Comment Deauville est-il en train de devenir le pire des festivals de cinéma ?

Faut bien avouer que ça avait plutôt mal commencé entre nous, Deauville, cette année. Me faire payer mon accréditation, c’était franchement pas cool. En gros, tu m’as fait remplir un formulaire où je m’engageais à écrire des articles depuis le Festival pour mériter mon accréditation (jusqu’ici, tout allait bien), puis sortir la carte de crédit pour payer 30 boules le badge tant convoité. Donc, en fait, tu m’as fait payer pour écrire à ton sujet.

Vous allez me dire que le Festival n’a absolument pas besoin de moi (de nous), et que je pleurniche pour des privilèges (voir des films gratos avant tout le monde). Et puisque vous allez forcément me dire ça, je vais vous expliquer un petit peu plus l’aberration des accréditations cette année.

Le but d’un Festival, normalement, c’est de faire parler de lui. Sur des sites, des journaux, des blogs et j’en passe. De faire parler de ses films, pour qu’ensuite on écrive à leur propos, afin de leur donner une caisse de résonance. Pour que l’an prochain, les films se bousculent afin d’être sélectionnés par ZE Festival dont tout le monde parle.

Ici, si t’étais accrédité blog – et que donc comme un seigneur tu avais sorti la carte bleue pour avoir la possibilité d’écrire -, eh ben tu ne pouvais pas voir tous les films. Les séances du soir, celles des films événements, étaient réservées aux badges « rouges », et leurs rattrapages se faisaient pendant les conférences de presse. Tu vas me dire (parce que décidément, t’es un sacré casse-pieds), « si toute la presse ne les a pas, qui possède ces précieux sésames que sont les badges rouges ? ».

La réponse va te surprendre…

Lesdits badges sont en vente sur le site du Festival, au péquin lambda qui voudra bien débourser une centaine d’euros pour être accrédité VIP. Avec l’accréditation rouge, tu rentres avant tout le monde, tu peux avoir les places où l’on a la possibilité d’allonger les jambes (ok ça on s’en fout), tu as accès à toutes les séances – même celles du soir – et tu peux doubler ces blogueurs qui paient moins cher, zut alors.

Donc, d’après le théorème de Pythagore, l’aura d’une mamie fortunée deauvillaise a plus d’importance pour le Festival que celle d’un cinéphile de blogueur.

Le pire public de l’univers

Il résulte de tout ça des salles jamais pleines et un public terrible. Deauville, c’est le plus mauvais public qui soit. On ne compte plus les fous rires dans la salle pendant les scènes un peu poseuses, les huées devant les choix de cinéma (réussis – le final complètement taré de Mother! – ou moins – les 10 minutes en plan fixe de gavage à la tarte aux pommes dans A Ghost Story) : non, à Deauville, faut pas y aller pour rencontrer du cinéphile sympatoche.

D’ailleurs, les stars ne s’y trompent plus : sur le tapis rouge, il n’y avait pas grand monde. On a croisé les jurys, et puis juste quelques acteurs et réalisateurs des films présentés, même si le plus souvent, il n’y avait personne pour parler des films que nous allions voir. C’est un fait, on va présenter un film à Deauville quand on n’a rien d’autre à faire.

En revanche, ceux que l’on a vus, ce sont les critiques de cinéma Allociné. Enfin ceux que j’appelle comme ça parce qu’ils apparaissent souvent dans « les étoiles de la presse ». On en a croisé quelques uns, tout sourire. Il faut dire qu’ils avaient un badge presse ROUGE, eux. Remarque, pour le coup, ça se tient : ils ont plus d’aura que nous, ils touchent avec leurs articles plus de monde, c’est donc plutôt normal et tant mieux pour le journalisme, c’est cool. Ce qui l’est moins, c’est de les voir sortir de l’hôtel du Normandy tous les soirs tranquillou pour la séance événement. Bon, je me fais peut-être des films, mais je mise 100 000 euros sur le fait que leur chambre à l’hôtel leur est (en partie ?) payée par le Festival. Festival dont, tiens donc, ils sont les seuls à dire énormément de bien dans leurs colonnes respectives.

Remarque, c’est rassurant, ça veut bien dire qu’à Deauville, on fait tout de même des choses pour avoir bonne presse. D’ailleurs, perso, je suis certain qu’avec une chambre au Normandy, j’aurais beaucoup plus aimé la sélection toute pourrie de cette année.

M’y voilà, les films. En gros, deux films étaient à ranger dans la catégorie films de cinéma dignes d’être montrés dans les Festivals, comprenez « films avec un peu de cinéma dedans ». Le jury ne s’y est pas trompé (en même temps c’était pas dur), remettant tous les prix à The Rider et A Ghost Story, deux trucs que tout le monde avait déjà d’ailleurs vus dans d’autres festivals, et que leurs équipes ne sont pas venues présenter. Cimer l’exclusivité, quoi.

Derrière, une sélection frôlant le néant, remplie d’oeuvres pétries de bonnes intentions (tuer, c’est mal, faire un deuil, c’est difficile et le racisme, c’est dangereux). Si tu veux être sélectionné à Deauville, en gros, tu fais un film à partir d’une morale de La Fontaine et c’est banco. Attention, ce ne sont jamais des purges intégrales, mais ça manque quand-même toujours cruellement de mise en scène, d’idées de cinéma : les films ont des allures de téléfilms que tu verrais un après-midi d’ennui sur M6. D’ailleurs, tu ne les verras jamais au cinoche, ils termineront planqués sur une plateforme VOD confidentielle.

MAIS ON A QUAND MÊME VU MOTHER!

L’événement du Festival, c’était Mother!, de Darren Aronofsky. Le film, présenté en séance du soir (donc inaccessible pour nous) a eu une projection réservée à la presse. Waouh ! On était vachement contents, voire flattés, avant d’en voir les modalités.

Ladite projection s’est tenue à 8h. 8h, les mecs ! A part si tu loges à Deauville (et donc si ton blog te rapporte une dizaine de milliers d’euros mensuels), c’est mission impossible. Bon, nous on s’est levés à 6h, et je te jure que ça piquait. Il pleuvait des cordes, on a pris la voiture, fait nos 80 bornes quotidiennes, et on est arrivés dans la salle. 15 personnes motivées en gros, dont notre poto Florian.

On a finalement pu voir le film, mais bordel quoi, se dire que lors de la séance du soir à laquelle seuls les mieux nantis ont eu accès, le film a été copieusement hué et sifflé en présence de son réalisateur, alors que c’est là une incroyable proposition de cinéma, ben c’est dur à avaler.

Mais dans le même temps, tu te dis que si le Festival a un si mauvais public, alors il est normal qu’il n’accueille plus que des tout petits films. Et que s’il n’accueille plus que des tout petits films, il est normal qu’il ait un si mauvais public.

Le cercle vicieux dans lequel Deauville est en train de tomber est assez dramatique. Ce Festival qui il y a quelques années encore seulement faisait connaître au grand public un certain Damien Chazelle semble désormais condamné à l’auto-promo, au cirage de pompes des critiques-partenaires, des stars de seconde zone, des badges plus ou moins payants (amusante, la promo envoyée à la mi-festival sur ma boite mail pour me proposer un badge rouge à 90 euros), et des salles désespérément idiotes et surtout désespérément vides.

Le Festival de Deauville a en fait de plus en plus la tronche d’une mamie richissime de son public. De loin avec toutes ses jolies parures à 100 000 boules, il a de la classe, mais quand t’y regardes de plus près, ben ça fait pas mal peur…

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11 thoughts on “Comment Deauville est-il en train de devenir le pire des festivals de cinéma ?

  1. bonjour à tous ,
    amis du cinéma , mamie super sympa ,
    journalistes ou pas ..
    Moi , modeste amateur qui pensais que le cinéma était une liberté
    et que les articles , blogs , reportages …une expression .

    Vive la liberté d’expression !

  2. A prirori, vous n’êtes ni journaliste ni objectif: le Festival de Deauville vous fait une fleur en vous offrant un badge pour 30€ pour vivre le Festival comme un grand. Mais il ne faut pas abuser non plus. Arrêter de pleurer et parlez nous de cinéma plutôt que de vos états d’âme d’oisif privilégier.

  3. Juste pour dire que le film de l’ami Darren n’a pas été « copieusement hué et sifflé en présence de son réalisateur »… Il a été à peine applaudi (5 secondes maxi et puis plus rien). Ce qui n’a pas du l’empêcher de dormir puisqu’il n’était à ce moment-là plus dans la salle… J’dis ça, parce que j’y étais. Signé : un nanti

  4. « Ou moins – les 10 minutes en plan fixe de gavage à la tarte aux pommes dans A Ghost Story »

    Si pour toi un grand film c’est un film qui recycle les artifices les plus pompeux et les plus chiants et in-inventif du cinéma indépendant « d’auteur » alors on a vraiment pas la même définition d’un chef d’oeuvre…

  5. Il me semblait que tout accrédité devait demander à 14h sa carte d’ accés au film du soir (ils etaient servis avant les pass journée, gratuitement) et que les vip dont vous parlez ne sont que des soirées avec repas, pour grands public, sans rapport avec les accrédités. Et tous les accrédités non invités d’office payaient 30 euros. Une façon pour les « petits » media/blog d’acceder à un pass festival 4 fois mpins cher que le grand public, d’avoir acces aux conf, et en priorité aux cartons « etoiles » pour le film du soir du CID. Je me trompe?

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