Sans le savoir, je connaissais Med Hondo depuis longtemps. Doubleur français très régulier d’Eddy Murphy, il m’avait faite hurler de rire dans la peau de l’âne niais de Shrek ou dans celle du Dr Doolittle, mais j’avais aussi entendu son timbre ailleurs, au travers de Morgan Freeman dans Seven ou carrément dans le rôle de Dieu dans Bruce tout puissant. Comment pouvais-je savoir que cette voix était aussi un réalisateur ? Un réalisateur brillant et engagé, loin de tout ce que j’avais pu accoler à ses répliques doublées ? C’est un jour en scrollant la page d’accueil de Mubi que je suis tombée sur ses films et qu’un puissant artiste m’a été révélé.
Ses proches le déplorent, Med Hondo a très vite été identifié comme la voix d’Eddy Murphy et c’est beaucoup en ce sens qu’on s’est ému de sa disparition en 2019. Pourtant son œuvre avait commencé à réémerger, surtout Soleil Ô sélectionné à Cannes Classics en 2017, après restauration par la fondation de Martin Scorsese. Ce premier long-métrage fait avec « trois bouts de ficelle » selon son chef opérateur François Catonné est la meilleure porte d’entrée dans son univers. Med Hondo, né en Mauritanie sous la colonisation et émigré en France, a tout de suite à cœur de déconstruire le mythe utopique du pays bleu blanc rouge en proposant le récit expérimental d’un homme cherchant du travail. Il se retrouve confronté au racisme institutionnel de cette république, d’une part à cause des blancs qui ne font que chuchoter leur peur d’une grande invasion et d’autre part à cause des grands patrons qui refusent sans raison de l’embaucher. La plus grande force du film réside dans ses apartés lorsqu’il se permet de dévier de sa fiction pour proposer des espaces autres et expérimentaux, lui permettant d’exposer plus clairement son propos. Il le redira dans une interview à propos de son documentaire sorti en 1974, Les Bicots-N*gres Vos voisins, il n’a pas peur de faire des films « didactiques ». Il désire que son propos soit clair et on le constate dans Soleil Ô où des patrons blancs expliquent exactement leur rejet des travailleurs émigrés et leur mépris pour eux. Med Hondo va jusqu’à parfois mettre ses personnages dans des salles de classes pour décortiquer la colonisation et la violence qui s’exercent. Loin d’être lourds, ces procédés ajoutent au contraire un aspect expérimental génial au film qui ne se contente pas d’être radical dans son propos mais l’est aussi dans sa forme, offrant des bouts de cinéma uniques et profondément passionnants.
Ciné-Archives, fonds audiovisuel du PCF et du mouvement ouvrier
Car Med Hondo n’est pas « que » un cinéaste engagé, c’est aussi un génie de la mise en scène avec beaucoup de culture qui semble trouver un certain intérêt dans le fait de détourner les codes. Toute son inventivité se déploie dans son second long-métrage de fiction, West Indies, sorti en 1979. Le film a pour décor un grand bateau reconstruit dans un ancien hangar Citroën. Dans cet unique lieu, Med Hondo va retracer l’histoire coloniale française et mettre en parallèle deux traites : l’esclavage au XVIIème siècle et celle plus récente et contemporaine à la création du film, où l’état français appelait Martiniquais et Guadeloupéens à venir en France pour les faire travailler à moindre prix, les laisser vivre dans la misère et surtout pour vider les îles craignant de ne plus les contrôler. West Indies est surtout une comédie musicale. Désirant détourner ce genre très américain et souvent vecteur d’une vision utopique du monde, il utilise le ballet, les chants créoles, les hymnes français, le parlé-chanté pour se réapproprier cette forme. Il en résulte un film virtuose dont aucune scène ne se ressemble, avec des danses somptueuses, des témoignages bouleversants. Ce procédé permet aussi au réalisateur de mettre en avant la culture africaine et créole car comme il le répétera souvent – et le mettra en acte avec son acteur Robert Liensol, né à Saint-Barthélemy, jouant un émigré Mauritanien dans son film précédent – la culture des opprimés par les Blancs peut être vue comme une seule culture et unie, elle est une arme contre l’hégémonie capitaliste occidentale.
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Cette idée est encore soulignée avec Sarraounia en 1986 qui reprend l’histoire de cette reine d’un peuple du Niger, aussi considérée comme un symbole du panafricanisme. Comme Soleil Ô et West Indies, ce film accorde une énorme place à la musique et plus particulièrement au chant comme une arme pour se souvenir. Le film contant l’histoire d’une figure peu connue en Occident se fait aussi le porte-parole de toute une mémoire qui a tendance à être effacée. La figure de Sarraounia permet à Med Hondo de mettre en images l’extrême violence de la mission Voulet-Chanoine, une expédition française pour la conquête du Tchad ayant perpétré de grands massacres sur son chemin. Il décide de montrer ce cruel épisode de l’histoire avec un point de vue Nigérien, qui met en exergue le ridicule et l’horreur blanche, la beauté et la puissance mystique de la résistance noire, mais aussi le statut ambigu, entre traitrise, soumission et obligation des 600 tirailleurs soudanais qui accompagnaient les colons. Le film ajoute avec les tirailleurs une complexité que l’on ne voit que trop rarement et il se permet de montrer les failles de solidarités entre plusieurs peuples qui ont été investies par les occidentaux, profitant de cela pour dominer. Ce n’est pas sans une certaine ironie que Med Hondo s’amuse à aussi pointer du doigt les rixes puériles entre colons français et anglais. Au milieu de cela règne Sarraounia, crainte, adorée et fédératrice. Le film reprend les codes du Western, avec la conquête des cavaliers colons contre des peuples qu’ils ne respectent pas, exploitent et tuent dans des décors désertiques. Med Hondo excelle dans sa réappropriation des genres, les infusant toujours de sa culture à lui, les imprégnant de radicalité anti-raciste et ici même féministe, avec toujours un soin apporté à tous les plans aussi beaux que signifiants. À sa sortie pour des raisons qu’on ne peut feindre d’ignorer, le film n’a été diffusé que dans 3 salles en France, ruinant quelque peu Med Hondo qui peinera à sortir et faire reconnaître ses films par la suite.
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Dans Soleil Ô son cadrage toujours inattendu, se rapprochant du cinéma du réel, ancre son récit dans le docu-fiction et met en images la désorientation de ces personnages. Dans West Indies le plan séquence dans l’ADN même de la comédie musicale souligne les paroles des blancs, caquetant sans se taire et dirigeant la caméra jusqu’à ce qu’au contraire les corps des antillais arrivent à dominer l’espace – surtout par la danse et la langue – et à se réapproprier un type d’image qui n’a d’habitude jamais leur couleur de peau. Dans Sarraounia, le format scope fait de cette grande cheffe une figure aussi importante que toutes celles des westerns, sublime les paysages du Burkina Fasso où il a été tourné et montre aussi en grand angle les atrocités. Sans jamais se répéter, Med Hondo a réalisé des films brillants, originaux et que je pense extrêmement importants. West Indies particulièrement, tant par son propos que sa forme devrait être étudié encore et encore, c’est un immense chef-d’œuvre déjà hissé au rang de mes films préférés. En tout cas, que ce soit sur Mubi ou ailleurs je vous invite à foncer découvrir ce cinéma qui vous bousculera. Med Hondo n’était pas qu’un doubleur extrêmement talentueux, c’était aussi une figure révolutionnaire, un courageux documentariste, un meneur de grève, bref, un grand homme dont il faut se souvenir.
Pour plus d’informations, je vous invite à écouter l’émission Med Hondo (1936-2019), cinéaste de combat, sur le site de France Radio : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/toute-une-vie/med-hondo-1936-2019-cineaste-de-combats-7352149
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