Elle, de Paul Verhoeven

Dire que l’on attendait Verhoeven au tournant est un doux euphémisme. La bande-annonce de son dernier film, Elle, présenté aujourd’hui à la Croisette, sentait le film de vieux, façon Haneke mais en foiré. Autant vous le dire tout de suite, on en est à mille lieues. Si Elle met en scène une Huppert dont le génie autrichien sait aussi tirer la quintessence, les similitudes réelles s’arrêtent là. Chez Haneke, tout est grave, chez Verhoeven, tout est grotesque.

La honte n’est pas un sentiment assez fort pour nous empêcher de faire quoi que ce soit

C’est la clé de lecture la plus évidente que Verhoeven nous donne dans le film, de la bouche du personnage d’Huppert s’adressant à sa collègue de bureau (Consigny).

Cher jury, merci de me donner le prix d'interprétation. Sinon...
Cher jury, merci de me donner le prix d’interprétation. Sinon…

L’idéal serait que vous ne sachiez pas grand-chose du film avant d’entrer dans la salle obscure. De fait, on ne va pas divulgâcher. Ce que l’on peut dire, c’est que Verhoeven ne s’embarrasse pas d’introduction, qu’il clôt son générique de début par le bruit d’un vase qui tombe. C’est Michèle (Huppert), qui se fait violer dans sa grande maison par un mystérieux inconnu cagoulé.

Qui est-il ? Pourquoi ?
Et aussi, pourquoi n’est-ce finalement pas si grave aux yeux de l’héroïne ? Pis, pourquoi cet acte fut-il excitant pour elle ?

Tant de questions qui trouveront des bribes de réponse dans un déroulement scénaristique virtuose, largement influencé par le Oh… de Philippe Djian dont le film s’inspire. Dans Elle, tout est question de rythme. Paul Verhoeven compose son film comme une symphonie, en ajoutant encore et encore des ingrédients à celui-ci jusqu’à ce que l’on y prenne vertige. Chaque personnage joue sa partition, et la scène-clé du repas rassemblant tous les protagonistes est un bijou absolu. Rarement a-t-on vu autant d’enjeux scénaristiques se jouer autour d’une grande tablée.

Si au premier abord on aurait pu penser qu’Huppert peinerait à s’accommoder à l’univers si déroutant de Paul Verhoeven, les doutes sont rapidement chassés : la dame apporte au film une prestance incroyable. Elle donne l’impression de tout dominer, légitimant de toute sa prestance le comportement ambigu du personnage qu’elle campe. Elle insuffle au film un trouble parfaitement verhoevenien, très sexuel, assez unique.

La filmographie de Paul Verhoeven en une image, donc
La filmographie de Paul Verhoeven en une image, donc

Le film prend la forme d’un immense noeud qui ne pourra se défaire qu’après une inévitable catastrophe. Plane donc sur celui-ci la peur permanente de l’inéluctable chute. La pression ne retombera finalement qu’au générique de fin, pour laisser place au malaise. Car à l’instar de tous les grands thrillers, Elle se révèle encore plus passionnant quand les lumières se rallument. Et qu’autour de nous, les visages sont remplis de questions. En route pour une nuit où les portes seront fermées, mais pas les yeux.


Gaël Sophie Dzibz Julien Margaux David Jérémy Mehdi
 [usr 5] [usr 4.5]

Le tableau des étoiles complet de la sélection à ce lien


2

Un film de Paul Verhoeven avec Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Anne Consigny, Charles Berling, Virginie Efira.

Sortie en France le 25 mai 2016.

About The Author

1 thought on “Elle, de Paul Verhoeven

  1. Ni fan de la première heure, ni détracteur régulier de l’œuvre de Paul Verhoeven, je pense que l’écriture de « Elle » n’est pas à la hauteur d’un scénario formidablement conçu par ailleurs. Par conséquent, celle-ci me paraît bien moins étonnante, voire déroutante, que ne le sont les réactions de Michèle (I. Huppert), le personnage principal. Classiquement, la mise en scène ne fait que provoquer, chez le spectateur, des affects et des émotions là où Michèle précisément n’en éprouve pas. Comme si nous devions nous substituer à elle, ressentir les choses à sa place, souffrir pour elle de la violence qui lui est faite, nous sentir blessés des petites humiliations qu’elle subit, et pallier ses carences affectives, manière de nous pousser à nous en désolidariser, à la désapprouver. Dans ce règne absolu des émotions qui est le nôtre, un personnage tout d’un coup s’y montre totalement étanche comme le serait une surface définitivement opaque à la lumière. J’y vois un parti pris contraire à l’esprit du temps, à la morale de bénédictin dans laquelle nous baignons jour après jour. Il me semble que la mise en scène ne contribue pas à cet excitant programme, ne fait même qu’en saper le fondement, l’audace, et le désavouer. Dommage.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.