Séries Mania 2024 : Le problème du Problème à Trois Corps

Voici venu, comme lors de chaque mois de mars, le rituel traditionnel du rendez-vous avec le festival Séries Mania, qui se tient cependant dans un contexte de plus en plus compliqué pour un secteur en souffrance. Victime de l’actualité internationale, entre les situations politiques en Amérique du Sud et la situation au Proche-Orient qui prive le festival d’un de ses principaux réservoirs de séries chaque année (aucune série israélienne à l’affiche cette année), le secteur télévisuel a pris aussi de plein fouet les conséquences de la longue (et légitime) grève qui a secoué Hollywood à l’automne dernier, ou encore du salutaire élan entourant la résurgence du mouvement #MeToo notamment en France, particulièrement dans le milieu de l’audiovisuel. Dans un climat de morosité générale qui donne l’impression de voir tout le monde réduire la voilure, le festival Séries Mania essaie tant bien que mal de jongler au milieu des nuages qui s’amoncellent aussi bien métaphoriquement que dans la grisaille qui s’abat sur la France depuis environ 3 ans et 7 mois (estimation à la louche).

Pas question pour autant pour le festival de ne pas essayer de créer l’événement, après une édition 2023 qui avait été entre autres l’occasion de refermer la parenthèse de ce qui reste jusqu’ici le plus grand coup d’éclat du Séries Mania depuis sa délocalisation dans le Nord : la découverte avant tout le monde de Succession, devenue au cours de ses quatre saisons LA série de sa génération. Pour essayer d’ouvrir le nouveau chapitre qui s’amorce, le festival a parié cette année sur une valeur sûre, ou plutôt deux : le tandem formé par David Benioff et D. B. Weiss, à l’origine de l’adaptation sur le petit écran de Game of Thrones, qui de ses débuts acclamés jusqu’à sa dernière saison si polémique aura marqué son temps comme peu d’autres.

Projet au long cours entamé en 2018 avec l’aide d’un troisième larron, le showrunner Alexander Woo (aux manettes entre autres de la saison 2 de la série horrifique d’AMC The Terror et scénariste d’épisodes pour True Blood), Le Problème à trois corps s’attaque à un autre monument de la littérature fantastique. En l’occurrence ici, le très touffu pavé de l’auteur chinois Liu Cixin, lauréat du prestigieux prix Hugo en 2015. Tout comme Game of Thrones, Le Problème à trois corps traîne avec lui une réputation flatteuse, certes, mais aussi celle d’un bouquin proprement inadaptable, que ce soit par l’exhaustivité de ses descriptions que pour son choix d’une triple temporalité pour évoquer ses événements paranormaux intriqués les uns dans les autres.

Résumer Le Problème en trois corps, ou du moins son point de départ, est en soi un défi à relever. L’intrigue se déroule en effet le long de trois chemins narratifs étalés sur deux timelines différentes. La première nous plonge dans la Chine des années 60, en pleine Révolution Culturelle maoïste. Au cours d’une purge des universités, le père de la jeune Ye Wenjie (Zine Tseng) est roué de coup à mort face à la foule pour avoir enseigné à ses étudiants la théorie du Big Bang, contraire à la doctrine du Parti communiste chinois. Fuyant les persécutions du régime, elle se retrouve enrôlée dans un projet scientifique secret dont elle découvre peu à peu les tenants et les aboutissants. En parallèle, la série suit aussi les aventures d’un groupe d’anciens étudiants d’Oxford dont certains, devenus scientifiques, se retrouvent confrontés à une série d’événements scientifiques inexpliqués, tandis que dans le même temps, l’enquêteur Da Shi (Benedict Wong) suit la trace d’une série de suicides inexpliqués mais qui semblent tous liés entre eux. Au cœur de ces affaires, un mystérieux casque de réalité virtuelle plongent ses possesseurs dans un jeu vidéo hyper-réaliste.

C’est un peu le foutoir exposé pêle-mêle mais si on en viendra bien vite aux défauts du Problème à trois corps, il faut reconnaître que la confusion n’est pas l’un d’entre eux. Formés au développement de multiples intrigues en parallèle dans les querelles de succession de Westeros, Benioff et Weiss ne font pas le cas de complexifier davantage par leur traitement narratif une structure déjà bien assez complexe comme ça. Les deux premiers épisodes diffusés à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de Séries Mania se suivent de manière étonnamment digeste dans leurs enchaînements temporels, mais aussi entre monde réel et virtuel. Il faut dire que face à un support original aussi dense et foisonnant, les trois showrunners ont préféré miser sur l’efficacité, au risque de troquer la méticulosité du roman pour une approche plus spectaculaire mais moins raffinée.

N’ayant pas lu le livre de Liu Cixin (et n’ayant déjà même pas fini à l’époque le premier tome d’A Song of Fire and Ice de ce cher George R. R. Martin), l’auteur de ces lignes ne se prononcera pas sur les questions de fidélité dans l’adaptation, mais la plupart des premiers retours soulignaient à quel point Le Problème à trois corps version Netflix va vite dans son intrigue, la saison de la série ayant apparemment prévu non seulement d’adapter l’entièreté du premier tome de la trilogie de Cixin, mais aussi une partie du volume suivant, La Forêt sombre. Ce n’est pas en soi un défaut rédhibitoire, mais l’approche pourrait hérisser le poil des fans du roman, ou à tout le moins les désarçonner.

S’il est des choix d’adaptation que l’on peut cependant juger sur pièce, ce sont ceux qui touchent la timeline contemporaine de la série, relocalisée à Londres (parce que c’est quand même plus facile à vendre avec un casting anglo-saxon). Plusieurs rôles ont été créés sur pièce pour l’occasion, malheureusement loin d’être les plus inspirés (dont celui de John Bradley, le Samwell Tarly de Game of Thrones, en patron de boîte de biscuits apéritifs multimillionnaire, parce que pourquoi pas). Plus généralement, il se dégage du début de ce Problème à trois corps l’impression de voir un résumé illustré du livre, synthétisant non seulement ses nombreuses péripéties mais aussi l’éventail scientifique qu’il convoque.

Il en résulte deux épisodes à la tonalité assez étrange et pour ne pas mentir un peu bébêtes, culminant sur le final assez WTF de l’épisode 1, qui pourrait déjà laisser quelques spectateurs sur le carreau. Pour autant, cette sensation de tomber sur une adaptation qui choisit de volontairement “s’abrutir” pour être plus mainstream n’est pas en tant que tel un motif de ragequit la série : il se dégage alors la sensation d’un objet prenant au premier degré un matériau paranormal si grossièrement absurde qu’il en devient captivant. Tout ça ne pardonne pas un jeu d’acteur parfois approximatif (la pauvre Eiza Gonzalez a l’air complètement à côté de la plaque) et des plot holes assez criants, mais sans tirer vers le nanar, loin de là (la production value de l’ensemble est assez qualitative), Le Problème à trois corps vire assez rapidement vers la série popcorn qui sait tout de même maintenir de manière assez constante la curiosité du spectateur.

Autant le dire tout de suite, il semble assez difficile de voir ce Problème à trois corps, pourtant l’une des séries majeures du line-up Netflix sur cette année 2024, devenir le “nouveau Game of Thrones”. Trop friable et trop frêle artistiquement, et sans doute pas suffisamment assurée de ce qu’elle est vraiment, la série se pose comme une énigme en apparence beaucoup trop simple pour qu’on se torture l’esprit avec, mais devant laquelle on se demande souvent si on ne va pas passer à côté de quelque chose si on ne continue pas à essayer de la résoudre. Si quand on joue au jeu des Trônes, soit on gagne, soit on perd, ici on va continuer de jouer encore un peu en attendant.

Le Problème à trois corps de David Benioff, D. B. Weiss et Alexander Woo, avec Jess Hong, Eiza Gonzalez, Benedict Wong, John Bradley…, diffusion de la saison 1 sur Netflix à partir du 21 mars

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