Sieranevada, de Cristi Puiu

Ceux qui l’ont vu en gardent un souvenir ému. La Mort de Dante Lazaresu de Cristi Puiu, sorte de road-movie halluciné et hallucinant autour d’un malade sur un brancard d’urgences, signait en 2005 la (re)naissance du cinéma roumain et donc l’émergence d’une nouvelle vague dans ce pays de l’Est. Cristi Puiu, Cristian Mungiu, le regretté Cristian Nemescu et Corneliu Poromboiu étaient ainsi les ambassadeurs d’un nouveau cinéma, glaneur de prix et de récompenses en tous genres, fortement inspiré stylistiquement par les lauréats cannois des années 2000 (les Dardenne et Gus Van Sant, essentiellement). Beaucoup disent que si La Mort de Dante Lazarescu avait été en compétition officielle, il aurait pu remporter la Palme d’or ; il n’a remporté que le Prix Un Certain Regard cette année-là.

Après un film plus ou moins autobiographique où Cristi Puiu jouait, Aurora, sélectionné à Un Certain Regard et passé inaperçu, Sieranevada représente le véritable retour de ce cinéaste. Cristi Puiu retrouve la thématique de la mort, mais cette fois-ci vue du côté des survivants. A Bucarest, Lary, un docteur en médecine, va passer son samedi au sein de sa famille réunie à l’occasion de la commémoration de la mort de son père. Cependant, la réunion ne se passe pas comme prévu : au lieu de l’apaisement attendu, les conflits surgissent ; les secrets enfouis sont déballés ; les polémiques enflent.

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On va ainsi assister pendant 2h53 aux traumatismes intimes et politiques d’une famille roumaine, trois jours après l’attentat contre Charlie Hebdo. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la peur règne chez tous les membres, les théories conspirationnistes se répandent au sujet du 11 septembre. Entre une personne rongée par la drogue, un vieux couple déchiré par la jalousie et des frères qui ne sont plus sur la même longueur d’onde, l’ambiance n’est pas franchement à la folle gaieté. Pourtant Sieranevada est souvent très drôle, comme si, selon la formule consacrée, l’humour était la politesse du désespoir.

Sieranevada est surtout un pari expérimental assez conséquent : lors d’un filmage en huis clos, on sortira à peine de l’appartement exigü où tous les membres de la famille sont confinés. On passera ainsi de la cuisine à la salle de séjour, en passant dans les diverses chambres, sans entrer parfois à l’intérieur des pièces. La caméra passera dans un mouvement incessant d’un personnage à un autre, adoptant implicitement le regard du mort, observant comme dans un aquarium, à la manière de Flaubert, les conflits et les discussions entre les membres de cette famille, microcosme d’une société roumaine en plein trauma.

On peut regretter les longueurs inhérentes à un tel projet et estimer que La Mort de Dante Lazarescu représentait un film à la fois plus poignant, émouvant et tendu de bout en bout. Contrairement à certaines Palmes récentes très longues (La Vie d’Adèle ou Winter Sleep), la durée du film ne devient un avantage que si une certaine tension est maintenue tout du long. Ce n’est pas toujours le cas dans Sieranevada. Néanmoins on ne peut nier l’ambition et la maîtrise de Cristi Puiu qui lui permettent d’arriver au bout de ces presque trois heures.

La comparaison avec Cristian Mungiu, l’autre réalisateur roumain sélectionné, sera inévitable et nous donnera un bel aperçu de l’état du cinéma roumain. On est impatients !


Gaël Sophie Dzibz Julien Margaux David Jérémy Mehdi
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Le tableau des étoiles complet de la sélection à ce lien


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Un film de Cristi Puiu avec Mimi Branescu et Bogdan Dumitrache
Sortie française : inconnue

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