Sleep : ne réveillez pas le papa qui dort…

Adoubé par Bong Joon-ho, sélectionné à la Semaine de la Critique et récompensé du Grand Prix au Festival de Gérardmer, le premier film de Jason Yu débarque dans les salles françaises (le jour de mon anniversaire en plus, et ça c’est un vrai beau cadeau). Dès son titre et sa première scène, Sleep annonce la couleur : Soo-jin et Hyun-su s’aiment. Ils vont avoir un enfant. Tout va bien dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que Soo-jin découvre le somnambulisme de son mari… et c’est le début des emmerdes.

Une vie de couple tumultueuse et un sommeil détraqué : Jason Yu lit en moi comme dans un livre ouvert et rassemble deux de mes plus grosses phobies (je suis terrifié par l’engagement et insomniaque, c’est presque pareil). J’étais donc obligé de vous parler de Sleep, surtout parce qu’il s’agit d’un film très malin et qui n’a pas peur d’aller à l’essentiel, contrairement à bien d’autres films du même genre…

« Chérie… j’ai pas envie de prendre le RER B… »

Si Sleep est aussi efficace, c’est parce qu’il parvient à transformer un souci de couple totalement banal en quelque chose de monstrueux. C’est pour ça qu’à première vue, Jason Yu fait presque de son film une comédie romantique, en mettant en scène un couple aimant et soucieux de voir sa situation s’améliorer. Il adopte une structure relativement simple : on constate les faits (le somnambulisme), on cherche des solutions (le couple s’aventure dans le milieu médical) et on les applique (on essaie d’améliorer les nuits).

D’une clarté totale, la structure du film se décomposé en une succession de cycles de sommeil. La durée totale d’environ quatre-vingts dix minutes correspond d’ailleurs à la durée moyenne d’un de ces fameux cycles. Je ne fais probablement que tirer une conclusion digne de l’analyse freudienne d’un rêve, mais c’est une conclusion qui me fait kiffer.

Moi dès que j’ai préparé un truc en cuisine (genre des pâtes au pesto)

Sauf que c’est bien gentil de tout vouloir tout clarifier. Parce que lorsque vous rêvez, ça part souvent en cacahuète. Et dans Sleep, c’est pareil. Comme souvent dans les films coréens, le mélange des genres est quelque chose d’inné (et de bien plus réussi que chez les ricains, balle perdue). Ce qui vous semblait drôle dans une scène peut devenir totalement effrayant dans une autre, et inversement. Soo-jin, la compagne attentionnée enfilant des gants de cuisine à son conjoint pour l’empêcher de se faire du mal, devient ensuite elle-même totalement maniaque à force de… ne pas dormir.

Ce renversement continuel des points de vue et de la définition même de monstruosité est ce qui permet à Sleep d’éviter de faire du surplace, et à ses acteurs de déployer toute leur palette de jeu. Tout autant Jeong Yu-mi (vue chez Hong Sang-soo, Kim Ji-woon ou encore Yeon Sang-ho) que le regretté Lee Sun-kyun (dont la performance dans Killing Romance, vu au dernier FFCP et à Fantasia par notre rédac, avait transcendé).

Instinctivement, c’est presque comme si Jason Yu demandait à son spectateur de faire partie intégrante de cette crise conjugale et de prendre parti pour l’un ou pour l’autre membre du couple. De dire qui a raison et qui a tort. Et si aucun des deux n’avait raison ? On ne spoilera rien, mais au-delà de compter les points, Sleep est quand même aussi l’occasion de se faire de belles frayeurs.

Sleep, un film de Jason Yu, avec Jeong Yu-mi et Lee Sun-kyun. Sortie française le 21 février 2024.

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