Albi, jour deux : La Révolte

Le temps n’est plus franchement de la partie à Albi, mais cela nous importe peu. Les Œillades n’ont pas besoin que le soleil pointe le bout de son nez pour émerveiller leurs spectateurs ni les amener au débat. On vous disait dans notre dernier article, au sujet du film 1:54, qu’un film à « sujet d’actualité » ne suffit pas à créer du dialogue avec le public. Il doit avoir un point de vue, un discours, ce que justement plusieurs films font depuis deux jours. On est tellement enthousiaste ici, qu’on a décidé que plusieurs d’entre eux méritent d’avoir un papier dédié et une analyse plus prononcée.

Malgré tout, cet article est destiné à rendre compte de la variété des films proposés au festival, qui semble particulièrement traversé par une certaine forme de révolte. Que cela soit dans le genre documentaire, dramatique ou la comédie, chacun partage la volonté de ne pas se faire avaler par le système, de contrer les idées reçues. D’ores et déjà avec Cigarettes et Chocolat Chaud dont on vous avait déjà parlé, mais qui lors de sa projection à Albi a permis au public de crier son amour pour un genre clairement mal représenté en France. Il faut dire que quand les comédies qui cartonnent en France se limitent à des thèmes raciaux ou familiaux (qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?, Le Grand Partage), surfant sur le fil d’une actualité nauséabonde, on comprend que le public ait envie de voir autre chose. Et si le premier film de Sophie Reine n’est pas le trublion anarchiste qu’on pourrait croire via son introduction, il se positionne comme un véritable havre de paix, où le trio principal est totalement en osmose. Un film fait de bric et de broc, foutraque et joyeusement anticonformiste qui souhaite avant tout mettre en avant une forme d’authenticité vis-à-vis du traitement de ses personnages. Partant de là, le film mérite le coup d’œil, et cherche à tout prix à établir une vraie relation avec le public plutôt que de déclencher un simple rire.

Dans ce registre par ailleurs peut venir s’ajouter le sublime nouveau film de Jean-François Laguionie, Louise en Hiver. Récit d’une mamie abandonnée dans une station balnéaire, le film aux doux airs de Robinson Crusoé se trouve être exactement l’inverse de l’idée qu’on s’en fait. Sensible, doué d’une compréhension très fine de la « vieillitude », et profondément humain, Jean-François Laguionie signe pratiquement une comédie. On vous en parlera en détail dans un texte plus détaillé, mais ce qui est clair, c’est que son regard sur la vieillesse est unique en son genre, et mérite à lui seul d’être pris en compte.

Et du rire, il fallait en avoir en réserve face à L’homme qui répare les femmes. Si là aussi nous aimerions revenir plus en profondeur sur le film, il fait nul doute que le documentaire de Thierry Michel est à voir au plus vite. Réalisé avec ses fonds propres, en totale indépendance, le réalisateur suit le docteur Mukwege au Congo, qui s’est donné pour mission de guérir femmes et enfants victimes de viol. Des actes d’une cruauté inimaginable, qui en deviennent une arme de guerre au point que les gouvernements occidentaux visent à le reconnaître comme tel. Au départ, reportage à caractère purement informatif, Thierry Michel vire progressivement vers le dossier à charge des états européens et américains. Il oppose, dans son montage les femmes congolaises qui se battent pour leur cause et les remises de prix au docteur, en grande pompe, qui n’amènent à rien si ce n’est à mettre en valeur l’hypocrisie des états membres des Nations Unies. Politiquement engagé, mais jamais vecteur de telle ou telle idéologie, L’homme qui répare les femmes nous fait comprendre que la révolte s’engage sur tous les fronts et n’est qu’à quelques encablures d’exploser si on lui donne les bons outils. Encore faudrait-il que le Congo ne représente plus 50 % des réserves de coltan (minerai qui sert à fabriquer téléphones et ordinateurs) pour que les choses daignent évoluer…

Et si au Congo c’est le coltan qui est au centre de tout, c’est la cocaïne qui, au Mali, est au cœur du récit de Wùlu. Déjà présenté au festival d’Angoulême, le film de Daouda Coulibaly impressionne, par sa finesse dans l’écriture comme dans l’aspect spirituel de son récit, inspiré des cinq rites d’initiation de la culture bambara et à travers lequel Ladji évolue du jeune travailleur au trafiquant de drogue international. Wùlu est un film brutal, mais qui dans son économie de moyens et son propos tout en nuances, notamment dans le jeu d’Ibrahim Koma, amène à une vraie réflexion sur la place de la jeunesse malienne. Sacrifiée, presque forcée de sombrer dans les travers, et les facilités, du trafic de drogue, Coulibaly traite avant tout d’un pacte brisé entre les dirigeants du pays et sa jeunesse, qui cherche désespérément sa place dans la société. Si certains parlent, à tort, d’un rapprochement entre ce film et Scarface de De Palma, c’est plutôt la manière dont un jeune homme et sa sœur passe du statut de la pauvreté à celui de la richesse qui nous intéresse ; engendrant un drastique changement dans leur attitude (sa sœur en vient à jouer la négrière) et la perte progressive d’une humanité au profit de l’argent et des résidences luxueuses. On ne peut qu’espérer que Wùlu trouve rapidement une date de sortie dans le courant de l’année prochaine, afin d’obtenir l’audience qu’il mérite.

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Heureusement, nous n’allons pas nous arrêter là. Le festival continue jusqu’à dimanche soir, et nous n’hésiterons pas à vous parler d’autres films;  nous ferons aussi un petit point à propos de l’arrivée imminente de Jean-Louis Trintignant sur place, en tant qu’invité d’honneur. Et si on regrette déjà de voir le festival se clôturer prochainement, on ne regrette sûrement pas les rencontres qu’on y fait chaque jour.

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