Vampire humaniste cherche suicidaire consentant : Not another vampire movie

Habituée à l’exercice du court-métrage, puisqu’avant ce long elle en a signé un bon petit paquet, la réalisatrice et scénariste québécoise Ariane Louis-Seize (incroyable nom de famille soit dit en passant) se sert habilement de son expérience dans le format pour structurer son Vampire humaniste cherche Suicidaire consentant.

Ainsi la scène qui ouvre le film a toutes les qualités formelles et structurelles d’un bon court-métrage comique et décalé. On assiste à l’anniversaire d’une enfant nommée Sasha. En plus du piano que lui offrent ses parents, sa tante a eu la bonne idée de ramener un clown ! C’est là où le décadrage intervient et crée l’effet de surprise qu’on retrouve souvent dans les formats courts malins et ingénieux : le clown en question n’est pas là pour faire un spectacle, mais pour être vidé de son sang par la famille de Sasha, qui sont tous en vérité des vampires. C’est à partir de ce point de départ qu’Ariane Louis-Seize et sa co-scénariste Christine Doyon développent une intrigue qui repose entièrement sur la caractérisation de son personnage principal.

Et qui évite justement les écueils qu’on retrouve souvent dans les premiers longs à concept, qui peuvent ressembler à des courts-métrages trop étirés, puisque de ce personnage va découler un univers riche en péripéties. Sasha est une vampire, certes, mais face à un bon repas (un humain à bouffer par le cou, donc), elle est incapable de sortir les crocs. Un paradoxe inhérent à sa nature donc, une idée géniale de scénario qui aura le don de faire rager tous les scénaristes ( = moi) qui s’en voudront de ne pas avoir eu l’idée d’utiliser un tel concept ainsi.

Non pas que la figure du vampire qui refuse de manger des humains n’ait jamais été utilisée dans la fiction, bien au contraire. C’est un détournement souvent utilisé comme un évitement pour contourner la nature immorale du vampire et en faire une figure plus positive ; sur lequel notre désir pourrait être plaqué sans la culpabilité inhérente à une créature qui vit au-delà des limites sociales et religieuses qu’on pourrait résumer par l’expression « tu ne tueras point ». Dans Twilight comme dans Buffy, on trouve des vampires qui ne s’en prennent plus aux humains, avec des subterfuges plus ou moins malins. Dans le premier cas, les vampires de la famille Cullen se nourrissent du sang d’animaux et réfrènent leurs pulsions meurtrières, parce que c’est une œuvre mormone puritaine cheloue. Dans le second, on apprend à un moment de la série que le gentil-ancien-méchant-vampire-torturé Angel teste aussi des mixtures de sangs d’animaux, parce que cela fait partie de son parcours de rédemption.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant » : vivre d'amour et de sang frais | Le Devoir
« Bon, tu me tues ou c’est comment ?« 

Là où le film d’Ariane Louis-Seize se démarque, c’est qu’il refuse catégoriquement l’idée qu’un vampire puisse se nourrir d’autre chose que d’un humain. Exit la solution de facilité qui ferait des vampires de simple carnistes incapables de devenir végétariens, Sasha, si elle veut survivre, doit absolument se décider à boire le sang d’un humain. Couvée par des parents trop compréhensifs avec elle pendant toute son enfance et son adolescence, elle se résigne à boire des poches de sang ramenées par sa mère, qui a a priori toute la charge mentale de la chasse pour la famille à gérer. Or, pour faire un parallèle encore avec nos habitudes alimentaires à nous, les poches de sang lui permettent aussi de contourner le problème et ainsi déshumaniser les victimes. Tout comme l’enfant qui mange des chicken nuggets ne fait pas le lien avec la poule avec qui il a joué dans le jardin, Sasha peut se mentir à elle-même et boire du sang humain en se disant que de toute manière, ce n’est pas elle qui l’a tué, et qu’elle n’a jamais vu la victime.

Tout le film repose donc sur une quête philosophique et éthique, comme la mise en image d’un débat entre potes nerdys sur « comment survivre en étant vampire et humaniste », et dont la réponse tant recherchée est dans le titre : il faut trouver des personnes qui veulent mourir, donc des humains consentants, et ainsi faire d’une pierre deux coups.

C’est dans cette quête que Vampire humaniste cherche Suicidaire Consentant entre dans le genre de la comédie romantique teenage, puisque la jeune Sasha va rencontrer un jeune garçon qui souhaite se suicider, et soudain avoir une révélation, un éveil amoureux et sexuel : ses canines de vampire apparaissent pour la première fois. À ce sujet, la scène où les parents de Sasha découvrent qu’elle a enfin les crocs (depuis que je sais que j’ai des haters qui détestent mes articles et blagues nulles je suis obligé contractuellement d’en faire, désolé) est une énième preuve de l’intelligence de l’écriture du film. Plutôt qu’une révélation banale à un moment anodin, les deux co-autrices du scénario ont l’idée de superposer la découverte des dents à une scène de dispute familiale, puisque la mère n’en peut plus de chasser à la place de sa fille. Ce n’est peut-être qu’un détail, mais c’est ce qui permet au film d’avoir la richesse nécessaire pour nous faire croire à son concept, et ce qui ancre bien l’œuvre dans le genre de la comédie.

Pas de l’humour haha rires à gorge déployée, encore que beaucoup de seconds rôles sont relativement tordants, mais plus de la facétie dans l’écriture, la direction d’acteur aussi. Si le film d’Ariane Louis-Seize est réussi, c’est parce que le numéro d’équilibriste qu’elle effectue est réussi. À la fois drôle et touchant, il parvient à s’emparer du mythe vampirique et de la romance teenage sans jamais se dénaturer, et dans un décalage qui n’est pas sans rappeler une autre excellente actualisation du genre avec A Girl Walks Home Alone at Night de Ana Lily Amirpour, que la réalisatrice cite d’ailleurs dans ses influences. Vampire humaniste cherche suicidaire consentant est le genre de film qu’on aurait aimé découvrir à l’âge des premières amours, quand nos envies de rébellion étaient plus dirigées envers nos parents qu’envers nos dirigeants.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, un film d’Ariane Louis-Seize, au cinéma le 20 mars 2024.

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