Soyons honnêtes : il n’y avait pas trop de quoi s’enthousiasmer à l’approche du nouveau film de l’univers de JK Rowling. Déjà, je suis désolé, mais tous les films de Harry Potter ne sont pas franchement bons. Oui, vous m’avez bien entendu, même celui de Cuarón. Ils ont profité d’un riche matériau de base et ont développé un univers visuellement dément, mais pas à la hauteur de ce que nous étions en mesure d’attendre.
les films de Harry Potter ne sont pas franchement bons.
Ensuite, on ne peut pas vraiment dire que la Warner fasse baver en ce moment… Sur le papier, le studio se veut être celui qui sait conjuguer auteurisme génial et cinéma populaire et spectaculaire. Dans la réalité, il s’en est prouvé incapable maintes et maintes fois, et en ce moment, le géant ressemble plus à un colosse aux pieds d’argile. Que cela soit pour les critiques ou les spectateurs (et parfois les deux), ces dernières années n’ont pas franchement été très réjouissantes, notamment du côté des films du DC Universe qui ont du mal à trouver leur équilibre entre vision artistique assumée et interférences fatales des producteurs. On peut encore rajouter à cela le fait que le réalisateur David Yates soit coupable d’un des pires films de l’année, le vraiment pas légendaire La Légende de Tarzan.
Et pourtant… Les Animaux Fantastiques déboîte, déchire, défonce, et toute autre expression en dé- que j’oublie présentement. C’est l’histoire donc, pour ceux qui n’auront rien suivi, d’un jeune Newt Scamander (Norbert Dragonneau chez nous, probablement pour éviter des massacres de prononciation) qui se rend à New York en 1926 avec sa malle magique remplie d’animaux… magiques aussi. Une fois sur place, il se retrouve mêlé à tout un tas d’histoires dont il sera parfois acteur, parfois témoin, et que je ne me permettrai pas de raconter pour ne pas offusquer certains fans. Permettez moi donc de vous expliquer pourquoi ce film c’est de la bombe, avec un plan en trois parties et une conclusion.
Première partie : parce que le monde est riche et réussi
Oui Poudlard c’est une chose, mais là on passe aux choses sérieuses : on entre dans le vrai monde de la sorcellerie et il ne fallait pas se rater… mais ça, franchement, on savait dès le départ que ça fonctionnerait. Parce que le scénario est écrit par JK Rowling elle-même, et que quand même, elle sait ce qu’elle fait. D’ailleurs, toute personne n’ayant pas aimé The Cursed Child est convié à se souvenir qu’elle a tort, merci bien.
Le monde des sorciers du New York des années 20 est riche et entraînant, et surtout très immersif puisqu’à aucun moment on ne perd du temps à nous l’expliquer. Là-dessus, chapeau de sorcier bas à JK Rowling qui a réussi à faire parler les images plutôt que les personnages, c’est quand même l’écueil le plus difficile à éviter. Bien sûr, tout est familier… mais aussi nouveau et surprenant. En faisant de Newt/Norbert un témoin d’une partie de l’action, et en insérant des scènes qui dépassent de loin le cadre de son action, elle donne à voir un univers bien moins autocentré qu’avant. Les portes sont ouvertes, et perso je ne vais pas me faire prier pour visiter.
Voldemort et les Mangemorts, c’était le IIIè Reich
Et dans ce monde, elle y pose encore une fois les bases de ce qui faisait déjà la force de la saga Harry Potter : celles d’un affrontement sans fin entre la bonté et l’intolérance. Voldemort et les Mangemorts, c’était le IIIe Reich de JK Rowling, et la haine de tous ceux qui n’étaient pas de Sang Pur. Dans les Animaux Fantastiques, elle se permet d’aller plus loin encore : nous sommes en 1926, et les sorciers n’ont pas le droit aux USA d’épouser des moldus. Certains moldus connaissent l’existence des sorciers et les accusent de tous les maux du monde… et au milieu de tout ça, Newt/Norbert se tue à convaincre tout le monde que ces animaux ne sont pas des monstres et qu’ils méritent d’être traités avec respect et amour. Le premier héros de blockbuster végétarien ?
(Aparté : on découvre dans ce film que les Moldus sont appelés aux USA des Non-Maj. J’en conclue que nous autres mortels sommes, pour les sorciers, l’équivalent des zombies dans The Walking Dead, personne ne nous appelle pareil. J’ai hâte de voir quel nom débile nous auront donné les Japonais, les Français ou les Chiliens.)
Deuxième partie : parce que l’émotion y est juste
Et qui dit émotion dit personnages. Commençons par l’évidence : Newt/Norbert est une réussite totale, puisque c’est en réalité un total pompage du personnage du Docteur de Doctor Who. Un grand pacifiste mystérieux et excentrique (il a même la longue écharpe) à l’accent britannique et qui en sait un peu plus que tout le monde autour de lui, franchement ça frappe. Et c’est qu’il tarde à se révéler aussi, ce qui surprend pour un personnage principal. Pendant vingt-cinq, trente bonnes minutes, Newt/Norbert nous est totalement hermétique. C’est là que le choix d’Eddie Redmayne est capital : sa bouille a quelque chose en plus. Il transpire un humanisme terrible tout en restant opaque, illisible. Ainsi il laisse voir l’émotion, mais révèle rarement plus que cela ; dans ses yeux, dans sa démarche, tout y est. Je défie qui que ce soit de ne pas être conquis par sa chorégraphie nuptiale dans le zoo de Central Park !
Puis il y a Tina Goldstein, ex-Auror (le FBI des sorciers) qui tente de se racheter en patrouillant les rues de New York, et sa soeur qui… est très gentille mais manque un peu de personnalité, si on est honnête. Va falloir rattraper ça pour la suite chère Rowling !
Je pourrais aussi vous parler des membres du gouvernement sorcier comme le peu recommandable Percival Graves (Collin Farrel) ou la présidente Carmen Ejogo, ou encore des Soeurs de Salem qui sont des Moldus qui croient aux sorciers et veulent les exterminer… mais je ne le ferai pas.
Parce qu’à la place, je vais vous parler du nouveau personnage préféré de tout le monde, Jacob Kowalski. Parce que Kowalski est un moldu. Un simple ouvrier, qui rêve d’ouvrir une boulangerie et qui voit sa vie bouleversée par sa rencontre avec Newt/Norbet et les soeurs Goldstein. Et comme nous, spectateur, il se retrouve embarqué dans des histoires extravagantes qu’il « n’aurait jamais pu imaginer », comme il le dit lui-même. C’est l’œil extérieur, le compagnon du docteur, celui qui inscrit ce monde et lui donne les pieds pour pouvoir rester sur terre. Grâce à lui, l’humour s’insère dans une histoire au fond bien sombre, avant de nous arracher quelques larmes comme ça, pouf, sans crier Voie Neuf Trois Quart.
Troisième partie : parce qu’on a ENFIN de l’originalité dans le grand spectacle grand public
Ce n’est un secret pour personne, Disney est en phase de dominer le monde. En contrôlant l’animation, les films Marvel et les Star Wars, leur poids sur l’imaginaire collectif est soit impressionnant, soit terrifiant. Et bien sûr, toutes ces créations sont contrôlées et dirigées par des personnes très différentes… mais au bout du compte, il y a un code Disney. Il y a des choses que l’on peut montrer et d’autres que l’on ne peut pas. Il y a un rythme, un timing, une esthétique, des thématiques, qui dépassent et écrasent tous ce que les auteurs individuels peuvent avoir à dire.
Les Animaux Fantastiques est une réponse parfaite à cela, tout comme Mad Max Fury Road avait pu l’être il y a quelques années.
Le film de Rowling et Yates est lent. Très lent, parce qu’il prend son temps, qu’il a trois ou quatre intrigues différentes à gérer, et qu’il se permet de cracher à la gueule des codes narratifs cinématographiques habituels. Plutôt que de penser à comment imbriquer ses séquences pour en faire un tout cohérent et indivisible, il préfère porter attention à l’intérieur de ces séquences, et les faire vivre. Et parmi ces intrigues, il parvient à installer un monde plus qu’un univers cinématographique, et il est donc plus équilibré dans sa manière de lancer des pistes. Tout y est plus organique que ce que l’on a pu voir dans d’autres tentatives d’univers partagé… En fait, pour être honnête, c’est le premier univers partagé que je vois qui assume entièrement sa nature de feuilleton. On est bien plus dans de la télévision à gros budget que dans du blockbuster, du moins pour ce qui s’agit des codes, et force est de constater que ça marche.
Conclusion : Chère Warner, tires-en les bonnes leçons
Les Animaux Fantastiques parvient exactement à accomplir ce que la Warner veut être sur le papier : harmoniser auteurisme et spectacle sans pervertir son cinéma. Ce que Rowling et Yates ont créé a de quoi donner espoir à ceux qui espèrent voir de la variété exister et perdurer dans le cinéma blockbuster et dans le cinéma de genre ; parce qu’en dehors de créateurs hors normes comme Miller, Nolan ou Del Toro, et Rowling maintenant, il faut avouer qu’on s’inquiète un peu, la nuit avant de s’endormir.
P.S : l’auteur de ce texte offre un cookie et un café, ou un truc du genre, à la personne qui lui dira pourquoi Heath Ledger aurait vraiment dû apparaître dans ce film. Bon courage.