Les Œillades touchent à leur fin, et c’est une belle semaine de cinéma francophone qui s’achève après la vision d’une quinzaine de films et de nombreuses rencontres, professionnelles comme amicales. Le soleil était de la partie, mais c’est surtout la qualité globale de la sélection qui nous incitera, une fois de plus, à revenir pour sa prochaine édition. Si plusieurs productions nous ont profondément énervés (Il a déjà tes yeux, 1:54, Orpheline), d’autres ont été sources à la fois de révélation et de réussite (Wùlu pour Ibrahim Koma, Sophie Reine avec Cigarettes et chocolat chaud, Louise en Hiver, La jeune fille sans mains). Surtout, on retiendra l’invité d’honneur, Jean-Louis Trintignant, d’une gentillesse presque déstabilisante.
l’invité d’honneur, Jean-Louis Trintignant, d’une gentillesse presque déstabilisante
L’acteur emblématique a un tel parcours qu’on oserait presque pas l’importuner, jusqu’à ce qu’il se révèle comme un homme au regard très ouvert sur les autres, mais aussi sur lui-même. Dirons-nous même qu’il a tendance à se rabaisser vis-à-vis de sa carrière d’acteur (“[…] j’ai longtemps été un mauvais comédien car j’étais trop timide.”) comme de réalisateur sur deux longs métrages : Une journée bien remplie (1973) et Le Maître Nageur (1979). Au cours d’une conversation de près d’une heure, en compagnie d’autres journalistes (dont nos confrères d’Ecran Noir), il a pu revenir sur sa carrière, de Et dieu… créa la femme (1956) à Amour (2013), jusqu’au prochain film de Michael Haneke, Happy End. Une ambiance bon enfant, lui-même enthousiaste à l’idée de retrouver un ami de longue date, Serge Korber, pour Le Dix-Septième Ciel (1966), mais aussi de visionner avec le public Asphalte (2015) de Samuel Benchetrit. Film qui, pour lui, sur le plan politique est très intéressant car il mélange tous les bords et participe d’un mode de vie qu’il apprécie : “La chose essentielle, c’est de vivre ensemble, de travailler de concert.”
Très humble et très conscient de ceux qui l’entourent, Jean-Louis Trintignant nous a offert de superbes moments, de la récitation d’un poème à sa parole, ouverte et sincère. Difficile de ne pas s’attacher à un tel homme, avec qui nous avons pu revoir Z de Costa-Gavras, qu’il admettait n’avoir pas revu depuis sa sortie. Plus de quarante après sa réalisation, le film, présenté dans sa copie restaurée, est toujours aussi percutant et témoigne d’un sens aigu de la justice. On regrette que Costa-Gavras, aujourd’hui, n’ait plus la verve qu’il avait à l’époque. D’autant plus quand Le dernier jour d’Yitzhak Rabin (2015) d’Amos Gitaï parvient de manière exemplaire à retrouver cette idée de justice, de dénonciation sans vergogne du gouvernement.
la projection a entraînée une discussion de plus d’une heure
Autre très belle rencontre, avec Sébastien Laudenbach, réalisateur de La jeune fille sans mains et adapté du conte éponyme des Frères Grimm. Difficile a appréhender au départ, le long métrage d’un peu plus d’une heure aux estampes sublimes parvient parfaitement à retranscrire l’idée d’un dessin, littéralement, animé. Plutôt qu’une surenchère d’effets, et dans une économie de moyens qui se veut autant économique que peu contraignante, Sébastien Laudenbach anime son film comme ses personnages respirent. Effet traduit à l’écran par la disparition et la réapparition du dessin, ou bien d’un mouvement saccadé qui n’attend qu’à être reconstitué par notre œil. Il est difficile d’en parler plus clairement, celui-ci s’appréciant dans sa vision globale et attentive et que la dimension poétique et émancipatrice de l’héroïne le rend terriblement attachant. A tel point que la projection a entraînée une discussion de plus d’une heure entre le réalisateur et le public (il avait apporté pour nous ses dessins originaux), ainsi que quelques dessins en guise de dédicaces.
Et contrairement à lui, les projections en avant-première vendredi de A jamais de Benoît Jacquot et de Orpheline d’Arnaud Des Pallières nous ont laissé dubitatif voire dépité. C’est d’autant plus regrettable que le premier était attendu au tournant, le fantastique Mathieu Amalric étant au cœur d’une passion amoureuse très troublée avec Julia Roy. Concentré sur le deuil d’une femme tout juste mariée, le film de Benoît Jacquot est glacial, à l’image de la précédente adaptation du roman de Don DeLillo, Cosmopolis. Entre présences fantomatique, une maison écorchée et des personnages aux regards vagues, on ne sait pas vraiment si c’est Benoît Jacquot qui manque d’inspiration dans sa mise en scène (même la musique de Bruno Coulais est redondante) ou si c’est le scénario de Julia Roy qui pêche par son absence prononcée de dialogues. Film très ouvert, chacun peut l’interpréter comme il le souhaite, du film sur le corps de l’acteur-trice, à celui sur la reconstruction par l’imitation et l’assimilation de l’être aimé.
il faut arrêter d’engager Adèle Exarchopoulos pour son physique
Chose qu’Orpheline ne fait absolument pas, traitant son sujet via un déterminisme déplacé de son héroïne et une mise en scène profondément gênante. Si au départ les scènes d’Adèle Haenel nous promettent un film proche de ceux qu’il met en scène, Des Pallières vire soudain dans la multiplication des points de vues. Les séquences se multiplient, les personnages aussi sans que que le montage n’indique vraiment s’ils sont reliés entre eux. Le besoin irrépressible du réalisateur de constamment dénuder ses actrices (il faut arrêter d’engager Adèle Exarchopoulos pour son physique), si ce n’est de les mettre dans des positions de soumission toujours plus prononcées, du sexe avec de vieux libidineux à l’adolescente battue sans vergogne, résulte d’un regard profondément rabaissant de la femme. Si la volonté du metteur en scène est globalement de faire un film choral qui ne s’apparente en fait qu’à l’histoire d’une seule personne, le traitement est volontairement impudique, résultant d’un rejet automatique et rappelant les interminables longueurs de Mon Roi (2015). Rien ne fonctionne, jusqu’à la scène de fin, fataliste au possible. On distingue dans ces trois films diverses visions de l’émancipation, qui ont l’espère – excepté La jeune fille sans mains – auront plus d’effet sur d’autres que sur nous.
Bien heureusement, le festival s’est clôturé sur une très belle note : un magnifique concert du Ciné-Trio, dédié aux compositeurs francophones. Des génériques de Maigret et des Brigades du Tigre aux musiques de Maurice Jarre (Lawrence d’Arabie, Le Docteur Jivago, Paris Brûle-t-il ?) ou de Georges Delerue (Tirez sur le pianiste, Vivement dimanche !), nos oreilles ont été ravies par le violon, le piano et le hautbois des interprètes. Cette vingtième, très belle édition, des Œillades s’achève alors sur un bilan très positif, où les très belles productions ont côtoyées les moins bonnes, mais où globalement le plaisir de communiquer autour du cinéma fut au dessus du reste. On peut encore féliciter Ciné-Forum et tous les bénévoles qui entoure leur équipe pour leur travail. Nous y reviendrons avec grand plaisir.