La dernière fois que j’ai vu Macao : dans la ville nomade

La dernière fois que j’ai vu Macao commence en prolongeant O Fantasma et Mourir comme un homme, deux des films précédents de Joao Pedro Rodrigues. Du premier, il reprend le cadre fixe, mariage de l’emphase et du faux ; au second, il emprunte dans la foulée une obsession pour l’armée. Dans une cour verdie par le temps, quelques hommes aux visages grimés jouent à la guerre. Puis, la voix off enclenche le récit, quand le ferry débute la remontée du fleuve vers Macao, faisant resurgir des images d’archives noir et blanc de la ville portuaire.

Du sublime Tabou de Miguel Gomes à ce film fait à deux, circule une même liberté, une même confiance dans les pouvoirs du récit. On y retrouve ce chuintement de la langue, laquelle va activer un principe du film de montage : les rebuts d’images, la teneur photographique des plans, esquissent une réflexion et une fiction documentaires. Quelques motifs (animaux gonflables géants, gravures de dragons), tissent une correspondance souterraine avec le passé du pays. Rachetée par les chinois alors qu’elle était la dernière colonie européenne en Chine, Macao semble tout entier berceau et vestige de l’histoire. Image saisissante de la mondialisation, qui montre une ville bardée de néons et où plus personne ne parle portugais. Le narrateur, dont on ne verra pas le visage, est englouti dans cette zone spéciale, reclus dans ses souvenirs. Et tandis que les chinois « mettent en scène le bonheur » dans la jungle de la ville, il se refuse à elle.

À la recherche d’une amie, dont il suit la trace, vient se greffer une vague histoire de serial killer. Mais l’essentiel est ailleurs. Le cadrage, dans une lignée allant de Duras à Pollet, charrie un autre ordonnancement du récit. Laissant au spectateur le soin de frayer avec le hors champ, La dernière fois que j’ai vu Macao ne cesse de remettre en jeu une distanciation. Subtile, à rebours de la fiction. Ainsi, le film crée une dialectique à la fois minimale et souveraine qui consiste à ne rien montrer frontalement pour laisser poindre un peu de réel. Et ce qui devait advenir arriva – la crise est passée par là. À force de concilier le passé colonial, l’Histoire et son écheveau de traditions, les lieux s’évident d’eux-mêmes. Macao forme un non-lieu, une ville-palimpseste, une ruine. Loin de se poser comme une leçon sur l’état des images, La dernière fois… exhibe la crise du regard entre Occident et Orient. Son désenchantement.

La dernière fois que j’ai vu Macao, Joao Pedro Rodriguez & Joao Rui Guerra da Mata, avec Joao Pedro Rodriguz, Joao Rui Guerra da Mata, Cindy Scrash, France / Portugal, 1h25. 

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