Rester Vertical, d’Alain Guiraudie

Au volant de sa Laguna grise, Léo parcourt la Lozère à la recherche du loup. Le vrai loup, celui qui s’attaque aux troupeaux de brebis de Marie, bergère rencontrée par hasard, jamais trop loin de son fusil, prête à dégainer pour protéger ses bêtes régulièrement attaquées.

De retour sur la Croisette après sa belle ovation reçue en 2013 à l’occasion de la présentation dans la sélection Un Certain Regard de L’Inconnu du Lac, Alain Guiraudie connaît cette fois les honneurs de la compétition officielle. Penser que ce serait là l’aboutissement d’un objectif souhaité par le bonhomme, façon Xavier Dolan, serait mal le connaître. D’autant plus que Rester Vertical n’a pas grand chose d’un film-consensus, et encore moins d’un best-of de tout ce qu’a fait le réalisateur sudiste jusqu’ici. Il aurait plutôt l’étoffe d’un vieux petit film d’anars biberonnés aux Pink Floyd et à Groland. Franchement, commencer un film sur une Laguna grise, avouez que l’on est assez loin des chichis du Tapis Rouge.

L'Inconnu du Lac
L’Inconnu du Lac

Rester Vertical, ne pas montrer que l’on a peur, c’est la meilleure façon de ne pas se faire bouffer par les meutes de loups. C’est sur cette vérité très instinctive que se construit le film, les loups prenant métaphoriquement différents visages : le bébé qui pleure sans discontinuer, l’éditeur un peu pressant qui attend son manuscrit, les clodos qui tueraient pour un blouson un peu chaud.

Mais le film ne se cantonne pas à mettre en images la locution de Plaute qui voudrait que l’homme soit un loup pour l’homme. C’en est même son volet le moins intéressant. Un peu didactique voire carrément simplet dans son ultime scène, ce pan ne revêt pas grand intérêt en comparaison avec la touche Guiraudie dont bénéficie le film, celle-là même qui contribuait largement à faire de L’Inconnu du Lac le plus beau film qu’il nous ait été donné de voir ces cinq dernières années.

On fout les Pink Floyd à fond (parce que ça s’écoute comme ça), on enchaîne les gros plans sur des scènes de sexe explicites parfois carrément tordues, et l’on ponctue tout ça d’une escapade chez une fée qui comprend les douleurs des gens en les sondant via des branches d’arbres : c’est quand Guiraudie se laisse aller au rock’n’roll qu’il nous prend systématiquement dans ses filets. La raison, c’est cette constance du cadre quoiqu’il montre. Guiraudie est le seul réalisateur au monde capable de filmer avec autant d’application une sodomie suicidaire (oui oui, on ne vous en dit pas plus) et un troupeau de brebis errant dans les causses de la Lozère. Mieux, il est capable de te raccorder les deux de sorte que ce soit drôle.

A ce souci permanent de rendre justice à tout ce que les écrans ne montrent d’ordinaire pas (souvent, en faisant fî de la beauté des plans et en ne se focalisant que sur ce que le film raconte, on pourrait penser qu’il est une version hard de L’Amour est dans le Pré) vient en effet s’ajouter un humour qui fait tout le temps mouche, selon une mécanique assez maligne : Guiraudie ne juge jamais ses personnages, mais ceux-ci subissent tout de même toujours le temps d’un plan, d’un début de scène les conséquences de leurs actes. Ainsi, la sodomie suscidaire évoquée ci-dessus aboutira sur un titre de journal dans La Provence. Et le scénariste rechignant à rendre son nouvel écrit verra l’éditeur venir à sa recherche dans les causses en s’écriant : « J’ai pas de scénario ».

Rester Vertical vaut enfin pour la nouvelle déclaration d’amour qu’y fait Guiraudie à sa région des Midi-Pyrénées. Il filme les grandes étendues de verdures, les virages en épingle et les routes herbues comme personne. Et dans un contexte cannois où traverser une rue entraîne systématiquement une symphonie de klaxons, c’est une réelle bouffée d’air frais.


Gaël Sophie Dzibz Julien Margaux David Jérémy Mehdi
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Le tableau des étoiles complet de la sélection à ce lien


2

Un film d’Alain Guiraudie, avec Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry, Christian Bouillette, Laure Calamy, prod. : Les films du Worso/ARTE France, 2016, 98 min.
Sortie en France pour les blaireaux qui ne sont pas à Cannes prévue pour le 24 août 2016

 

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1 thought on “Rester Vertical, d’Alain Guiraudie

  1. Le sud-ouest est sans doute loin de Paris et de Cannes, mais quand même… qualifier Guiraudie de cinéaste pyrénéen me semble un peu léger, même s’il cultive parfois quelques traits communs avec les frères Larrieu. Sinon, merci pour ce compte-rendu qui donne assez envie.

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