Séries Mania 2024 : Rencontre avec l’équipe d’Extra (OCS)

Chaque année, le festival Séries Mania propose le samedi soir du planning son Marathon Comédies, enchaînement d’avant-premières comiques venues du monde entier entre 20h et 2h du matin. Et chaque année, on y traque la nouveauté venue d’OCS, qui a su se bâtir une belle réputation dans un exercice encore trop souvent négligé dans le paysage audiovisuel français, fort des succès de séries toutes plus ou moins liées à l’histoire de Séries Mania comme Irresponsable, Les Grands, Jeune et Golri (gagnante de la Compétition française en 2021) ou encore Rictus, prix de la meilleure comédie l’an dernier. Cette année, c’est avec Extra, portée par l’actrice Anne Girouard, que la chaîne récemment acquise par Canal+ avait son rond de serviette à la table de Séries Mania. À cette occasion, nous avons pu nous entretenir avec l’interprète de la fameuse reine Guenièvre dans Kaamelott, mais aussi avec les co-créateurs et co-réalisateurs d’Extra, Jonathan Hazan et Matthieu Bernard.

Le pitch d’Extra : “Catherine, mère de famille et cheffe de chœur d’une chorale inclusive, part, à l’insu de sa famille, à la conquête du plaisir à travers l’accompagnement sexuel pour personnes en situation de handicap”.

Comment vous est venue l’idée d’écrire une comédie sur un sujet aussi compliqué que celui de l’accompagnement sexuel des personnes handicapées?

Jonathan Hazan : On a vu passer à l’époque un appel d’offres de la SACD et d’OCS qui voulaient encourager la production d’une série comique autour du handicap. Jonathan et moi, on a collaboré ensemble sur pas mal de projets, mais on n’avait jamais écrit ensemble. Jonathan avait déjà produit des courts-métrages autour de la sexualité et du handicap et de mon côté, j’ai été confronté au handicap dans l’entourage. Et pour lui comme pour moi, écrire sur la sexualité nous intéressait beaucoup. Alors, on s’est rapidement dit : »Faisons une comédie familiale, une comédie familiale sur un personnage qui ne connaît rien à l’assistanat sexuel pour personne en situation de handicap ». 

Et vous, Anne, comment avez-vous eu connaissance du projet Extra, et qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter un rôle comme celui-là ? 

Anne Girouard : On m’a envoyé un scénario de huit des dix épisodes que la série fait en tout, que j’ai lu et dévoré d’une traite. Si j’ai trouvé le scénario très fort, c’est parce qu’il était porté par un personnage magnifique, une femme qui part à la rencontre d’elle-même à travers la rencontre avec l’autre. C’est un cadeau pour une actrice, un rôle comme ça. 

Je me doute, mais c’est aussi un rôle complexe et qui demande de donner de sa personne pour ainsi dire. Avez- vous ressenti une petite appréhension par rapport à un rôle comme celui-là ?

A. G. : Non, le désir de le jouer a vite pris le dessus sur la peur. Bien sûr, je n’avais pas envie de faire n’importe quoi, et je me suis beaucoup documentée. Il y a chez Catherine une obstination magnifique, elle est très têtue. Et ça, c’est très chouette à jouer, ça, l’obstination, quitte à laisser tomber toutes les conventions et transgresser la loi. Mais c’est un personnage qui doute aussi, qui se heurte à une succession de crises pas simples à vivre. Elle se découvre une nouvelle quête dans son existence. C’est une grosse responsabilité, pour une actrice, de jouer un personnage aussi formidable.

Le sujet d’Extra fait penser a déjà été abordé dans certaines productions comme The Sessions, un film hollywoodien. Mais de votre côté, aviez-vous en tête des exemples de représentations de la sexualité des personnes en situation de handicap dont vous vous êtes inspirés, comme modèles ou au contraire pour les déconstruire?

Jonathan Hazan : Pour nous, c’était important d’interroger le sujet à travers une nouvelle manière. Si l’on partait d’un personnage qui serait déjà un accompagnant sexuel formé à ces problématiques, ou d’une personne handicapée qui en serait bénéficiaire, on comprendrait assez aisément quel est l’enjeu du personnage. Nous, on voulait partir d’un personnage qui serait le plus extérieur possible à ces questions. 

Matthieu Bernard : On a été touchés par un documentaire très fort qu’on a vu l’année dernière sur Arte (Because of my Body). On s’est beaucoup nourris de films de fiction et de documentaires autour du handicap évidemment, mais pas uniquement sous l’angle de la sexualité ou de l’accompagnement sexuel. L’important pour nous, c’était de savoir ce qui faisait qu’une comédie autour du handicap pouvait fonctionner ou non. Mais y a une phrase clé dans le deuxième épisode, pour comprendre le projet, qui dit que finalement, il y a autant de besoins que d’individus. Et finalement, et même sur deux personnes qui ont le même handicap, ils vont le vivre différemment.

J. H. : Et comme dit Mathieu, après on s’est nourris de pas mal d’échanges, il y a eu pas mal de recherches aussi annexes. Après, notre travail, il a été simple : notre force était nos personnages. 

A. G. : J’ai regardé énormément de documentaires, parce qu’il y en a pas mal en fait, plus que je ne le pensais. Mais je n’ai pas non plus chercher à trop me documenter. Dans Extra, Catherine est totalement inexpérimentée sur ce sujet, c’est cette ignorance d’ailleurs que dénonce la série. Et donc, Catherine va aussi faire des bêtises, des erreurs, avec de vraies conséquences sur les personnes handicapées qu’elle compte aider. Elle peut faire des erreurs grossières car elle n’est pas assez formée. Alors moi-même en tant qu’actrice, je ne devais pas donner l’impression d’être trop experte. Je voulais aussi connaître ce sentiment qui la traverse de ne pas savoir trop comment faire. Catherine apprend en tâtonnant, de manière très empirique, rien n’est réellement intellectualisé car il n’y a pas de théorie possible. Elle est mue par une espèce d’instinct physique. Donc, je me suis documentée pour être sûre de ne pas raconter n’importe quoi, mais pas trop pour pouvoir continuer à comprendre ses doutes.

Au-delà de la question de la documentation, il y a celle de l’approche du sujet. Je sais que vous Mathieu, vous avez aussi une expérience dans le documentaire télévisé, ce qui a dû vous confronter à des sujets compliqués. Sur un sujet encore sensible comme celui d’Extra, vous êtes-vous retrouvés confrontés à certaines réticences de la part de personnes ou d’organisations ?

M.B. : La difficulté du sujet, c’est que vu qu’il n’y a pas de cadre légal bien défini en France, tout est compliqué. Des gens de bonne volonté essaient de structurer la possibilité à terme de proposer une formation autour, mais ils vont rapidement être taxés de proxénètes, ce qui entraîne un effet domino. On n’a pas véritablement été confrontés à des réticences de gens qui ne voulaient pas parler du sujet, mais par contre certains avaient plus de mal à se positionner par rapport au sujet. 

J. H. : Il fallait les rassurer en disant qu’avec Extra, on ne voulait pas proposer un point de vue politique sous l’angle de la polémique mais simplement poser la question du pourquoi de la législation actuelle. Pourquoi dans un pays comme le nôtre, capable de proposer de grandes fulgurances en termes d’avancées sociales, on a aussi parfois tendance à mettre des sujets complexes comme celui-là sous le tapis. Beaucoup de pays européens, et même limitrophes, sont beaucoup plus avancés que nous sur la question de l’accompagnement sexuel des personnes handicapées (NDLR : légal en Belgique et en Suisse notamment). On trouve là-bas des formations très encadrées et précises. Parce que quand on parle d’assistanat sexuel, on ne parle pas que d’un coït : parfois il s’agit juste de répondre à la demande d’une personne qui est empêchée de sortir de chez elle, qui n’a pas envie de partager les sujets de la sexualité avec un proche. C’est partager avec elle des questions autour de son corps, autour de sa sexualité, avec une personne au moins extérieure. Notre métier d’auteur, c’est de déterrer des non-dits. Et c’est difficile de se dire que les gens peuvent émettre un jugement sur un sujet auquel ils ne s’intéressent même pas. C’est quelque chose qui est assez dur à entendre pour nous.

La sexualité des personnes en situation de handicap dans Extra s’inscrit dans un spectre beaucoup plus large. C’est aussi l’histoire d’une femme qui redécouvre son corps, des masculinités contrariées de son mari et de son fils. C’était une ambition essentielle pour vous dès le départ de vouloir élargir et intégrer les sexualités des personnes en situation de handicap dans un champ d’étude plus large ?

J. H. : Tout à fait. On s’est dit tout de suite : on parle du handicap mais aussi de corps invisibilisés. Parler de Catherine, c’était aussi parler d’une femme à l’aube de ses 50 ans qui cherche à avoir accès au plaisir, à la jouissance, un personnage féminin qu’on ne voit que très peu dans les séries françaises. Ça aussi, c’est un tabou.

A. G. : Quand Catherine se retrouve dans le pilote face à Athéna, en fauteuil roulant et en plein acte sexuel, on se demande tout de suite : “Mais laquelle est la plus coincée et frustrée des deux, en fait ?”. Extra, c’est une série sur le plaisir et comment on peut y accéder. Il y a autant de sexualités qu’il y a d’individus. Le seul problème pour les handicapés, c’est qu’ils n’ont parfois pas le même accès à leur corps et donc à leur propre plaisir. Malheureusement, la société s’en fout, parce que ce n’est pas rentable, donc pas intéressant. Il n’y a pas d’intérêt matériel pour nos sociétés à s’occuper de cette question-là, c’est une question d’intérêt humain dans un monde où ce n’est pas du tout primordial.

Extra aborde le sujet de l’assistanat sexuel sous l’angle de la comédie. En tant qu’actrice rompue à l’exercice, qu’est-ce que la comédie peut apporter à des thèmes qu’on aborde généralement sous l’angle dramatique avec la distance nécessaire?

A. G. : J’ai toujours eu beaucoup de mal avec cette dichotomie entre comique et dramatique. D’ailleurs pour moi, Extra n’est pas vraiment une comédie, ou même une dramédie ou je ne sais quel type d’étiquette on aime appliquer aux séries. C’est plus que de la comédie ou du drame, c’est juste la vie, souvent en mieux. Les personnes handicapées sont comme tout le monde, elles traversent une vie faite de choses drôles, cocasses, de rires, de pleurs… La comédie, c’est tout ça à la fois.

Les scènes intimes dans Extra soulèvent forcément la question de plus en plus prégnante des conditions de tournage avec les acteurs. La France commence à peine à se familiariser avec le métier de coordinateur d’intimité par exemple, déjà plus implanté aux États-Unis. Comment avez-vous abordé et intégré la question de la distance nécessaire dans le processus filmique, particulièrement avec des acteurs qui sont eux-mêmes en situation de handicap, pour éviter de donner l’impression de les exploiter? 

A. G. : On en parlait beaucoup avec les réalisateurs en amont. J’ai rencontré chaque acteur un par un pour en parler. Jonathan et Mathieu ont proposé de faire venir quelqu’un, mais j’ai estimé en fin de compte que ce n’était pas nécessaire. Cela dit, on avance très vite sur ces questions aujourd’hui. Mais je n’avais pas spécialement envie d’impliquer une tierce personne dans ce processus. J’avais peur d’abîmer la dynamique, laisser la place à un peu d’improvisation, tant que ce n’était pas agressif bien sûr. Moi-même j’étais très intimidée à l’idée d’être presque nue devant quelqu’un, j’avais pas envie de sentir que ce qui se passait à l’écran était fabriqué, trop chorégraphié.

J. H. : C’est une question qu’on s’est posée naturellement, et que l’on a posée avec les acteurs. Il s’est avéré qu’on n’a finalement pas eu besoin de faire appel à un coordinateur extérieur, parce qu’on a pris la peine d’échanger avec chaque comédien autour de chaque séquence d’intimité. Déjà, il était impératif que les séquences d’intimité dans la série aient vraiment un sens, qu’elles aident à faire progresser le récit, et que les comédiens et comédiennes en comprennent l’enjeu. On les a donc interrogés chacun et chacune de leur côté, avant de les confronter ensemble pendant les répétitions.

M.B. : Et au moment du tournage, on en débattait à chaque fois de manière naturelle, qu’il s’agisse d’une scène avec un simple bisou entre les jeunes ou des séquences les plus intimes de Catherine. Tout était chorégraphié et préparé en amont, et tourné avec une équipe réduite, pour que chacun se sente le plus à l’aise possible.

Extra de Jonathan Hazan et Matthieu Bernard, avec Anne Girouard, Stéphane Debac, Nicolas Lumberas, diffusion prévue pour le courant de l’année 2024

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