Julieta, de Pedro Almodóvar

Comme beaucoup de gens le savent, Pedro Almodóvar était l’immense favori du Festival de Cannes en 1999 avec Tout sur ma mère. La Palme d’or lui semblait promise. Et puis patatras, David Cronenberg est passé par là et le pauvre Pedro ne reçut que le Prix de la mise en scène. Depuis il court derrière ce moment fugitif de grâce. Il y eut en 2006 Volver avec lequel il apparaissait encore comme l’un des favoris. Supplanté par Ken Loach et son Vent se lève, Pedro ne reçut que le prix du scénario et un prix collectif d’interprétation féminine récompensa toutes ses actrices.

Ensuite Etreintes brisées (et son récit-gigogne) et La Piel que habito (et son ton plus âpre et cruel) convainquirent beaucoup moins. Par conséquent Almodóvar joue quelque peu son va-tout avec Julieta.

Avec ce film, il vise à l’épure totale et avouons que, même si, à 66 ans, il semble encore dans la force de l’âge, Julieta ressemble de façon flagrante à une œuvre terminale, funèbre, où l’auteur ressasse les grandes émotions et lignes de force de sa vie. Almodóvar y renoue avec la grande forme mélodramatique qui lui est chère (Tout sur ma mère, Parle avec elle), celle des mélodrames de Douglas Sirk, Vincente Minnelli ou Rainer Werner Fassbinder, qui vire ici de temps à autre à la tragédie classique (cf. la référence à la tragédie grecque dans le film).

Julieta, c’est avant tout l’histoire d’une femme qui, arrivée à une étape de sa vie, revient sur son parcours, ses erreurs et sa culpabilité. Adaptation de trois nouvelles de l’auteur canadien, Alice Munro, ce film présente tous les signes d’une œuvre-bilan. Devant elle, l’ensemble de la presse en général s’est prosternée, saluant dans cette nouvelle œuvre les caractéristiques épurées d’un style éminemment reconnaissable. Cette reconnaissance quasiment unanime a des allures d’enterrement : si toute la critique salue désormais Almodóvar, sans que personne ne soit plus choqué par ses oeuvres, cela ressemble un peu trop à un hommage post-mortem, une session imprévue de rattrapage pour se faire pardonner les oublis ou oppositions par rapport à Etreintes brisées ou La Piel que habito. C’est qu’en fait la presse n’attend plus grand-chose de nouveau d’Almodóvar. Il est trop tard pour qu’il change complètement de style ou qu’il puisse décrocher la récompense cannoise suprême. Son heure, son moment de grâce, semble passé. Par conséquent, il ne reste plus aux journalistes qu’à saluer le grand maître, avant qu’il ne soit trop tard, ses dernières œuvres bénéficiant d’une sorte d’embargo critique définitif, un peu comme lorsque les enfants finissent par ne plus craindre les chiens qui ne mordent plus.

Pourtant ce n’est pas faire injure à Almodóvar que d’estimer qu’en dépit de l’épure méritoire, Julieta n’arrive pas à la hauteur de Tout sur ma mère ou de Parle avec elle. Ce film constitue un rebond net après la déroute des Amants passagers mais son manque d’humour, sa détresse totale donnent des indications inquiétantes sur l’état moral de l’auteur. Comme le disait Flaubert de Mme Bovary, Julieta, c’est Pedro, avec son regret des occasions manquées, sa douleur irrépressible, sa solitude insoutenable. On espère pour lui avoir tort mais il nous semble que sa nouvelle œuvre ne figurera pas au palmarès du Festival de Cannes 2016. Son moment de grâce semble évaporé. Et c’est très triste.


Gaël Sophie Dzibz Julien Margaux David Jérémy Mehdi
[usr 3.5]

Le tableau des étoiles complet de la sélection à ce lien


2

Un film espagnol de Pedro Almodóvar, avec Emma Suárez, Adriana Ugarte et Daniel Grao.
Sortie en France pour ceux qui ne sont pas à Cannes (lol) le 18 mai.

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