Look Back : S’il vous plaît, anime-moi un manga

Ayumi est une jeune élève d’école primaire qui s’est découvert un talent pour raconter des histoires dans les cases du journal de son école. Tout le monde adore ses dessins drôles et surprenants, capables de faire voyager très loin avec quelques traits simples, et elle est très fière de son succès. Un jour, elle découvre qu’une autre élève de sa classe, nommée Kyomoto, qui est absentéiste, dessine aussi pour le journal de l’école… Et elle est bien meilleure.

Pourquoi fait-on de l’art ? Sommes-nous motivé·e·s par un désir d’immortalité, ou un besoin primal d’exprimer notre individualité et nos émotions en les enrobant dans des mélodies, histoires, couleurs ? Le génie du film d’animation Look Back réside dans une absence totale de sacralisation de la création artistique. Au contraire, l’objectif est d’en montrer la dure réalité — celle d’un labeur acharné et interminable — mais aussi de révéler comment elle ne naît pas toujours d’un sentiment des plus nobles.

Avant d’arriver au cinéma, Look Back est surtout un succès de librairie. Un one-shot sensationnel de 80 pages qui s’est d’abord vendu grâce au nom de Tatsuki Fujimoto, sans nul doute le mangaka le plus apprécié de sa génération dans le monde grâce à son Chainsaw Man qui joue avec les codes du genre en explorant les penchants les plus vils et grossiers de ses personnages. C’est également ce qui fait la force de Look Back qui, s’il n’est en rien aussi déjanté et noir que Chainsaw Man, n’hésite pas à surprendre là où il faut.

Le point de départ de la narration fait un peu penser à Amadeus ; comme si Ayumi était une Salieri moderne, qui rencontre en Kyomoto son Mozart à elle. La première va s’abandonner complètement au dessin pour réussir à rattraper la seconde, négligeant ainsi ses amis, sa famille et tous ses loisirs dans un seul but : laver une humiliation… vaincre cette ennemie invisible qu’elle déteste pour la qualité de son art qu’elle ne parvient pas à égaler. Car c’est ainsi qu’elle le vit et qu’on nous le fait comprendre. Mais c’est lorsque Ayumi rencontre pour la première fois Kyomoto que tout bascule : le fait que la seconde soit fan du travail de la première change tout…

Une transposition du manga vers l’animation avait tout d’une évidence comme d’un piège, parce qu’il ne faudrait rien changer ou presque pour que cela fonctionne aussi bien. Après tout il s’agissait d’une œuvre qui commentait son propre medium, et aussi brillante l’adaptation soit-elle, elle en viendrait forcément à perdre ce lien métatextuel qui reliait les dessins des deux jeunes filles à ceux de Fujimoto. Lui-même avoue volontiers qu’il se trouve limité dans ses capacités au dessin, et s’identifie évidemment au personnage d’Ayumi ; on peut même supposer qu’il a connu une Kyomoto dans sa vie.

Chainsaw Man Creator's Look Back Anime Gets Disappointing U.S. Release Update
Quand Paul et John écrivaient ensemble, cela devait ressembler à ça…

Heureusement, la version filmique de Look Back est peut-être encore meilleure que le manga d’origine, parce que sans rien abandonner du récit il vient corriger ses quelques faiblesses formelles pour le clarifier. Kiyota Oshiyama, le réalisateur, pense peut-être avoir trouvé son propre style avec ce film. Comme il le dit lui-même dans une excellente interview sur le site IGN France dirigée par Benjamin Benoît, il a passé des années au service des autres et n’a jamais eu autant de liberté créative que sur Look Back en ce qui concerne l’animation. Lorsque le récit bascule quelque peu dans la fantaisie et l’imaginaire le manga pouvait par instants paraître obtus ou confus, mais il n’en est rien dans le film tant l’intelligence de la narration visuelle est au service de ce qui est raconté.

Surtout, l’adaptation filmique souligne magnifiquement la parenté inévitable et évidente entre le dessin fixe et le dessin animé ; l’image la plus marquante est celle des deux jeunes filles dessinant de dos sans jamais s’arrêter, se tuant à la tâche pour leur art. Cette position corporelle est à la fois celle des dessinateurs et des animateurs, qui évoluent au fond dans des univers similaires. Si Look Back perd une part de son lien avec le manga en devenant un film d’animation, elle regagne en revanche une proximité très marquante avec l’événement le plus tragique de l’histoire récente du Japon, à savoir l’incendie de Kyoto Animation. Le 18 juillet 2019, un homme s’introduit dans les studios et, prétextant un vol d’une de ses idées, met le feu aux locaux causant la mort de 36 personnes. Ce terrible drame, plus grand massacre depuis la Seconde Guerre mondiale dans le pays, a inspiré un élément clé du récit de Look Back qui, maintenant qu’il est devenu un film d’animation, résonne d’autant plus fort.

À ce titre, Look Back n’hésite pas à aller vers le mélo et le tire-larmes, ce dont l’animation japonaise est coutumière et qui peut en rebuter certains. L’accepter ou pas dépend de notre réception à une tonalité parfois sensiblement éloignée de nos sensibilités nationales souvent obsédées par la retenue et la modération. Néanmoins, une chose demeure encore, à savoir cette réflexion essentielle sur la création artistique. Pourquoi vouloir se dépasser, s’acharner encore et encore ? Look Back s’aventure dans l’imaginaire à la moitié de son récit, ouvre les possibles à une réalité alternative parce que c’est une histoire qui tolère les en même-temps, les paradoxes et les contradictions. Lorsqu’Ayumi découvre que Kyomoto adore ses bandes dessinées, elle est à la fois heureuse de voir son talent reconnu et honteuse de la jalousie qu’elle ressentait devant le coup de crayon de sa rivale. Adapter Look Back en l’éloignant de sa nature de commentaire sur le manga était déjà un contresens en soi, et pourtant le film fonctionne à merveille. Parfois, il ne faut pas forcément chercher à comprendre ; ce qui compte, c’est seulement de continuer à dessiner. Ou à écrire des critiques de film.

Look Back, un film de Kiyotaka Oshiyama, en salles les 21 et 22 septembre via Eurozoom

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