Les linceuls s’ouvre sur une belle idée et un moment bouleversant. L’idée c’est une invention de Karsh (Vincent Cassel) qui permet via des écrans disposés sur les tombes de suivre en direct l’évolution de la décomposition de son être aimé. Le moment, c’est la réplique par laquelle Karsh explique le pourquoi de son invention : sa volonté irrésistible, à la mort de sa femme, de la suivre dans le tombeau. L’émotion est d’autant plus forte que l’on sait que la femme de David Cronenberg, Carolyn, est morte en 2017 et que ce film puise dans son expérience du deuil. Vincent Cassel n’a d’ailleurs jamais autant ressemblé au réalisateur canadien laissant peu de doute quant à la dimension autobiographique de ce film.
La beauté de ce moment est amplifiée par le ridicule assumé de cette invention. Karsh lance une appli au nom ridicule sur son smartphone pour pouvoir actionner sa pierre tombale 2.0 et on comprend le désespoir de cet homme pour en être rendu là. Cela fonctionne d’autant plus que l’inventivité sans limite des « tech bros » nous a déjà prouvé à maintes reprises qu’aucune idée ne devait être considérée comme étant trop saugrenue pour être développée. Le film semble en plus s’amuser avec son propre concept et l’on passe les dix premières minutes à sourire et à s’émouvoir en se disant que Cronenberg tient là un sujet passionnant aux frontières de la mort, de l’identité, de la technologie et de l’amour.
Il a beugné la pierre tombale ! l’était impeccab’
La désillusion est d’autant plus rude lorsque l’on réalise progressivement que le film n’exploite finalement pas ces idées si intéressantes. A la place, David Cronenberg nous embarque dans un pseudo-thriller technologique, sponsorisé par Tesla, sans aucun sens, ni intérêt. On y parle alors beaucoup de conspiration, de Russes, de Chinois, de piratage, de réseau d’espionnage. Tout ça dans une succession de dialogues interminables et particulièrement mal écrits auxquels aucun des acteurs ne semble croire. Vincent Cassel est à ce titre catastrophique avec des « wow » et « what the fuck » pour toute réaction face aux inepties débitées par les personnages secondaires insupportables. Guy Pearce et Diane Kruger ne s’en sortent hélas pas beaucoup mieux.
On peut trouver dans ces histoires d’étrange conspiration une volonté de montrer jusqu’où nous sommes prêts à aller pour éviter de regarder en face la mort dans ce quelle a de plus simple et de plus violent. Les enquêtes menées par Karsh seraient, comme les joujoux technologiques, un nouveau substitut à son désespoir. Mais le film n’arrive pas à trouver l’équilibre qui permettrait de se tenir à distance de sa propre intrigue. Quelques moments de mise en scène viennent parfois ajouter un peu de trouble, même si cela passe par des artifices un peu grossiers, notamment dans la représentation du cancer comme d’une mutilation progressive du corps des femmes. Hélas tout cela pèse peu face aux nombres de scènes indigentes qui engluent progressivement Les Linceuls dans ce qu’il a de moins intéressant jusqu’à l’asphyxier définitivement.
Il s’arrête d’ailleurs en plein milieu de son histoire, preuve que ces histoires n’intéressaient pas plus ceux qui ont fait le film que ceux qui le regardent. On gardera alors en mémoire ce début si prometteur et l’émotion sincère d’un deuil impossible.
Les linceuls, un film de David Cronenberg avec Vincent Casse, Diane Kruger, Guy Pearce, sortie le 25 septembre 2024