Materialists : oh les cœurs

Deux ans après la déflagration Past Lives – la scène de l’étreinte finale entre les personnages de Greta Lee et Teo Yoo tourne encore régulièrement sur Instagram et très personnellement, j’ai les larmes aux yeux à chaque p*tain de fois – Celine Song revient avec son second long métrage écrit et réalisé par ses soins, Materialists. Le casting on ne peut plus glamour composé de Chris Evans, Dakota Johnson et Pedro « ultimate daddy » Pascal, associé au succès critique de son premier film, nommé aux Oscars l’an passé dans les catégories Meilleur film et Meilleur scénario original, a suscité de grandes attentes.

Ajoutez à ceci la curiosité à l’égard d’un couple de scénaristes (Song est mariée à Justin Kuritzkes, le scénariste de Challengers et Queer de Luca Guadagnino) qui à eux deux ont donc écrit pas moins de trois films sur des triangles amoureux en à peu près autant d’années, et ce sans même parler du fait que Past Lives est semi-autobiographique, et vous aurez un des films les plus scrutés de 2025. On a par ailleurs vu traîner le terme « elevated romcom » (« elevated » ayant ici un sens de « supérieur », de plus qualitatif) pour décrire ce film et exciter le public. Mais tout comme son parent « elevated horror » (d’ailleurs souvent associé aux films de l’écurie A24, qui est le distributeur ici), ce terme est, à mon humble avis, paresseux et insultant. Il n’y a pas de films d’horreur « honteux » ou de rom-coms honteuses et d’autres qui seraient « dignes » d’être regardé.e.s et considéré.e.s : il n’y a que des bons et des mauvais films, dont le juge extrêmement arbitraire est votre subjectivité et votre sensibilité (sauf quand c’est Cinématraque qui parle, bien entendu, parce qu’on a toujours raison.)

Qui plus est, Materialists n’est pas vraiment une rom-com, même si la jeune femme qui hésite entre deux prétendants que tout oppose est effectivement un pitch de départ assez classique du genre, et que le film ne manque ni de romance ni d’humour. Celine Song nous propose plutôt ici une fable douce-amère sur – une fois de plus – les « et si » qui nous font imaginer nos vies parallèles et faire le deuil (ou non) des chemins qui n’ont pas été pris, particulièrement dans nos relations amoureuses. La question centrale ici, à laquelle renvoie parfaitement bien le titre (partiellement mal traduit au Québec par L’Entremetteuse, on revient à ce marketing rom-com), c’est de savoir jusqu’à quel point l’amour peut s’accommoder d’une situation financière, de la meilleure à la pire, et jusqu’à quel point le mariage est resté intrinsèquement une transaction commerciale.

Dakota vivant notre rêve à tous.tes

Dans ses séquences d’ouverture et de presque-fin, Celine Song invoque de manière à la fois drôle et un peu maladroite 2001, Odyssée de l’espace (comme dans un des teasers de Barbie sorti la même année que Past Lives), en jetant une réflexion sur les origines du mariage comme le film de Kubrick le faisait sur les origines de la violence. C’est que le personnage de Dakota Johnson, Lucy, travaille comme entremetteuse dans une agence matrimoniale de luxe pour New-Yorkais.es lassé.e.s des applications de dating. Elle recrute ses client.e.s directement dans la rue ou mieux encore, dans les mariages qu’elle a réussi à provoquer, pour ainsi capter des prétendant.e.s du même milieu socio-économique. C’est dans un de ces mariages qu’elle rencontre le très riche et très beau Harry (Pedro Pascal, je pense que la pellicule a fondu en même temps que ma dignité lorsqu’il apparaît à l’écran en smoking) et dans ce même mariage qu’elle retrouve par hasard John (Chris Evans), son ex-amour, pas moins beau mais complètement fauché.

À travers Lucy et son métier, qui lui donne un point de vue privilégié et réaliste ascendant acerbe sur les relations amoureuses (hétérosexuelles à 99%, NDLR), on (re)découvre la cruauté de chercher l’âme soeur et/ou un alter ego acceptable (cet adjectif ayant une grande variété de sens ici) dans une société patriarcale. Désespoir des femmes de finir seules et/ou avec un homme de petite taille, jeunisme et grossophobie écoeurante des hommes, vision purement capitaliste de la valeur des individus sur le « marché » de l’amour, etc, jusqu’à un évènement grave qui viendra bouleverser à la fois Lucy et le ton du film. Et comme les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés, Lucy elle-même sera amenée à interroger son cynisme et ses croyances face aux péripéties de sa vie amoureuse.

Si Materialists ne tutoie pas les sommets d’émotions de Past Lives, les dialogues sont globalement excellents, l’œil affûté de Celine Song nous montre une fois de plus comment la dynamique entre les personnages peut changer du tout au tout selon la composition des plans, les acteurs sont impeccables, la musique aussi… En somme, c’est une réussite – mais pas un chef-d’oeuvre. Le plus intéressant ici sera peut-être de constater à quel point chacun.e entrera en résistance ou adhérera totalement avec ce qui est dépeint à l’écran, choix final de Lucy compris.

« Mais qui commande à nos amours ? », chantait une autre Céline. Sa compatriote et homonyme semble avoir fait sienne cette question, et si je ne garantis pas que vous trouverez la réponse dans le film (mais les questions ne sont-elles pas plus intriguantes que les réponses ?), je peux en revanche garantir que Celine Song est une des réalisatrices les plus passionnantes du moment.

Materialists, de Celine Song. 1h49. En salles le 2 juillet.

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