Séries Mania 2025 touche à sa fin, marquant la fin d’un long tunnel d’une semaine jalonnée de projections publiques, de masterclass bilingues et de séries rattrapées à minuit et demi devant un plat de pâtes cuisiné à la va-vite. La fin d’une longue semaine de retour à l’état d’adolescent certes, mais aussi la marque d’une édition 2025 sans temps mort qui aura livré dans l’ensemble une sélection solide et surprenante, avec peu de sorties de route (hormis toi, Intraçables, on t’a pas oublié) et surtout l’impression que les meilleures séries de cette cuvée seront celles qui auront su déjouer les attentes du spectateur et s’aventurer en-dehors des chemins balisés. Si certaines séries auraient pu être mentionnées pour leurs mérites en purs termes de savoir-faire sériel, les coups de coeur qui resteront de cette année ont surtout su faire preuve d’une qualité toujours bien vue en ces lieux : l’audace.
Mussolini : Son of the Century (Compétition officielle – Sky Italia, pas de diffuseur français encore connu)
Le pitch : Inspirée du roman éponyme, la série M. Son of the Century raconte l’histoire d’un pays qui a cédé à la dictature et celle d’un homme qui a su renaître de ses cendres à maintes reprises : le Duce, Benito Mussolini. En huit épisodes, le réalisateur Joe Wright couvre la période allant de la création des Fasci Italiani en 1919 au tristement célèbre discours de Mussolini devant le parlement après l’assassinat du socialiste Giacomo Matteotti en 1925.
Tout le programme de cette série biographique sur Mussolini tient dans ses trois premières minutes : une longue adresse caméra bravarde de Luca Marinelli (Martin Eden, Les Huit Montagnes), l’une des innombrables dont regorge cette co-production franco-italo-britannique confiée à un cinéaste de renom, Joe Wright. Fidèle à ses habitudes, le réalisateur d’Orgueils et préjugés et Anna Karénine ne fait pas dans la dentelle, multipliant les effets clinquants, montages assourdissants et anachronismes visuels. Si c’était un montage pop, ce serait insupportable, mais heureusement Joe Wright se montre ici nettement plus inspiré pour parler de Mussolini que de Winston Churchill à l’époque des Heures sombres (et pas uniquement celles de notre Histoire).
M : Son of the Century est un portrait futuriste du Duce, qui s’intéresse moins à la vie de l’homme qu’au venin du fascisme dans ce qu’il a de plus vertigineux et malheureusement contemporain. C’est un déluge de cris de haine, une saturation de fureur, un spectacle parfois halluciné traversé de personnages difformes (ce Gabriele d’Annunzio presque Dali-esque avec son samouraï de compagnie!), mais aussi un écho lointain du sommeil de la raison, qui continue d’engendrer des monstres. “Vous m’avez tué, mais je suis toujours là” nous assène Mussolini dès les premières minutes de la série. Par son absence totale de subtilité, la série de Joe Wright a la vertu salutaire des œuvres qui ont compris que la meilleure manière de parler de fascisme aujourd’hui, c’est de le montrer comme il est : vulgaire, viriliste, épuisant, omniprésent. Le portrait ne plaira pas à tout le monde, mais il a le mérite de ne pas s’embarrasser d’euphémismes.
Querer (Compétition officielle – ARTE)
Le pitch : Après 30 ans de mariage et deux enfants, Miren quitte son domicile et porte plainte contre son mari, à la surprise générale de leur famille et entourage. Ses accusations graves obligent ses fils désormais adultes à choisir entre croire leur mère et soutenir leur père qui clame son innocence. Un parcours familial émouvant, où chacun a le même objectif : découvrir la vérité.
Dans la langue de Lamine Yamal, le verbe querer signifie à la fois “aimer” mais aussi “vouloir”. C’est cette polysémie qu’explore la série créée par Eduard Sola pour la plateforme Movistar Plus, en s’intéressant à un concept remis en cause ces dernières années, celui du “devoir conjugal”. Parce qu’elle était mariée, Miren a enduré les agressions répétées de son époux, toujours persuadé que le simple fait d’être marié justifiait que son épouse disait naturellement oui à tout. Le jour où elle décide de tout plaquer, la cellule familiale se fracture.
Derrière la force et l’actualité de son sujet, Querer parvient à transcender l’aspect en apparence très schématique de son écriture par la puissance de l’interprétation de son casting mené par l’actrice Nagore Aranburu, candidate évidente à un prix d’interprétation, et où figure notamment Miguel Bernardeau, vu notamment des séries Netflix Elite et 1899. Resserrée sur quatre épisodes, centrés sur les quatre temps de l’affaire (la fuite, l’enquête, le procès, le verdict), Querer est une belle illustration de la vitalité des séries espagnoles, et de la belle orfèvrerie narrative que l’école de leur storytelling a su imposer au cours des dernières années. Probablement la plus conventionnelle des séries de cette sélection, Querer montre aussi qu’un dispositif sériel peut être spectaculaire quand il est simplement parfaitement tenu de bout en bout.
The Danish Woman (Panorama International – ARTE)
Le pitch : Lorsque Ditte Jensen se retire avec les honneurs des services secrets danois, elle emménage dans un immeuble de Reykjavik où elle va pouvoir cultiver son jardin et vivre sa vie dans l’anonymat. Mais Ditte ne peut cesser d’être qui elle est. Un soldat d’élite et une guerrière. Et bientôt l’immeuble se transforme en champ de bataille pour un monde meilleur. Avec son sens profond de la justice, elle décèle les problèmes de ses voisins et se sent obligée de les aider, qu’ils le veuillent ou non. Et dans son monde la fin justifie les moyens. Toujours.
Encore une série ARTE, certes, mais dans un registre bien différent (la série, co-production islando-française est d’ailleurs une simple acquisition de la chaîne franco-allemande). The Danish Woman est une création du cinéaste islandais Benedikt Erlingsson, que l’on avait pu découvrir notamment par son film Woman at War. Encore une fois, il s’attache ici à un personnage féminin fort en caractère, qui ne recule pas devant l’autorité et l’ordre établi, mais cette fois-ci en s’attachant à une ancienne espionne à la retraite, qui pense pouvoir appliquer à son paisible quotidien de retraitée les mêmes méthodes, parfois brutales, de sa vie active. L’occasion de mener une réflexion sur la quête de la justice et ses considérations morales, ainsi que sur la trace laissée par une vie à ne pas se soucier des limites.
Mais la principale force de la série repose sur la composition de son interprète, la grande Trine Dyrholm, déjà présente sur le festival l’an dernier avec Rematch, sacrée meilleure série de la compétition internationale. Présente à quasi chaque instant, elle habite chaque plan, jusqu’aux génériques délicieux de chaque épisode dans lequel la caméra la filme simplement en train de chanter et danser. Elle incarne la subtilité d’une série capable de passer en quelques secondes de la satire grinçante à l’émotion touchante ou à la pulsion de violence inattendue. Une série à l’image de son héroïne, complexe et déroutante, qui se dévoile rapidement derrière son apparente modestie.
Empathie (Compétition officielle – CRAVE, pas de diffuseur français encore connu)
Le pitch : Suzanne, ancienne criminologue désormais psychiatre, atterrit à l’Institut psychiatrique Mont-Royal où elle rencontre Mortimer, un intrigant agent d’intervention avec qui elle se lie d’amitié, et des patients qui ne laissent personne indifférent.
Si vous faîtes le tour des accrédités de ce Séries Mania 2025, probablement peu de séries auront suscité autant l’emballement qu’Empathie, qui s’est même offert le luxe d’une standing ovation comme rarement vue dans l’histoire du festival, ce qui en fait déjà un prétendant naturel au Prix du Public. Il faut dire que la nouvelle série de la comique québécoise Florence Longpré, remarquée notamment pour sa précédente création pour Netflix M’entends-tu?, a tous les atours d’un beau succès populaire : un sujet grave abordé avec légèreté, un personnage principal féminin fort, un rythme parfaitement tenu de bout en bout et même un nom connu du public français en la personne de Thomas Ngijol.
Empathie est surtout un modèle d’écriture d’une finesse de précision remarquable, aux dialogues parfois merveilleux de simplicité, y compris sur les scènes les moins spectaculaires. Maîtrisant parfaitement les codes de la narration sérielle avec lesquelles elle joue allègrement (de manière un peu trop ostentatoire diront les critiques plus réservées), Empathie tient parfaitement son programme de route en appliquant son mantra à chacun de ses personnages, qui acquiert assez vite une richesse inattendue, et pourtant à peine dévoilée dans les deux épisodes présentés pendant le festival. C’est aussi une exploration de toutes les ressources de la cinématographie pour dépeindre le trauma et le trouble mental qui peut s’avérer particulièrement émouvante tant la série sait se montrer généreuse et sans calcul. Un grand vent de bonheur qui s’est abattu sur la salle du Nouveau Siècle, pour ce qui restera comme une des séances les plus marquantes de cette édition.