Séries Mania 2024 : 6 séries à placer dans sa watchlist

Ce vendredi se referme la septième saison de Séries Mania à Lille, une édition marquée du sceau de l’incertitude, présente sur les lèvres de toute l’industrie notamment au cours des rencontres du forum professionnel. Retombées de la grève hollywoodienne, budgets restreints et frappés de plein fouet par l’inflation, situation géopolitique complexes, partenariats intra-européens confrontés à des lignes éditoriales fluctuantes… Le secteur audiovisuel semble traverser une période de doute, auquel s’ajoute l’ombre impossible à ignorer de l’essor de l’intelligence artificielle, dont l’impact sur la création est encore très difficile à appréhender aussi bien dans le bon que dans le mauvais.

Cette incertitude a un peu rejailli sur l’ensemble de la sélection de cette édition, qui a peut-être eu quelques difficultés à faire émerger une ou deux séries événement, capables de générer en amont un buzz qui pourrait les porter jusqu’à leur lancement sur les écrans. Cela ne signifie pas que cette sélection était sans intérêt artistique, loin de là : si la compétition française a par moments manqué de relief dans ses propositions, la compétition et le panorama internationaux ont quant à eux répondu dans l’ensemble présents. En fin de compte, on a sélectionné les six séries qui auront su capter notre attention au milieu d’une programmation foisonnante. Certaines connaissent déjà leur diffuseur français, d’autres ne feront sans doute jamais le saut jusque chez nous, mais c’est le jeu de ce genre de festival comme chaque année.

Boarders (Compétition Internationale, BBC Three – Angleterre)

Le pitch de Boarders : Cinq étudiants noirs des quartiers défavorisés de Londres décrochent une bourse d’études dans un internat d’élite. Cette expérience jonchée de hauts et de bas va leur en apprendre beaucoup sur eux-mêmes, sur leur identité et sur la vie dans cet environnement privilégié.

Création de l’acteur Daniel Lawrence Taylor, Boarders avance masqué en faisant craindre un énième drama young adult à l’anglaise, un peu trashy et finalement assez peu substantiel. Mais Boarders arrive assez vite à ne pas se limiter à un simple ersatz de Sex Education et compagnie. Si cette bande d’étudiants noirs venus d’un quartier populaire de Londres se définit de manière assez ironique selon des tropes bien connus de la fiction (il y a le débrouillard un peu magouilleur, la militante grande gueule, le taiseux membre d’une bande…), Boarders arrive assez vite à les faire exister autrement que des personnages-fonctions au service d’un message connu d’avance.

Il se dégage de Boarders une certaine candeur (relativement) dénuée de cynisme, qui tient d’une certaine tradition de shows pour ados britanniques à la Skins ou Misfits qui a toujours su éviter les chausses-trappes dans lesquels ont pu tomber certaines séries pourtant fort bien intentionnées sur le papier. Le sens du casting de Boarders, essentiellement constitué de jeunes acteurs inconnus (le jeune Sekou Diaby, notamment, s’y révèle assez exceptionnel) tient sur ses épaules une série surprenante par son empathie, sa richesse de caractérisation et la nuance de son propos dépassant les simples clivages sociaux incarnés par son pitch (le personnage de Femi, enfant de la diaspora nigériane étouffé par des parents qui le poussent à se renier par assimilation, est assez émouvant). Boarders témoigne d’un savoir-faire toujours inégalé de la télévision anglaise sur le domaine des fictions ados scolaires, et a toujours d’un crowd-pleaser extrêmement efficace, ayant récolté d’assez loin l’ovation la plus impressionnante de la compétition internationale, et probablement de n’importe quelle série présentée en sélection cette année.

So Long, Marianne (Compétition Internationale, NRK – Norvège)

Le pitch de So Long, Marianne : So Long, Marianne raconte l’histoire d’amour légendaire du chanteur et poète Canadien Leonard Cohen et de sa muse Marianne Ihlen. C’est une histoire intime de deux personnes solitaires qui tombent amoureuses l’une de l’autre à une période de leur vie où elles tentent de comprendre qui elles sont et quelle est leur place dans le monde, alors que l’une d’elles est en voie de devenir l’un des chanteurs les plus célèbres de tous les temps.

S’il est un enseignement à retenir de la programmation de ce Séries Mania, c’est la grande forme de la télévision publique norvégienne, le réseau NRK plaçant pas moins de deux séries dans cette sélection. La première, So long, Marianne, a tout de la superproduction internationale puisque issue d’une coproduction avec la Grèce et surtout le Canada via l’influente plateforme de SVOD nationale Crave. Difficile d’imaginer nos amis du Saint-Laurent ne pas prendre part à un projet comme So Long, Marianne puisque celui-ci met à l’honneur l’un des plus grands artistes canadiens de ce dernier siècle, le regretté Leonard Cohen. C’est à l’acteur Alex Wolff (Hérédité, Jumanji, Old) qu’incombe la lourde tâche d’incarner l’auteur et interprète d’Hallelujah et Suzanne, entouré d’un casting aux forts accents américains (Noah Taylor, Peter Stormare ou encore Anna Torv).

Si ce projet télévisé autour de Leonard Cohen prend vie sous l’impulsion de la télévision norvégienne, c’est parce qu’il se centre sur la rencontre du chanteur montréalais de naissance avec sa muse Marianne Ihlen (jouée par une jeune actrice du nom de Thea Sofie Loch Næss, ça ne s’invente pas), jeune norvégienne qu’il rencontre en 1960 sur l’île grecque d’Hydra, dans une communauté d’artistes où ils croisent notamment les écrivains George Johnston et Charmian Clift, ou encore le peintre Marc Chagall. Sujet de prestige, casting trois étoiles, traitement léché et décor paradisiaque (Hydra est presque un personnage à part entière, purgatoire asphyxiant pour tous ces artistes aussi brillants que brisés), So long, Marianne est une série sur les maudits, sur la création (et pas uniquement de la chanson qui donne son titre à la série), mais aussi sur le douté intérieur qui a toujours accompagné l’un des plus grands poètes de son temps. Difficile de ne pas l’imaginer au palmarès ce vendredi.

Le Monde n’existe pas (Compétition française, Arte)

Le pitch du Monde n’existe pas : Un journaliste, convaincu que son amour de jeunesse est innocent du crime dont on l’accuse, revient enquêter dans la ville où il a grandi et qu’il a fuie.

Déjà primé dans la Compétition française l’an dernier pour Sous contrôle, la mini-série comique politique de Charly Delwart déjà pour Arte, le cinéaste Erwan Le Duc tente la passe de deux en revenant dans un exercice qui lui convient particulièrement avec Le Monde n’existe pas, adaptation actualisée et relocalisée (passant des Etats-Unis profonds au bassin minier du Nord de la France) du roman éponyme de Fabrice Humbert. On comprend rapidement ce qui a attiré Le Duc dans cette histoire tant l’univers déployé à l’écran se montre cohérent avec l’œuvre du réalisateur, particulièrement le toujours aussi délicieux et succulent Perdrix. Après Swann Arlaud et Nahuel Perez Biscayart, c’est au tour de Niels Schneider de se frotter à un personnage aussi hors du monde, en décalage avec le réel que ses prédécesseurs.

On retrouve dans Le monde n’existe pas ce goût du flottement, du pas de côté par rapport au naturalisme, cet investissement de paysages comme figés hors du temps. Hypnotique, languissante, toujours un pied dans le passé et dans le présent (à l’image de ces intérieurs indéfinissables et volontairement incohérents, dévitalisés), Le monde n’existe pas est une enquête où chaque pas s’arrache de l’immobilité dans laquelle s’est figée la bourgade dans laquelle Adam, le personnage joué par Schneider, revient sur son passé et le lien singulier qui le lie à Axel Challe, le suspect principal de son enquête. Pour qui est familier de l’univers d’Erwan Le Duc (la toujours formidable Maud Wyler, son actrice fétiche, est encore de la partie) ou se montrerait suffisamment curieux pour le découvrir, Le monde n’existe pas est un beau polar rural à combustion lente, qui réserve son mystère à ceux qui sont prêts à se battre pour.

Dates in Real Life (Panorama International, NRK – Norvège)

Le pitch de Dates in Real Life : Ida passe la majorité de sa vie en ligne. Quand son petit-ami, Marvin, qu’elle n’a jamais rencontré, lui annonce qu’il a une petite-amie dans la vraie vie, son monde s’écroule. Ida se donne pour objectif de rencontrer un homme pour de vrai, sans jamais perdre l’espoir de reconquérir Marvin.

Toujours chez les Norvégiens de NRK, Dates in Real Life creuse un sillon bien différent de So long, Marianne, avec cette série présentée comme young adult (sur la chaîne à l’origine du phénomène SKAM, c’est compréhensible), mais qui ne l’est pas tant que ça. Dates in Real Life est le portrait de l’émancipation émotionnelle d’une jeune femme qui n’a jusqu’ici passé sa vie qu’à fantasmer une relation amoureuse, bien que réciproque, avec un garçon habitant en Californie, à l’autre bout du monde. Loin de se poser comme une critique de ces relations virtuelles d’un nouveau genre, la série essaie surtout de lui donner vie, offrant un beau cas d’étude filmique d’utilisation des nouveaux médias que sont le jeu vidéo et la réalité virtuelle. Entre appels en face sous la couette et vie de couple fictive bâtie dans un simulateur de vie à la Second Life, Dates in Real Life déploie une mise en scène moderne et invente, nourrissant une réflexion sur le transmédia et sur la ligne directrice qui conduit chacune de ses expériences sociales : trouver une connexion avec l’autre.

Quand Ida sort de sa chambre pour aller dans le monde réel, la série retombe dans une facture plus classique et des péripéties plus irrégulières en termes de qualité, mais qui ont le mérite de conserver un petit quelque chose de bigger-than-life qui n’essaie jamais d’opposer le ridicule du virtuel au sérieux du monde réel (la jeune femme se retrouve tout de même à essayer de mettre dans son pieu son chanteur préféré dans l’épisode 3). La ressemblance physique entre l’actrice Gina Bernhoft Gørvell et son homologue Kristine Kujath Thorp aidant sans doute, Dates in Real Life n’est pas sans évoquer les atermoiements sentimentaux et le malaise générationnelle évoqué dans Ninjababy au cinéma il y a quelques années. Ce même mélange d’impolitesse, de fraîcheur et d’imperfections pourrait trouver son public si une plateforme se risque à faire arriver cette jolie trouvaille jusque chez nous.

After the Party (Panorama International, ITV – Nouvelle-Zélande)

Le pitch d’After the Party : Le monde de Penny s’écroule le jour où elle accuse son mari, Phil, d’avoir agressé sexuellement un ami de sa fille adolescente et personne ne la croit. Cinq ans plus tard, Phil revient d’Écosse et emménage avec la fille de Penny, Grace, et son petit fils. Grace supplie sa mère d’oublier le passé, mais quand Phil accepte un poste de professeur, Penny se voit obliger d’essayer de prouver sa culpabilité. Rejetée par son entourage, Penny doit choisir ce qui est le plus important pour elle : la vérité ou sa relation avec sa fille.

L’un des grands moments de ce Séries Mania fut sans nul doute la masterclass endiablée et haute en couleurs de Peter Mullan, venu présenter cet After the Party venu de Nouvelle-Zélande et récemment acquis par la réputée Channel 4 en Angleterre, au cours de laquelle, au milieu d’une litanie de F-words, l’acteur écossais s’est payé le luxe d’insulter de tous les noms Kevin Spacey suite à leur expérience malheureuse sur Ordinary Decent Criminal. Aussi brillant acteur au cinéma (My Name is Joe, Trainspotting, Tyrannosaur) que sur le petit écran (Top of the Lake, Mum, Westworld) mais aussi comme réalisateur (The Magdalene Sisters, Neds), Peter Mullan est l’un des plus grands talents britanniques de sa génération, toujours friand de rôles abrasifs capables d’exploiter sa voix rocailleuse et sa gouaille toute écossaise incomparable.

Dans After the Party, Mullan se frotte à l’un des rôles les plus casse-gueules qui soient : celui d’un homme accusé de viol par sa propre femme Penny (Robyn Malcolm), que personne dans son entourage n’a cru. Portrait du poids des non-dits et de la difficulté de confronter ses propres convictions à l’amour que l’on porte aux siens, After the Party dépeint frontalement les frictions intenables qui se créent quand l’un des nôtres se retrouve accusé du pire des crimes. Un acte jamais représenté à l’écran au cours des deux épisodes diffusés, dont on arrive nous-même à douter qu’il ait jamais eu lieu tout en continuant à prendre fait et cause pour cette femme qui a quasiment tout perdu en essayant de faire valoir la justice. En attendant de voir la direction prise par les événements, les débuts de cet After the Party arrivent souvent à trouver un ton juste et douloureux, et à naviguer comme il faut au milieu de cette immense zone grise qui s’est abattue tout autour de ses personnages.

Videoland (Compétition Comédies, Websérie Pikelet Pictures – Australie)

Le pitch de Videoland : Hayley, une adolescente qui travaille dans un vidéoclub dans les années 90, a besoin d’aide pour apprendre à être une bonne lesbienne. Elle s’inspire des films, mais a du mal à y trouver de vrais modèles queers. Comment Hayley peut-elle devenir la meilleure lesbienne possible sans exemples à l’écran ? Avec l’aide de ses amis, Hayley doit trouver un moyen de devenir elle-même, d’accepter sa sexualité et d’impressionner la fille de ses rêves.

Un petit mot pour finir pour la plus ramassée des séries de ce top, et possiblement l’une des plus courtes de cette édition 2024. Shortcom en six épisodes au format huit minutes (les festivaliers n’ont malheureusement pu voir que les quatre premiers, ce qui est rageant), Videoland est l’un des tours de force scénaristiques les plus vivifiants de ce festival. L’ambition de la série : réinvestir l’un des imaginaires les plus influents de la pop culture encore aujourd’hui (le cinéma populaire hollywoodiens des années 80/90) et de montrer sa possible appropriation par une jeune ado australienne qui appréhende à peine son homosexualité en cherchant, avec son crush, des idoles féminines et féministes autour desquelles façonner leur émancipation. 

Le tout est fait avec un naturel et une sincérité assez désarmants (le tout sent assez clairement le “True Story” à l’écriture) mais aussi avec un joli travail d’incarnation dans une économie de décors bien pensée : on ne sort quasiment jamais des rayons et de la classe de ce vidéoclub flashy assez ironiquement (et pas du tout innocemment) décoré de néons bleus et roses. A l’exception du personnage de sidekick féminin un peu criard qui par son ironie un peu postmoderne sonne presque comme un anachronisme malvenu dans l’ensemble, Videoland est l’exemple même de la shortcom bien foutue, bien pensée et qu’on a envie de dévorer d’une traite comme un bonbon. A conseiller à tout le monde, et surtout aux fans de Kate Winslet.

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