Alpha : AIDS à la pierre

Quand on décroche l’un des Graals les plus convoités du cinéma, on est évidemment particulièrement scruté sur le projet suivant. Avec Titane, Julia Ducournau avait frappé un grand coup en s’imposant avec un film ambitieux et sans concession et a gagné une reconnaissance internationale, notamment comme héritière de Cronenberg.  La voici de retour à Cannes avec Alpha dans un contexte beaucoup moins confortable pour elle vu les attentes que son film suscite.

Dans Alpha, une vision alternative des années 80 est confrontée à un virus mortel encore peu connu qui transforme peu à peu les personnes en statue. On voit immédiatement où l’attirance de Julia Ducournau pour le body-horror pourrait mener le film, mais étonnamment la transformation des corps est finalement assez peu exploitée. Quelques jolis plans montrent ces hybrides de chair et de pierre et la façon dont les corps se fissurent et se décomposent comme des ruines est assez belle. On aurait aimé que Ducournau creuse un peu plus ce filon, mais on comprend rapidement qu’elle désire de diriger son cinéma vers d’autres horizons.

Et l’horizon principal d’Alpha, c’est la relation d’une mère dont on ne sait pas le nom, jouée par Golshifteh Farahani, avec son frère Amin et sa fille Alpha. Alors qu’Alpha est suspectée d’avoir attrapée la maladie devenant une paria à l’école, Amin l’oncle absent et junkie revient dans leur vie. C’est autour de ce trio que tourne le film, hélas parfois un peu à vide. Car Julia Ducournau veut traiter beaucoup de choses dans Alpha mais se perd souvent dans les thématiques qu’elle mobilise : le virus, l’adolescence, la drogue, la dépression, la maternité, le deuil. Ça fait beaucoup de sujets lourds qui sont en plus ici lestés d’une symbolique formelle rarement très fine.

Le film ne facilite pas non plus la tâche en mêlant à tout cela un mystérieux jeu chronologique qui ajoute une couche de mystère pour déployer une sorte de twist confus et inutile dans ses derniers moments. On aurait aimé qu’Alpha fonctionne. Cela aurait pu être un grand film sur le SIDA ou sur l’addiction. On retrouve dans le film des poussières de cette grande œuvre. Certains moments avec Tahar Rahim sont assez émouvants. La performance de l’acteur en perpétuelle souffrance physique dans un jeu volontairement emphatique est d’ailleurs à souligner tant il était compliqué de ne pas tomber dans le ridicule. En arrivant à s’en sortir malgré tout Tahar Rahim peut même prétendre au prix d’interprétation si le jury est sensible à cette proposition.

Mais ces quelques moments n’arrivent pas à sauver le film de ses failles parfois sismiques. Notamment la mauvaise gestion des différents arc narratifs dont on se demande souvent l’intérêt. Du rôle de professeur en deuil de Finnegan Oldfield aux émois amoureux d’Alpha, Alpha perd beaucoup de temps et de force sur ces bouts d’intrigues malmenées et gâche son potentiel à ne pas savoir où il veut aller. La fin du film qui semble vouloir révéler une astuce narrative tombe alors à l’eau car le spectateur a déjà renoncé à s’intéresser au sort de ces personnages qui manquent décidément de chair.

On est donc déçus qu’Alpha ne soit pas à la hauteur de ses ambitions. Le premier accueil critique à Cannes est d’ailleurs particulièrement froid alors que Titane avait eu le mérite de diviser. Mais on ne jettera pas la pierre à Julia Ducournau pour avoir tenter de sortir de sa zone de confort pour ce troisième film. Et on gardera en tête les belles promesses que contient Alpha pour continuer à croire aux futurs projets de la réalisatrice.

Alpha, de Julia Ducounau avec Tahar Rahim, Golshifteh Farahani, Mélissa Boros, Emma Mackey, sortie en France le 20 août 2025

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