Gimme Shelter : (We can’t get no) Satisfaction

L’avantage d’un certain cinéma indé américain est qu’il dévoile très rapidement les intentions et l’esthétique qui le définissent. Gimme Shelter fait partie de ces films qui vous arrivent dessus gros comme une maison. Agnes, ou Amber pour les intimes, est une jeune fille de 16 ans habitant seule avec sa mère junkie, laquelle vit aux crochets des subventions de l’état. Elle fugue de chez elle et part à la recherche de son père, qui s’avère être un WASP bien sous tous rapports, vivant selon le manuel de la petite famille traditionnelle de banlieue aisée. Et, pour couronner le tout, la jeune femme, complètement paumée et incapable de faire confiance à quiconque, tombe enceinte.

Il n’y a pas ici lieu de tourner en dérision une situation précaire qui est le lot de certaines adolescentes, mais on peut légitimement s’inquiéter du regard qui sera porté sur cette histoire, dont on s’étonne qu’elle ne porte pas, écrite en lettres d’or, la mention « Inspirée d’une histoire vraie ». Perte des repères familiaux, statut social lourd à porter… Venant d’un pays qui a cautionné certains puddings tire-larmes dont on essaie encore d’oublier le souvenir, on peut encore craindre le pire. Entrer dans Gimme Shelter, c’est accepter le risque de flirter avec un certain formatage, tant narratif qu’esthétique, voire à y plonger la tête la première.

Formaté, c’est le mot qui vient à l’esprit dès les premiers plans du film. Décors ternes et gris pour les pauvres, blancs et immaculés pour les riches, caméra à l’épaule façon « cinéma vérité », jeu d’acteur démonstratif ou, au contraire, tout en intériorité… Une à une, toutes les cases de la to-do list du bon faiseur indé sont cochées dans une relative indifférence, rendant l’entrée dans l’histoire particulièrement laborieuse. Impersonnelle à souhait, la mise en scène ne transcende jamais son histoire

Le film se plante aussi de manière assez symptomatique dans l’emploi de son casting, au demeurant assez prestigieux (pour un film indé condamné à la confidentialité, s’entend) et tombe dans le piège du contre-emploi. En offrant le premier rôle à l’ex-icône Disney Vanessa Hudgens, en pleine période de désintox High-School-musicienne (le film fut tourné à l’été 2011, soit quelques mois avant le Spring Breakers d’Harmony Korine), Ron Krauss alourdit d’emblée le trait en l’affublant de tant d’artifices qu’elle se zombifie presque à l’écran. Même constat pour Rosario Dawson qui, dans son rôle de mère indigne, en fait des caisses pour souligner que le personnage qu’elle joue est une épave. Et, tout sympathique que soit Brendan Fraser, ses limites sautent vite aux yeux.

Gimme Shelter échappe pourtant, de peu, au naufrage intégral. Lorsque le film choisit enfin de s’émanciper de son cahier des charges pseudo-naturaliste, il accouche d’une dernière demi-heure pas désagréable, où les acteurs sont enfin libres de s’exprimer un tant soit peu. Un temps de suspension narrative, plus libéré de certaines contraintes, et qui laisse apparaître le Gimme Shelter auquel on aurait eu droit si Ron Krauss s’était un peu plus fait confiance. D’autant que ce parti pris, résolument orienté vers un happy end, se marie très mal avec le ton misérabiliste de l’heure qui a précédé.

Surécrit, surligné, surinterprété, Gimme Shelter est victime de son propre formatage et de son incapacité à briser les barrières que son genre implique ; au lieu de quoi,  il s’en tient à son petit enclos, rétif à toute audace. Un film triste et impersonnel.

Gimme Shelter, un film de Ron Krauss avec Vanessa Hudgens, Rosario Dawson, Brendan Fraser, James Earl Jones, 1h45

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