Si seulement je pouvais hiberner : de quel bois on se chauffe

si seulement je pouvais hiberner

Oulan-Bator, capitale de la Mongolie, concentre 48% de la population de son pays. Elle est aussi la capitale la plus froide au monde, avec des moyennes basses entre -15° et -25° de janvier à mars et de novembre à décembre. Son mois de janvier le plus chaud de l’Histoire est à -2 degrés, et ils ont déjà des températures négatives en août, c’est vous dire à quel point ça caille sa mère.

C’est dans cette ville érigée sur et entre les montagnes Khentii que l’on rencontre Ulziibat, adolescent et fils aîné d’une fratrie très pauvre, pour qui le froid est un danger bien réel. La mère d’Ulziibat élève seule ses quatre enfants, et toutes ses économies partent soit dans le charbon pour survivre au froid, soit dans la nourriture pour ne pas crever de faim. Quand Ulziibat participe à un concours de sciences à l’école et finit très bien classé, il se met à rêver d’une bourse et d’un avenir meilleur…

Si seulement je pouvais hiberner est le premier film mongol à avoir été sélectionné à Cannes, et le premier long-métrage de Zoljargal Purevdash. On comprend rapidement en s’intéressant au parcours de la réalisatrice ce qui a pu lui inspirer une telle histoire pour son passage au long format narratif : elle a elle-même  grandi à Oulan-Bator avant d’obtenir plusieurs bourses d’études grâce à ses talents en sciences. À l’aide de l’une de ces bourses, elle étudie le cinéma à l’université J.F Oberlin de Tokyo, connue pour son ouverture à l’international, et réalise des courts-métrages primés dans des festivals japonais. Elle retourne dans sa ville natale pour raconter ensuite le monde qu’elle connaît, et le donner à voir aux autres à travers la fiction.

C’est sa première qualité, et la plus évidente : celle de permettre à un public occidental (via Cannes et la distribution en France qui en résulte) et oriental (via le festival de Busan) de découvrir un pays qu’on connaît très peu. C’est sûrement pour cette raison que la réalisatrice n’hésite pas à mettre une scène en début de film, relativement décorrélée du reste de l’histoire, où Ulziibat se rend chez sa tante. La scène permet d’abord de montrer un écart de richesse conséquent entre la mère d’Ulziibat et sa sœur, annoncé dès les plans qui sublime les tours résidentielles, puis de plonger le spectateur dans un rite superstitieux local qui a de quoi surprendre. Sans trop en dire, disons que même les plus tarantinesques des fétichistes parmi vous risquent de s’interroger devant la scène.

C’est à l’aide de la musique, à la fois moderne et traditionnelle, qui mélange des compositions à l’écriture mélodique plutôt occidentale avec des sonorités et arrangements orientaux (le beatbox et le « throat singing », la contrebasse et le violon morin khuur, le carillon et la guitare doshpuluur), que Zoljargal Purevdash amène son histoire vers l’universel. Au-delà des spécificités culturelles locales, tout spectateur pourra comprendre le tourment du protagoniste : Ulziibat n’est pas le seul adolescent au monde à griller ses économies dans une paire de Nike neuve, alors qu’il devrait plutôt l’utiliser pour acheter de quoi se chauffer. Parce qu’Ulziibat est un garçon fier, pour qui la pire insulte serait d’être appelé « un mendiant », et qui doit malgré tout apprendre à accepter d’être aidé.

IF ONLY I COULD HIBERNATE - Festival de Cannes

Si seulement je pouvais hiberner réussit, grâce à la justesse de son casting, à la familiarité si naturelle qui s’installe au sein de la fratrie d’Ulziibat, mais aussi et surtout parce que le film ne sombre jamais dans le misérabilisme. Au contraire, il est le plus juste possible avec ses personnages, c’est-à-dire qu’il est souvent réaliste, dur, mais jamais cruel pour rien. Une scène où Ulziibat regarde les universités internationales sur une mappemonde s’enchaîne avec un plan de jeu vidéo, parce que l’échappatoire est tout aussi virtuel que cela pour le jeune garçon. La première fois où son personnage comprend qu’il a une chance de quitter cet endroit, son regard se tourne vers le paysage montagnard et froid qu’il connaît si bien, mais il le voit à travers une vitre : comme si pour la première fois, il se permettait d’imaginer une distance entre ce monde et sa vie future. Mais quand Ulziibat est pris au piège par sa condition, la caméra l’enferme dans le paysage avec des longues focales, qui écrasent et aplanissent tout ; une prison glacée. C’est cette justesse morale dans son esthétique qui lui permet d’avoir une scène terriblement drôle vers la fin du film, où des employés de la ville viennent apporter du matériel aux plus défavorisés… Qu’ils ne peuvent pas utiliser parce qu’ils n’ont plus d’électricité. Cela sonne trop vrai pour ne pas faire rire jaune, cette absurdité. Et c’est également cette justesse morale qui autorise la réalisatrice à offrir une porte de sortie, à laisser entrevoir la possibilité d’un rêve sur la fin du film : comme une manière d’utiliser le cinéma pour donner de l’espoir, sans jamais oublier d’être réaliste.

Si seulement je pouvais hiberner, un film de Zoljargal Purevdash. Au cinéma le 10 janvier 2024.

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