Blue Giant est de ces œuvres qui ont l’audace de la simplicité. Adapté du manga à succès de Shin’ichi Ishizuka, le film de Yuzuru Tachikawa (Mob Psycho 100, Détective Conan) est l’histoire de trois jeunes japonais qui décident de monter un groupe de jazz. Le héros est Dai Miyamoto, un jeune garçon de 18 ans qui rêve de devenir « le meilleur » saxophoniste. La première scène du film le montre jouer de la musique sous la neige et dans le froid, au bord de la rivière et éclairé par un unique lampadaire, comme un projecteur braqué sur lui, annonçant son aventure à venir dans les salles de concert. Tout est dit dans cette brève introduction : pour Dai, rien d’autre n’existe que le jazz. Simple, efficace, carré.
C’est ce qui surprend en effet au visionnage de Blue Giant, puisque le film ne s’embarasse pas du moindre centigramme de superflu et va directement à l’essentiel sur toute sa longueur. Il ressemble en fait beaucoup à un shonen nekketsu, ou à un shonen sportif, où le héros ne vit que par et pour le combat/la compétition, est extrêmement rêveur et optimiste, et passe sa vie à s’entraîner pour attendre son objectif final.
Des trois personnages principaux, on ne sait finalement que peu de choses ; simplement assez pour les caractériser chacun. Dai Miyamoto, le héros, est tombé amoureux du jazz dans son enfance et sa vie a changé le jour où on lui a offert un instrument. Depuis, il ne vit que pour la musique. Cette information ne nous est pas transmise autrement que par un montage dynamique lors d’une improvisation au saxophone de Dai, suggérant ainsi par l’enchaînement des plans que le jeune artiste infuse dans chacune de ses notes l’intégralité de son être. Une vraie leçon de « Show don’t tell » qui sera le fil conducteur du film, tant les images et la musique parleront plus que les mots. Les deux autres héros du film sont Yukinori Sawabe, pianiste de génie et descendant d’une famille de musiciens accomplis, qui contrairement à Dai se refuse à toute improvisation dans son style. Ces deux figures diamétralement opposées se retrouvent et s’accordent grâce à Shunji Tamada, qui complète le trio et est caractérisé par son acharnement et son dévouement à la batterie, puisqu’il est le seul débutant du trio. Le seul à ne pas être un génie, ce qui en fait automatiquement le plus attachant des trois.
S’il peut paraître amusant de loin de voir le Japon s’intéresser autant au jazz, il faut cependant souligner que le genre musical est depuis longtemps bien ancré dans le pays. Dans Kids in the Slope du célèbre Shinichiro Watanabe par exemple, le héros découvre le jazz durant les années 60. L’influence de cette musique sur le pays arrive en fait très tôt, par des musiciens philipins qui sont arrivés au Japon dans les années 1910. Ce qui veut dire le genre a évolué pendant plus d’une centaine d’années sur le territoire en miroir mais aussi de manière indépendante à ce qu’il se faisait aux Etats-Unis. Aujourd’hui le jazz japonais est réputé pour son aspect versatile, son mélange des approches et ses expérimentations, et il y a encore un certain nombre de cafés jazz dans le pays où il est carrément interdit de parler pendant les performances. L’une des représentantes les plus célèbres du jazz japonais contemporain est la musicienne Uremi Huera, et comme Blue Giant ne fait pas les choses à moitié, c’est elle qui signe toute la composition du long-métrage. Les plus mélomanes apprécieront le contraste net entre les morceaux de bravoure qui sont utilisés lors des concerts, pièces virtuoses et complexes, et le score qui accompagne le film, beaucoup plus ancré dans des mélodies plus directes, plus mélodramatiques aussi.
Car il faut le souligner, Blue Giant n’a rien d’une oeuvre subtile. Les péripéties qui rythment la formation du trio Blue Giant n’hésitent pas à lorgner à fond vers le sentimental, et ce sans la moindre gêne. Et à raison, puisque tout le propos du film est de montrer qu’être « le meilleur » en jazz ne veut pas dire être le plus technique, le plus rapide ou le plus inventif. Cela veut dire être le meilleur à retranscrire ses sentiments et le monde dans sa musique. Pour cette raison en plus du reste, le coeur du film est évidemment toutes les scènes de concert, puisqu’elles sont à chaque fois l’aboutissement de tout le parcours des héros jusqu’ici. Ce sont d’ailleurs des moments particulièrement réussis dans leur forme, puisque l’animation s’autorise à devenir plus endiablée dans les séquences de solo de saxophone ou de piano, quitte à aller carrément vers l’abstrait. Tout n’est pas forcément abouti de ce côté là, puisque la réalisation abuse par moments d’effets en animation 3D qui jurent avec le reste, mais quand ça frappe, ça frappe fort. C’est comme si le dessin en mouvement venait reproduire l’idée d’une improvisation musicale en s’affranchissant des limites conventionnelles… Rien que pour cela, c’est très fort.
L’autre manière qu’a le film d’être entièrement pensé autour de ses scènes de concert, c’est dans l’aspect éphémère de l’improvisation dans le jazz. C’est-à-dire que pour avoir entendu la performance virtuose d’un artiste en particulier, il fallait être là au bon moment, car rien ne se répète jamais réellement. C’est aussi en cela que Blue Giant parvient à toucher, car l’ascension fulgurante du groupe ne peut être qu’accompagnée d’une explosion en plein vol. Il aura fallu être là pour y assister… Dans un jazz café, ou dans votre salle de cinéma.
Blue Giant, un film de Yuzuru Tachikawa, au cinéma le 6 mars 2024.