Avengers, Infinity War : Votez Thanos !

Nous sommes en 2012. Marvel Studios vient de sortir Avengers et change en profondeur l’industrie du blockbuster en réussissant à adapter le concept d’univers partagé, si fondamental dans le monde des comics, au cinéma. Les spectateurs ont à peine le temps de digérer ce qu’ils viennent de voir que la désormais fameuse scène post-générique se lance, et un drôle de monstre violet sur un trône apparaît. La majorité du public lève un sourcil et n’y repensera plus. Mais les connaisseurs savent que les studios ont pris une décision forte en utilisant l’un des vilains les plus puissants de l’univers Marvel : THANOS.

les figures sur l’écran sont difficilement dissociables des acteurs

Six ans plus tard, alors que les anciens prophètes de l’essoufflement du genre super-héroïque ont vu leurs prédictions s’écraser sur la montagne de sous-accumulée par Black Panther, Infinity War sort sur les écrans et se propose d’adapter l’une des sagas les plus iconiques de la maison de publication de Stan Lee : Le Gant de l’Infini. Le moment semble être décisif pour Marvel au cinéma. Contrairement aux héros de papier, immortels et éternels, les figures sur l’écran sont difficilement dissociables des acteurs qui leur donnent vie. Et donc par la logique des contrats, des envies et des carrières, les personnages doivent disparaître d’une façon ou d’une autre. Infinity War semble donc être à la fois l’apothéose et le crépuscule d’une période. C’était donc l’occasion rêvée de prendre des risques, ce que les réalisateurs et scénaristes avaient jusqu’alors tant évité en déroulant une série de films qui brillaient rarement par leur culot. Et en effet le film prend quelques risques et va bousculer le public habitué aux autres opus.

Le premier risque est aussi la meilleure idée du film. Avengers : Infinity War n’est pas un film sur les Avengers, mais un film sur Thanos. On se demandait comment le film allait pouvoir donner de l’importance à tous ses personnages en 2 h 30. Il faut avouer que la plupart des superhéros font de la figuration. Si Iron-Man, Docteur Strange, Thor et Starlord arrivent à se démarquer, le seul personnage sur lequel le film repose est bien le titan violet. C’est un pari risqué, car, au contraire d’un Magnéto, d’un Joker ou d’un Venom, le personnage créé en 1973 par Jim Starlin, n’est pas connu du grand public. De plus, son allure et son physique pouvaient laisser craindre à un effet ridicule sur grand écran qui aurait sapé tout le sérieux du film.

C’était pas gagné au départ…

En changeant la motivation de Thanos et en le faisant incarner par un Josh Brolin impeccable, Marvel réussit enfin à proposer un méchant réussi. On sent vraiment la puissance du personnage à chaque scène, et il représente une menace réelle et crédible pour les héros. Évidemment, en contrepoint, ses adjoints nous rappellent les pires vilains des films précédents et sont de simples prétextes à scènes d’actions, ce qui gâche certains moments poussifs. Mais au-delà du rendu parfait du Titan Fou, c’est la construction du film autour de sa quête qui surprend. De la première scène, à la dernière, tout tourne autour de ce que fait Thanos. C’est lui qui est au cœur des quelques scènes calmes du film, et des rares flashbacks. Pour pallier son manque de notoriété dans le grand public, les créateurs d’Infinity War ont décidé de faire du film sa présentation au public. C’est d’ailleurs lui qui, après le générique, aura le droit à la fameuse annonce « Thanos will return » réservée jusque-là aux héros.

les blockbusters peuvent s’appuyer sur des habitudes de consommation différentes.

En bâtissant le film autour du vilain, Infinity War prend un deuxième risque et, sans l’avoir vraiment annoncé en amont, laisse planer de nombreuses incertitudes à la fin du film, pavant le chemin pour la suite dans un an. Cela permet de proposer une vision plus sombre de son univers et d’enfin surprendre le spectateur. Cette décision qui va déstabiliser un bon nombre de personnes (il suffit de lire les réactions sur Twitter pour s’en convaincre) renforce l’influence des comics sur le cinéma. Cette façon de concevoir cette série de films comme un univers commun dans lequel les histoires se chevauchent les unes sur les autres sans jamais de résolution définitive est l’essence du médium comics depuis la naissance des univers partagés. Qui aurait pu croire que le cinéma pouvait s’y plier ? Bien aidé par l’explosion de la consommation de séries, les blockbusters peuvent désormais s’appuyer sur des habitudes de consommation différentes. Marvel avec Infinity War montre sa force de frappe et se permet d’appliquer au cinéma les recettes qui ont si bien marché sur le papier, mais cette fois-ci pour une audience démultipliée. Le film perd d’ailleurs beaucoup d’intérêt pour les nouveaux venus. Aucun effort n’est fait pour présenter les personnages et celui qui ne connaît pas la relation Star-Lord/Gamorra ou Iron-Man/Spider-Man, construite dans d’autres films, aura du mal à s’investir dans Infinity War.

Difficile alors de juger le film pour ce qu’il est. Essayons quand même. Infinity War annonce la couleur dès la première scène en faisant s’affronter Hulk et Thanos (alerte au geekgasm), deux des mastodontes les plus puissants de cet univers : le film sera placé sous le signe de la baston et de la force brute. Préparez-vous à en prendre les yeux et les oreilles, les scènes de bagarre se succèdent à un rythme effréné. Certaines fonctionnent parfaitement (Iron-Man et Strange déploient une panoplie de coups à la minute impressionnante), d’autres sont plus brouillonnes et plates (la scène au Wakanda n’est vraiment pas à la hauteur), mais de toute façon le spectacle est au rendez-vous. Les amateurs de films un peu posés et prenants le temps de déployer ses enjeux peuvent passer leur chemin, Infinity War est de loin le film le plus bourrin de toute la saga.

Évidemment, la recette Marvel est toujours là et les blagues sont donc inévitables. Nécessaires pour alléger un peu le propos d’un film où la mort est bien réelle, les vannes font souvent mouche, mais peuvent parfois désamorcer trop vite les enjeux exposés. Ce délicat équilibre impossible à trouver pour un film qui doit à la fois donner un sentiment d’épique sans perdre ses plus jeunes spectateurs aura donc des effets différents selon les spectateurs qui trouveront le film trop léger ou trop sérieux. On peut néanmoins regretter que l’absence totale de civils dans le film empêchent de vraiment réaliser les enjeux pour lesquels se battent les Avengers et donne trop l’impression que les superhéros se battent pour eux-mêmes plutôt que pour une cause supérieure qui les dépasse. Ajoutons à cela, une mise en scène souvent bateau, une musique souvent transparente et des acteurs inégaux (Ruffalo semble complètement perdu) pour souligner les quelques bémols de ce que proposent les frères Russo.

Bourrin, drôle, triste et sans un seul temps mort, Infinity War va en laisser quelques-uns au bord de la route, mais saura satisfaire les inconditionnels. C’est, dans tous les cas, un tournant à la fois pour Marvel Studios, mais pour le monde des blockbusters en général. La réception de cet opus va donc être déterminante pour la suite des adaptations comics au cinéma (DC/Marvel ou autre). L’esprit comics s’installe en effet de plus en plus dans l’univers du cinéma (et donc du grand public) alors que jusque là les grands succès étaient les films qui s’en éloignaient le plus possible (la trilogie du Dark Knight en tête). Jusqu’où le public est-il prêt à suivre cette folle machine ? Après 10 ans d’existence, Marvel semble prêt à tenter de nouvelles choses (il était temps). Rendez-vous dans dix ans pour le verdict.

Avengers Infinity War, Joe et Anthony Russo, avec tous les acteurs et actrices au monde, globalement. En salles le 26 avril 2018

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