Deux procureurs : Staline management

Nous n’avons pas toujours dit du bien de Sergei Loznitsa à Cinématraque. On était donc autant curieux que méfiant du nouveau long-métrage du réalisateur ukrainien, habitué de la Croisette. Il revient en effet cette année avec un film d’époque sur l’URSS stalinien, en 1937.

Il y a bien deux procureurs dans ce film. Le premier, ancien nom important du Parti croupit en prison dans des conditions déplorables car il est désormais considéré comme un traître. Le second, un jeune procureur régional récemment nommé va le rencontrer et essayer d’arranger sa situation. C’est le parcours du deuxième qui constitue le fil narratif du film. Et ce fil est presque un fil d’Arianne, tant le personnage va passer le film à se perdre dans les méandres du régime communiste. La format 4:3, les couloirs démesurés, les plans qui s’étirent, les personnages absurdes, tout est fait pour emprisonner le jeune procureur dans un piège dont il ne pourra pas réchapper. Et on prend un certain plaisir à accompagner ce grand naïf au pays de Kafka. D’abord parce que le casting est impeccable. Le regard toujours un peu perdu du procureur innocent tranche avec les têtes dures et implacables du système soviétique, des geôliers aux grands chefs. Ensuite, le rythme est parfaitement bien travaillé. Le film nous fait glisser progressivement dans sa mécanique. Les silences et les attentes s’arrêtent toujours au bon moment et l’on tombe nous même dans le faux-rythme des maîtres des horloges soviétiques qui sont les seuls à véritablement contrôler le tempo de toute la société. Chaque refus, chaque perte de temps, chaque trajet est une façon pour les décideurs de gérer les agitateurs sans conflit afin que les apparences de la justice soient toujours respectées. « Faisons-le mariner » ordonne un chef de prison au sujet du procureur au début du film. Et c’est tout le projet du film qui est contenu dans cette injonction. Deux procureurs est un film de marinade.

Ils savaient recevoir quand même les soviétiques

La simplicité du titre éclaire également sur la dimension de conte du récit. La quête initiatique du jeune procureur, sorte de Tintin aux pays des Soviets, n’est jamais très crédible. Tant sa naïveté que l’absurdité du monde qui l’entoure sont racontées sans chercher à décortiquer les mécaniques du totalitarisme soviétique. On est ici plutôt sur le registre de la fable universelle qui permet, on le devine, de toucher sans trop en dire la Russie de Poutine. Hélas à trop vouloir être universel, le film perd en intérêt. Les fables kafkaïennes ne sont pas une denrée rare et on peine à voir ce que Deux procureurs apporte dans ce registre. Le fil d’Ariane que suit le personnage est également cousu de fil blanc et on aurait peut-être aimé que le film se permette quelques écarts avec son dispositif. Il est fort à parier que ce film projeté dès le premier jour ne restera pas longtemps dans les mémoires fatiguées des festivaliers…

La fable de Loznitsa ne manque pas de saveur et cette œuvre maitrisée est une variation efficace du cauchemar kafkaïen. Mais finalement on se demande si on ne préfère pas détester les œuvres clivantes de Loznitsa qu’applaudir poliment devant ce film trop sage.

Deux procureurs, un film de Sergei Loznitsa, avec Alexandre Kouznetsov et Alexandre Filippenko, sortie en salles le 24 septembre 2025

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