Comment en arrive-t-on à Madame Web ?

Pour comprendre comment Sony peut en arriver à produire des objets filmiques non identifiés comme Madame Web, il faut réussir à comprendre comment toute une galaxie de facteurs convergent en un seul et même point, qui est lui-même le grand absent du film et des autres produits par le studio : Spider-Man, le super-héros le plus célèbre de l’écurie Marvel.

Madame Web fait partie de ces personnages de la galaxie Spider-Man qui ne sont connus que par les lecteurs et lectrices de comics, ou par ceux qui comme moi ont grandi avec la série animée de 1994 lors de sa diffusion sur TF1. Une vieille dame mystérieuse, inventée sous la plume de Denny O’Neil et le crayon de John Romita Jr, avec des pouvoirs de mutante, qui lui permettent de voir l’avenir et de lire dans les pensées des gens (je résume grossièrement, venez pas me triturer les trous de nez les puristes). Faire un long-métrage dont elle est l’héroïne n’a aucun sens, pour plusieurs raisons.

La première, c’est qu’elle est avant tout un personnage de guide spirituel, de soutien au héros dans sa quête. Ce qui fait son intérêt, c’est le mystère qui l’entoure : contrairement au protagoniste et au spectateur, elle connaît l’avenir. La seconde, et j’y reviendrai plus tard car c’est tout le cœur du problème, c’est l’impossibilité pour Sony d’utiliser Spider-Man dans ses productions Sonyverse Spider-Man. Une réalité uniquement envisageable dans un monde capitalisto-débile post-moderne, où le copyright n’est en rien une manière de protéger des artistes et leurs créations (Denny O’Neil et John Romita Jr ne touchent probablement que quelques cacahuètes pour le film) mais seulement une façon pour des multinationales de se faire la guerre dans leur course au profit.

C’est la course au profit justement qui motive Sony à imiter le MCU de chez Disney. Leur Madame Web est en fait imaginée d’abord comme une sorte de variation de Doctor Strange, parce que… Parce que y a des pouvoirs mystiques vite fait et qu’elle est censée être en situation de handicap physique un peu comme Stephen et ses mains pétées. Ces gens sont débiles qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. Et si vous ne me croyez pas, allez voir le film (n’y allez pas), vous verrez que dans sa dernière scène elle est carrément derrière une fenêtre à la Doctor Strange, à observer New York comme lui. C’est super bien et tout, dans la salle les gens ont applaudi (c’est faux, on était huit et la moitié dormait je crois).

Madame Web pub
Le genre de plan qui me donne envie de me pendre.

Il faut en fait comprendre ce qu’est devenu le Sonyverse avec les Venom, son Morbius, son Madame Web et bientôt son Kraven le Chasseur. A savoir l’équivalent d’un studio pirate comme Asylum, qui produit des contrefaçons de films populaires pour piéger les consommateurs (cinéma-capitalisme). L’équivalent des VHS et DVD de faussaires qui traînaient dans les supermarchés quand on était gosse et que nos parents pensaient nous ramener le Cendrillon de Disney et non un truc moche animé par trois artistes exploités. Sony fait pareil en faisant croire aux gens que sisi, ses films font bien partie du Marvel Cinematic Universe, peut-être même qu’à un moment on y verra Spider-Man et tout !

Ce que fait Sony avec ses films, c’est l’équivalent de Marvel Comics qui à une époque mettait Wolverine sur toutes les couvertures de ses sorties pour inciter les gens à les acheter. Et Sony est tellement fort à ça qu’ils arrivent même à faire croire aux acteurs qui jouent dans leurs films que ça y est, ils ont atteint le graal, ils font désormais partie du très lucratif et populaire Marvel Cinematic Universe ! Sauf que non, même pas ! Et la star du film Dakota Johnson ne fait pas du tout l’effort de cacher son désarroi et son ennui lors du promo tour, ce qui était de toute façon à prévoir puisqu’elle est réputée comme étant incapable de parler la langue de bois.

Voilà comment on en arrive à faire Madame Web. On balance des personnages dérivés de Spider-Man pour les seconds rôles du film (je vais pas rentrer dans le détail mais y’a trois jeunes filles qui doivent plus tard devenir différentes incarnations de Spider-Women, toutes préexistantes dans les comics aussi), avec des costumes qui ressemblent à celui de Spider-Man pour que le visionnage distrait de la bande-annonce suffise à faire croire que Spidey sera dans le film… Mais non ! C’est de la contrefaçon, du mensonge. Sony a cédé les droits de Spider-Man à Disney pour le MCU et n’a gardé les droits que de sa galerie de personnages satellites, sur lesquels demeure une sorte de flou artistique similaire à celui où, souvenez-vous, la Fox et Disney pouvaient tous les deux avoir un personnage nommé Quicksilver dans leurs univers simplement parce que les avocats qui gèrent ce genre de trucs eux aussi au bout d’un moment, ils en ont marre de tous ces putains de personnages redondants.

Madame Web Trailer Looks Like Another Marvel Flop
Sydney Sweeney dans le film (vue ici dans une vision du futur, parce que les costumes sinon ne sont jamais vraiment dans le film) joue une girl scout toute mignonne dont la personnalité se résume à être une girl scout coincée. C’est hilarant. Mais dites-vous qu’elle est davantage écrite que les deux autres meufs du trio qui ont pour seuls traits de personnalité aimer manger et… Pour la troisième… Heu…. Si si… Elle a un truc je vous jure…

En fait, Madame Web est tellement la copie pauvre et triste par Sony de ce que fait le MCU (qui de base n’est franchement pas du tout incroyable non plus, surtout en ce moment), qu’il n’est qu’une sorte de publicité mensongère. Vous vouliez Spider-Man ? Désolé, mais vous aurez droit à des scènes d’Ezekiel « joué » par Tahar Rahim (je mets des guillemets à « joué » parce qu’il y a tellement de post-synchro de dialogue mal foutu sur ses répliques qu’on dirait qu’il a été re-doublé par quelqu’un d’autre). C’est comme quand vous allez au restaurant et que vous demandez un Coca et qu’on vous dit « est-ce qu’un Pepsi, ça vous ira ? », alors que c’est pas le même goût et clairement un autre soda. Et pour appuyer cet exemple, sachez que Madame Web est aussi une IMMENSE PUB pour Pepsi, que l’on voit apparaître lors d’un barbecue et mis en valeur par un dialogue super gênant entre l’héroïne et Ben Parker (l’oncle de Peter, qui s’appelle juste Ben sans le Parker parce que attention faut pas déconner). On retrouve ensuite Pepsi à deux reprises dans le film, du côté du célèbre sigle de la marque qui est le long de la rivière Hudson à New York, notamment pendant tout le climax du film où le méchant finit par se faire écraser par le S géant de Pepsi. C’est subtil, parce que ça veut dire qu’il a été vaincu par les Spider-Women, mais aussi c’est subtil parce que BUVEZ DU PEPSI PUTAIN DE SA MERE.

En plus de tout cela, Madame Web est indéniablement un très mauvais film. Qui, et je pense qu’il est important de le reconnaître, avait pourtant des qualités insoupçonnées en son sein. Déjà il faut noter qu’il est très correctement filmé, c’est globalement du bon travail, et il y’a deux-trois cascades et effets visuels qui ne sont pas dénués d’intérêt. Le problème, c’est que tous ces éléments sont noyés dans un montage absolument ahurissant qui passe son temps à couper une action avant qu’elle soit terminée, comme si les décideurs derrière le film avaient cherché tous les moyens pour que le film dure moins de deux heures. Et comme Hollywood est devenu un territoire où on pense business, revenus trimestriels, intérêts des partenaires et des marques, et tout ce merdier, c’est évidemment ça qu’il s’est passé : la cinéaste S. J. Clarkson a vu son travail d’une facture vite fait correcte salopé par des exigences absurdes. C’est soit ça, soit la monteuse Leigh Folsom Boyd s’est rappelée son expérience en tant qu’assistante sur Man on Fire et a voulu recréer le style Tony Scott sur un film qui ne s’y prêtait pas… Mais c’est peu probable.

L’autre qualité inexploitée de Madame Web est dans le pouvoir de son héroïne. Sa capacité à voir l’avenir est amenée au début du film dans quelques séquences plutôt bien pensées, car elles sont déboussolantes autant pour le personnage que pour nous ; si vous avez vu La Bête de Bertand Bonello, pensez à la dernière scène à Los Angeles entre Léa Seydoux et George MacKay, c’est très similaire (en beaucoup plus rustre, évidemment, ne me faites pas blasphémer non plus). Et puis comme elle s’appelle Cassie, on pense très vite à la célèbre Cassandre et à son don de voyance maudit. Cette idée n’est pas du tout exploitée, et tout le potentiel déjà limité du film s’effondre totalement dès qu’on fait la rencontre des trois jeunes futures Spider-Women. C’est à ce moment précis que Madame Web cesse d’être un film et devient… Je ne sais pas ce qu’il devient. Une installation artistique avant-gardiste qui mélange une esthétique de série télé bas de gamme (la réalisatrice est d’ailleurs une habituée du format) avec des scènes tout droit sorties des comic book movies période Daredevil/Catwoman/Elektra, comme ce passage que je qualifierais de « ????????? » où les trois filles dansent sur une table de diner sur du Britney Spears. Ou encore ce moment où Madame Web transperce une pub de boxers Calvin Klein avec une ambulance pour exploser la tronche du méchant. Dans le Sonyverse, tout est possible.

Madame Web: First Look Pics Of Dakota Johnson & Sydney Sweeney Filming The Spider-Man Spin-Off | Glamour UK
Dakota Jonhson joue plutôt bien dans le film, probablement parce qu’elle se joue globalement elle-même : comparez son franc parler en interview et son dégoût des interactions avec les autres avec celui de Madame Web dans le film, vous n’y verrez aucune différence.

Dernière chose et après je m’arrête parce que vous n’en pouvez plus de moi et de ces conneries je le sais, mais il y a quelque chose de profondément souillé et pourri dans ce film particulièrement, et qui n’était pas encore si présent dans les Venom et Morbius, qui tourne autour de l’absence de Peter Parker. Repensez à l’époque où Andrew Garfield était encore Spider-Man, et où le studio Sony tentait déjà de développer tout un univers autour de lui. Dans cette version de l’histoire de l’homme aux collants rouges et bleus, on découvrait que la piqûre d’araignée à l’ADN modifié n’était pas due au hasard, mais que tout dans la vie de Peter Parker l’avait mené ici. Ses parents étaient des scientifiques qui travaillaient avec Osborn, ce qui allait à l’encontre d’une conception plus classique du héros qui était plutôt un truc du genre : tout le monde aurait pu devenir Spider-Man. Et si ça t’arrive, alors tu as de grandes responsabilités parce que tu as un grand pouvoir. De cette manière, c’est comme si tout l’univers n’était qu’une immense toile d’araignée qui relie tous les événements du monde avec en son centre un même point névralgique : Peter Parker. Spider-Man. Et c’est là où Madame Web est dingo, parce qu’il ressemble donc à un film qui aurait été pensé à l’époque des The Amazing Spider-Man d’Andrew Garfield. Où l’on continue de faire de l’entourage de Peter Parker un monde à part, spécial, où Madame Web et sa bande de Spider-Women sont des potes de l’Oncle Ben, et où Madame Web assiste à un jeu où il faut deviner le prénom du futur bébé de Maman Parker.

SAUF QU’ON NE DIRA JAMAIS SON NOM. PARCE QUE Y’A PAS DE SPIDER-MAN ICI. PAS DE PETER PARKER.

HAHAHAHAHAHA HA. HAHAHAHAHAHA HAHA.

C’est insensé. C’est complètement zinzin. Voilà ce qui se passe quand le cinéma meurt, quand le comic book meurt, quand le capitalisme meurt. Envoyez les clowns, tout est fini, qu’on s’arrête là, c’est Game Over. Adieu.

Madame Web, un film de S. J. Clarke avec Dakota Johnson, Tahar Rahim, Sydney Sweeney, Adam Scott et d’autres gens que j’oublie et dont je me fous complètement, au cinéma le 14 février 2024.

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2 thoughts on “Comment en arrive-t-on à Madame Web ?

  1. Bordel, j’avais pas du tout fait le rapprochement avec Peter Parker. En sortant de la salle, j’ai eu un vieux réflexe de type « ils l’ont pas dit le nom du bébé, au fait ? Ils ont oublié ? C’est une erreur de scénario ? »
    Je comprends mieux.

    (En même temps, j’avais pas vu le S géant de Pepsi non plus, je ne pense pas avoir été super attentif.)

    (J’étais trop occupé à me moquer de Tahar Rahim.)

  2. Rien de surprenant dans le film et sa critique…
    Je ne comprends pas que Sony essaye encore de mettre du pognon là dedans : ils devraient essayer de refourguer les droits à Marvel (eux qui s’en veut tellement d’avoir vendu ça à l’époque) tant que ça vaut encore quelque chose pour minimiser les pertes et passer à autre chose.

    PS : petite coquille dans l’article un « adjuvant » et devenu « adjudant ».

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