La plus précieuse des marchandises : Au coeur des ténèbres

Ne nous mentons pas trop : harassés que nous sommes au bout d’un tunnel de dix jours intenses de projections et de casse-dalles absorbés sur le pouce aux associations gustatives parfois douteuses (au point de faire la promesse de ne plus manger de l’année 2024 une quelconque forme de nourriture si elle est servie entre deux tranches de pain), on ne peut pas dire que la perspective de refermer cette édition cannoise par le dernier film de Michel Hazanavicius était de nature à nous mettre en transe. Après avoir longtemps ronronné, le festival a su accélérer dans les derniers jours en nous offrant quelques prétendants plus que solides au palmarès. Dans ce contexte, difficile de savoir si cet afflux de bons films dans la dernière ligne droite allait ou non profiter à cette Plus précieuse des marchandises, qui marquait au passage un événement : le retour de l’animation en compétition à Cannes, le genre n’ayant plus été représenté depuis le Valse avec Bachir d’Ari Folman en 2008.

La plus précieuse des marchandises adapte le conte écrit et publié en 2019 par Jean-Claude Grumberg, un texte principalement écrit à l’origine à destination du jeune public et qui avait déjà fait l’objet d’une adaptation théâtrale en 2021. Au cours de la Seconde guerre mondiale, un couple de bûcherons recueille chez lui un bébé retrouvé le long d’un chemin de fer, abandonné par ses parents juifs déportés vers le camp d’Auschwitz. La bûcheronne (doublée par Dominique Blanc) va d’abord se heurter à l’hostilité de son époux (Grégory Gadebois) puis à la méfiance et à l’antisémitisme des autres bûcherons. Pour le bûcheronne, il faut dès lors protéger à tout prix sa “petite marchandise” envoyée par le “dieu du train”.

S’il se pose d’emblée comme un conte pour enfants, La plus précieuse des marchandises n’en adopte pas moins un ton de plus en plus adulte, notamment en suivant, en parallèle de la survie de la bûcheronne et du bébé, l’histoire du père biologique de ce dernier, qui va se retrouver à vivre les horreurs indescriptibles commises entre les murs des camps de concentration et d’extermination. Sans se montrer frontal dans la représentation de l’horreur de la Shoah, le film d’Hazanavicius essaie de se plonger au cœur du martyre de ceux à qui tout, jusqu’à leur propre corps, a été arraché par les nazis.

Il y a de nombreuses images édifiantes dans La plus précieuse des marchandises, nées notamment d’une animation assez virtuose quoique parfois sommaire dans son design. Embrassant les capacités du médium mais sans vouloir trop en faire, Hazanavicius calibre sa mise en scène pour un récit au cordeau qui file à toute vitesse le long de ses 80 minutes montre en main. Le problème, c’est que certains autres aspects techniques du film n’offrent pas la même qualité de rendu. Bien qu’assuré par des sommités du cinéma français (en plus de Dominique Blanc et Grégory Gadebois, le film marque aussi l’ultime apparition au cinéma de Jean-Louis Trintignant, qui prête sa voix au narrateur du film), le doublage sonne parfois étrangement faux, un peu à côté de la plaque. Mais ce n’est pas grand chose à côté du score d’Alexandre Desplat, peut-être la véritable faute de goût du film, un gloubi-boulga de violons beaucoup trop pesant et sur-signifiant, qui contraste par ailleurs avec la relative ténuité des dialogues, qui appelait sans doute à faire davantage confiance aux images de ce cauchemar en animation.

Il en résulte un film un peu bancal, qui a parfois du mal à trouver son ton et qui apparaît au final un brin trop convenu par rapport à ses ambitions formelles. La plus précieuse des marchandises n’en demeure pas moins un film qui, malgré ses fragilités, trouve par moments un équilibre délicat entre horreur et grâce. Un équilibre qui n’est malgré tout pas toujours tenu, comme c’est arrivé en fin de compte un peu trop souvent au cours de cette édition 2024 du festival de Cannes.

La plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius, avec les voix de Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc, Grégory Gadebois…, sortie en salles françaises prévue le 20 novembre

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