L’Amour Ouf : Chokbar 2 love

La voici probablement, la dernière “curiosité” de cette compétition officielle du cru cannois 2024. Quelques heures avant de découvrir le très beau All we Imagine as Light de Payal Kapadia, et dans l’attente des deux derniers prétendants à la Palme que sont The Seed of the Sacred Fig de Mohammad Rasoulof et La plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius, c’est donc L’amour Ouf, le projet gargantuesque de Gilles Lellouche, qui devait constituer l’événement de ce deuxième jeudi sur la Croisette.

Voilà des mois que le cinéma français gravite autour de ce projet monstre, d’abord imaginé en deux parties avant de se voir “ramassé” sur une oeuvre fleuve de 2h45, annoncée comme une grande fresque romantique et musicale, portée par un casting regroupant acteurs et actrices les plus courus du cinéma hexagonal. François Civil, Adèle Exarchopoulos, Karim Leklou, Raphaël Quenard, Benoît Poelvoorde, Alain Chabat, Vincent Lacoste, Jean-Pascal Zadi… Tapis rouge de prestige pour un film annoncé comme l’événement de l’année 2024 pour le cinéma d’auteur de prestige en France.

L’amour Ouf s’ouvre au début des années 1980 dans le nord de la France, du côté de Dunkerque plus précisément. Clotaire est le rejeton turbulent d’une famille nombreuse, à peine tenue par un père violent, un des dockers du port. Petite frappe avec sa bande de potes, il va peu à peu évoluer vers une vie de violence et de délits. Jacqueline, elle, préfère se faire appeler Jackie ; mise à la porte de l’école catholique, elle vit seule avec son père depuis la mort de sa mère dans un accident de voiture. Plutôt sage et studieuse, elle va néanmoins tomber sous le charme de Clotaire, qui va mettre sa vie sans dessus dessous. Le film de Gilles Lellouche va alors suivre le parcours des deux amoureux pendant près d’un quart de siècle, au fil de leurs séparations et de leurs retrouvailles.

On avait laissé le Gilles Lellouche réalisateur sur la jolie réussite du Grand bain et ses plus de quatre millions d’entrées, comédie feel good sur une bande d’éclopés sentimentaux qui surmontaient leur crise de milieu de vie en se découvrant une passion pour la natation synchronisée. Galvanisé par ce succès, l’acteur-réalisateur s’est embarqué dans un projet qu’il voulait être sa grande œuvre, son film définitif sur l’amour. A l’annonce de la sélection du film dans le saint des saints qu’est la compétition officielle du festival de Cannes, impossible de cacher une forme de curiosité face à l’ambition et la bizarrerie du projet. Gilles Lellouche à la tête d’un blockbuster d’auteur de 2h45 au budget colossal qui nous promettait du cœur et de la musique, évidemment que ça ne pouvait que polariser les avis.

Le problème de L’Amour Ouf, c’est qu’au sortir des 165 minutes passées en salle, on en ressort avec la sensation un peu désagréable d’avoir été trompé sur la marchandise. Certes, L’Amour Ouf parle d’amour, heureusement, en se construisant sur deux versions du couple Clotaire-Jackie : d’abord à l’âge adolescent grâce au jeune Malik Frikah et au visage montant Mallory Wanecque (révélée par Les Pires, Grand Prix Un Certain Regard il y a deux ans, et vue cette année dans Pas de vagues aux côtés d’un certain… François Civil), puis à l’âge adulte sous les traits du tandem vedette glamour formé par Civil et Adèle Exarchopoulos. Le problème, c’est qu’assez rapidement on comprend que le film n’a pas uniquement envie d’être une histoire d’amour.

L’Amour Ouf est aussi, et peut-être même surtout, une histoire de gangsters, de petits caïds, insistant longuement sur la plongée de Clotaire dans le monde criminel en basculant sous la coupe de La Brosse, un parrain du crime à l’ancienne joué par Poelvoorde. Et le problème c’est que cette histoire de gangsters prend un peu trop vite le pas sur le reste, et que la promesse d’une grande histoire d’amour tombe un peu à l’eau. Il y a en réalité deux films dans L’Amour ouf, deux films qui essaient de cohabiter, mais qui donnent constamment l’impression que l’un menace de phagocyter l’autre, et pas forcément celui que l’on aimerait.

Le tout renvoie l’impression d’un film fourre-tout, tentant de conjuguer maladroitement toutes ses influences. Quelquefois ça marche, à l’image d’une séquence de braquage/mariage montée au son du légendaire Sirius d’Alan Parsons Project, un choix d’homme de goût évidemment, mais bien trop souvent l’ensemble tombe à l’eau. La partie romantique en pâtit le plus : en tarissant sa présence à l’écran, elle n’en devient que plus schématique, faisant ressortir les faiblesses d’écriture d’une naïveté qui aurait été touchante si elle avait le temps de s’incarner réellement. La séquence adolescente du film fonctionne d’ailleurs nettement mieux que la séquence adulte, au point qu’on en vient à voir la montagne si prometteuse Civil/Exarchopoulos accoucher d’une petite souris. Et pour ce qui est des fameuses séquences musicales promises, c’est le pompon : à peine deux ou trois séquences de danse, pas si mauvaises d’ailleurs, éparpillées aux quatre coins du récit. 

L’Amour Ouf est une déception, mais pas pour les raisons auxquelles on pouvait s’attendre. Le résultat à l’écran diffère tellement des intentions initiales qu’on en vient à se demander si le film n’a pas été victime de ses propres ambitions, et des enjeux économiques colossaux que représente sa sortie pour une industrie toujours morose. L’Amour Ouf est un film à trous, où des personnages disparaissent ou n’apparaissent même presque pas (Bajon, Quenard, transparents), où des ellipses viennent brutalement refermer des intrigues, où la rareté de certaines idées laisse penser qu’il y avait beaucoup plus dans l’arrière boutique. L’expression est certes galvaudée, mais L’Amour Ouf a bien les traits d’un film malade, incomplet, d’un fourre-tout qui n’a jamais su faire le tri de son trop plein, qui part dans tous les sens en ayant beaucoup de mal à suivre son cap.

L’expérience aurait pu être galvanisante, elle n’en est finalement que frustrante. Frustrante car au fond L’Amour Ouf n’est même pas un naufrage. Lellouche est de toute évidence un cinéaste pas manchot caméra en main, et on ne pourra pas lui reprocher d’avoir tenté quelque chose. On pourra cependant lui reprocher d’avoir refusé l’obstacle et d’avoir emmené son projet pharaonique, probablement un peu mégalo, en dehors des sentiers battus. Peut-être aurait-on même préféré que L’Amour Ouf soit en fait un naufrage navrant, une guimauve embarrassante de saccharine, un tintamarre cinématographique coulé par les moqueries goguenardes d’un parterre d’invités médusés. En fin de compte, L’Amour Ouf est juste un film un peu bof, un peu trop effrayé par ce qu’il aurait pu être, et qui décide de freiner des quatre fers de peur de la sortie de route. Malheureusement, un film tout sauf ouf.

L’Amour Ouf de Gilles Lellouche avec François Civil, Adèle Exarchopoulos, Mallory Wanecque, sortie en salles prévue le 16 octobre prochain

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