nimh. Mieux encore, et là les spécialistes reconnaîtront, il ressemble à un clip vidéo de Jess Cope et Steven Wilson. Au fond, c’est un film qui irait parfaitement à l’album « The Raven Who Refused To Sing«  ; je recommande de les synchroniser façon « Dark Side of the Magicien d’Oz » du coup.

En bref et parce qu’il faut bien conclure. Le cinéma d’animation est toujours à son meilleur quand il vient chatouiller la poésie avec une série d’images et de couleurs parfaitement agencées. Psiconautas est honnêtement un des tout meilleurs films de l’année, franchement tout sauf un bon moment à passer, mais étrangement agréable. Vous avez dit catharsis ?

Psiconautas est un film réalisé par Pedro Rivero et Alberto Vázquez, avec les voix de Andrea Alzuri, Eva Ojanguren. 1h20. Sortie le 24 Mai.

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