Hollywood Interdit : Elephant Films revient sur le cinéma pré-code

En 2013, la Warner édite en France une collection de films surprenant en DVD ; dans 42nd Street on y voit des jambes très dénudées de danseuses de comédie musical. Dans Wonder Bar on y voit deux hommes danser ensemble, à une époque où l’homosexualité est encore criminalisée. Des longs métrages sortis entre 1930 et 1934, qui tous à leur manière semblent plus osés, moins réfrénés par les tabous que ceux qui sortiront des studios hollywoodiens les années suivantes.

Plus de dix ans après, l’éditeur Elephant Films propose une nouvelle collection de dix longs métrages aussi singuliers que fascinants, afin de se replonger dans un cinéma qui nous paraît parfois moins distant que celui des années 1940. Pourquoi retourner encore et toujours sur cette période cinématographique singulière qu’on a appelé rétrospectivement les années « pré-code » ? Resituons le contexte rapidement. Nous sommes à Hollywood à Los Angeles, et l’industrie est en plein essor. Les longs-métrages épiques et grandioses de la décennie 1920 ont permis au cinéma américain de rayonner non seulement sur tous les grands écrans qui commencent à se former dans tout le pays, mais aussi dans le monde.

 

Avec le succès, et une exposition à un public de plus en plus conséquent, viennent aussi les contraintes et les disputes. Le cinéma n’est pas protégé par la liberté d’expression sur le territoire étatsunien, et chaque état se réserve le droit de modifier les bobines qu’ils reçoivent afin de ne pas choquer les locaux. Il faut dire aussi que Hollywood se traîne à ce moment-là une image de capitale du vice, à un moment où le reste du pays subit une crise économique qui précipite les foules vers la religion, et la moralisation de la vie publique et privée.

C’est William H. Hays qui propose alors un code, une manière d’auto-réguler les films pour éviter ce genre déconvenues par la suite lors de la distribution. Ce code, communément appelé Code Hays, est proposé le 19 février 1930. C’est là où la situation est amusante : le code n’est en réalité pas respecté dans les années qui suivent. Ce n’est qu’en 1934 que des actions de boycott répétées sur le territoire étasunien force les studios à l’appliquer pour de bon.

Plusieurs décennies plus tard, les cinéphiles se replongent dans cette période désormais nommée « pré-code » et y découvrent une véritable mine d’or. Ce ne sont pas juste des films de dépravés, où le sexe y est plus présent que dans le cinéma plus chaste et retenu d’après 1934, au contraire. On y trouve là des œuvres qui se permettent de plonger dans certaines réalités sociales dérangeantes, comme les troubles de l’alcoolisme ou le questionnement moral d’un assassin. James Whale aurait-il pu réaliser son formidable Frankenstein à un autre moment que durant les années pré-Code ? Lubitsch aurait-il pu se permettre la désinvolture érotique de Trouble In Paradise dans ses années plus tardives ?

Cléopâtre (1934) | MUBI, hollywood interdit, elephant films, cinéma préc-ode

Le coffret proposé par Elephant Films est un échantillon particulièrement significatif de cette période du septième art, et propose des œuvres de ces deux cinéastes justement, mais aussi de l’immense Cecil B. DeMille et de la seule femme cinéaste hollywoodienne à avoir eu une vraie carrière à l’époque, Dorothy Arzner. On y voit les visages de Claudette Colbert et Marlene Dietrich, tout comme celui de la jeune Ida Lupino… Qui plus tard deviendra réalisatrice au sein d’une structure indépendante qui lui permettra de poursuivre les thématiques des films pré-code en marge de Hollywood, notamment ses Outrage et The Bigamist en 1950 et 1953.

Alors pourquoi revenir au Hollywood Interdit en 2025 ? Pourquoi encore et toujours revenir sur ce moment suspendu durant lequel Dorothy Arzner peut filmer dans Merrily We Go To Hell la déchéance d’un couple du fait de l’alcoolisme du mari et même parler de mortalité infantile ? Durant lequel Ernst Lubitsch peut réaliser L’homme que j’ai tué, un de ses très rares films qui ne soit pas une comédie et qui raconte la culpabilité d’un soldat qui rencontre la famille d’un ennemi de guerre dont il a causé la mort ?

Parce que la période du cinéma pré-code est un prétexte pour rappeler que le positivisme en histoire est une notion aberrante, et que nous n’allons pas naturellement de progrès social en progrès social avec les années. De 1930 à 1934, le cinéma hollywoodien n’était pas seulement plus déluré qu’après. Il était surtout plus ouvertement politique, plus prompt à parler des troubles de la vie des femmes, à montrer la souffrance et la violence dissimulées par le strass et les paillettes du septième art. Il a permis des voix dissonantes d’exploiter la pellicule pour parler du vrai monde sans fioritures, et de permettre à un public de questionner leur réalité grâce au pouvoir magique de la fiction. En bref le cinéma pré-code, c’était de l’art. Parfois grossier, souvent contestataire et révolté. Une expression libertaire au sein de la contrainte, qu’on espère voir émerger aujourd’hui aussi, tandis que les États-Unis sombrent dans le fascisme en y emportant avec eux le monde entier.

Le coffret Hollywood Interdit les années pré-Code en dix films édité par Elephant Films est sorti le 1er juin 2025

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